M. Edouard Ouédraogo, représentant le nouveau régime voltaïque, quand, vers 11 heures, le gouverneur Guy Nairay, directeur du cabinet du chef d’État ivoirien, accourt, radieux, pour leur annoncer la prise du pouvoir par les militaires à Lagos.
La première réaction, toute naturelle, du leader ivoirien peut se résumer par la formule bien connue : « Je l’avais prédit. » Mais en même temps, il essaie de savoir quelles sont les tendances des dirigeants du nouveau régime : sont-ils des « progressistes » et alors faudrait-il s’attendre à les voir appuyer le président Kwame N’Krumah ? Ce samedi 15 janvier, c’est là son principal souci.
Il continue, en ma présence, à développer sa pensée à haute voix. C’est le début du processus de dislocation inéluctable du Nigeria. Et dans ce cas, un appui éventuel au régime ghanéen serait problématique.
La preuve vient d’en être administrée, la démocratie à l’occidentale, avec « le luxe du pluripartisme », ne constitue pas une thérapeutique appropriée du problème tribal. Au contraire, la démocratie ne pouvait qu’exacerber les forces centrifuges dans un État aux bases tribales aussi accentuées. Seul un État unitaire ayant exorcisé les démons du système à partis multiples aurait eu une chance de survie.
En tout cas, les pays africains d’expression anglaise, tout comme les États francophones de la région, ne sont pas à l’abri des coups de force. C’est réconfortant.
Dans les jours qui suivent, les dépêches d’agence montrent l’ampleur du drame : le putsch de Lagos n’est pas du type « pronunciamiento » en honneur en Afrique francophone, mis à part le cas du Togo. Il s’agit d’un coup d’État particulièrement sanglant.
La presse ivoirienne garde le silence ou se contente de reproduire les dépêches d’agences. Le premier commentaire paraît dans Fraternité-Matin du 25 janvier 1966. Le rédacteur souligne « combien l’O.U.A. et toutes les organisations interafricaines et internationales ont condamné l’assassinat politique comme un moyen permettant d’accéder au pouvoir, en Afrique ».
La chute du régime ghanéen, survenue quelque six semaines après le coup d’État militaire de Lagos, en éliminant de la scène africaine le principal adversaire du président Houphouët-Boigny, calme définitivement ses appréhensions du côté du Nigeria. Occupé alors par la lutte contre M. Sékou Touré, et certain de la fin du Nigeria en tant qu’État, le leader ivoirien se cantonne dans le rôle de simple observateur. Il n’en suit pas moins, avec beaucoup