Sénégal ? Et avec une production aussi chétive, les entreprises européennes du secteur secondaire n’ont-elles pas réalisé au Sénégal, un chiffre d’affaire de 27,7 milliards de francs C.F.A. contre 5,4 milliards seulement pour leurs collègues européens de Côte d’Ivoire ? Ceux-ci, partant d’une agriculture opulente, ne sont-ils pas, eux, en droit d’espérer développer leurs entreprises beaucoup plus qu’au Sénégal ?
Cette communauté d’intérêts des deux capitalismes de Côte d’Ivoire les rapprochera davantage dans une coalition dirigée contre le Sénégal et l’A.O.F.
Les planteurs ivoiriens, épaulés par leurs alliés européens locaux, protestent donc, naturellement, avec vigueur. Comment par exemple, accepter sans réagir, une contribution de plus de 11 milliards de francs C.F.A. au budget fédéral en 1954, contre une ristourne de moins d’un milliard ? [37] Comment admettre des dépenses fédérales - donc en fait, à Dakar - de 19 milliards de francs C.F.A. en 1956, 16 milliards seulement étant distribués aux autres territoires y compris le Sénégal ? [38] Car pour le Sénégal, siège de la Fédération, l’administration constitue, à cette époque, l’une des principales industries [39]. Le slogan de « vache à lait » de l’A.O.F. repris par Le Monde en 1955, s’impose de plus en plus.
En somme, après la démobilisation du R.D.A. et l’abandon de la lutte anti-coloniale, le grand rêve d’une Afrique unie caressé jadis par Félix Houphouët-Boigny lui-même, se trouve, à son tour, condamné à mort. Le leader ivoirien n’écrivait-il pas, jadis :
« Il serait vain de prétendre dresser indéfiniment les Africains les uns contre les autres. L’Union sera réalisée… car on ne saurait bâtir une vraie Union Française avec des contrées divisées, dressées les unes contre les autres… » [40].
Donc, il reprochait alors, implicitement, au pouvoir colonial de vouloir dresser les territoires les uns contre les autres. Même en décembre 1950, après le désapparentement, M. Houphouët-Boigny n’avait pas encore opté, semble-t-il, pour la « balkanisation » de