interne : les métropolitains de Côte d’Ivoire se sentent choyés. Il paraissent avoir finalement compris le parallélisme entre leurs intérêts et ceux des planteurs ivoiriens. En effet M. Houphouët-Boigny veille. Dans le discours prononcé à Yamassoukro le 3 mai 1956, c’est-à-dire après son entrée au gouvernement Guy Mollet, il demande aux ouvriers agricoles de faire preuve de compréhension. « Le travailleur africain membre du R.D.A., dit-il, demande à ce que l’employeur africain également membre du R.D.A. lui donne un salaire que l’employeur, le plus souvent, ne peut donner, sans courir le risque de voir ses plantations envahies par les herbes… »
La réalité quotidienne de la coexistence fructueuse des deux bourgeoisies, ivoirienne et européenne, la similitude de concepts de M. Houphouët-Boigny et de la métropole en politique étrangère et son image d’homme à poigne sur le plan intérieur, comblent bien entendu les vœux des colons. Mieux encore, bourgeoisie ivoirienne et colonat feront bientôt cause commune pour faire prévaloir leurs intérêts et obliger Paris à les prendre en considération.
Certes, la Loi-Cadre, par une « territorialisation » accrue, faisait déjà bien l’affaire de la bourgeoisie ivoirienne et de ses partenaires européens sur place dans la mesure où elle se traduisait par une extension en volume et en poids du gâteau à partager. Mais les deux alliés ne considéraient guère ce privilège comme suffisant. Leur appétit commun les poussait à se battre pour obtenir le démantèlement de l’A.O.F.
Cette Fédération de l’Afrique Occidentale, le gouvernement français l’avait créé en 1905, en regroupant territoires riches et pauvres pour établir un certain équilibre budgétaire. Les colons du Sénégal, alors de loin la plus développée des colonies, avaient protesté avec véhémence. Ils n’avaient cesser de le faire 40 années durant d’ailleurs à juste titre, puisque le Sénégal fournissait jusqu’en 1947, plus de la moitié des revenus des exportations. Mais dès 1934, un mouvement similaire se dessinait en Côte d’Ivoire. A cette époque, « L’avenir de la Côte d’Ivoire » définissait déjà le territoire comme « la vache à lait de l’Afrique occidentale ».
Vingt ans plus tard, en 1956, la situation se présente sous un jour encore plus favorable, ou plutôt défavorable pour la Côte d’Ivoire : celle-ci soutient à bout de bras l’ensemble de l’A.O.F.
La seule production agricole africaine - y compris la partie non commercialisée - n’est-elle pas évaluée , en 1956, à plus de 63 milliards de francs C.F.A. en Côte d’Ivoire, contre 29 milliards au