Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
Page 10 - LE MONDE - 20 novembre 1974...
DEVANT le renchérissement continuel et la raréfaction politique ou physique des combustibles fossiles, il est normal de songer à utiliser les énergies de la mer et du vent. Après tout, les océans couvrent 71% de la surface de notre planète et ils représentent un énorme réservoir d’ énergie potentielle, que celle-ci provienne des marées ou de la chaleur stockée par la mer. Outre les énergies marémotrice ou maréthermique, il existe diverses autres sources d’ énergie issues directement ou indirectement de la chaleur emmagasinée par les masses océaniques. La mer cède en effet une partie de sa chaleur à l’ air, créant par là-même la circulation atmosphérique (c’est-à-dire les vents). A leur tour, ceux-ci entraînent les eaux superficielles, donnant ainsi naissance à la circulation océanique (c’est-à-dire aux courants marins), à la boule et aux vagues.
Malheureusement, toutes les énergies issues de la mer n’ ont pas, pour l’ homme, une égale valeur. S’ il est raisonnable d’ envisager - dans des limites bien précises - l’ exploitation des marées, des différences thermiques des mers et du vent, il est, en revanche, parfaitement irréaliste, en l’ état actuel des choses, de vouloir tirer parti des courants ou des vagues, mêmes si des études futuristes sont menées dans ces domaines aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Les énergies marémotrice, maréthermique et éolienne ont leurs limites. Quelle que soit la conjoncture, leur importance restera assez réduire : pour les marées ou pour le vent, à une centaine de gigawatts
Il ne faut jamais oublier non plus la différence fondamentale qui sépare les sources d’ énergie régies par les mécanismes de l’ univers et les sources d’ énergies fossiles ou nucléaires créées par des anomalies géochimiques. Les premières (marée, chaleur, vent) se renouvellent constamment et sont donc inépuisables - même si elles sont donc discontinues ; elles sont non polluantes mais intransportables, sauf après leur transformation en électricité ou en hydrogène. Les secondes (hydrocarbures, charbon, uranium) ne se renouvellent qu’ à l’ échelle des temps géologiques et ne sont donc pas inépuisables à l’ échelle de l’ espèce humaine. Elles sont polluantes mais elles ont l’ avantage énorme d’ être transportables et donc utilisables n’ importe où.
De la voile au moulin, le vent a été l’ une des premières sources d’ énergie utilisées par l’ homme.
L’ énergie éolienne, indéfiniment renouvelable et qui n’ engendre aucune pollution (sauf parfois le bruit), a aussi deux défauts majeurs ; elle est aléatoire et discontinue dans le temps puisque la vitesse du vent varie brusquement de zéro ou de quelques kilomètres à l’ heure à plusieurs dizaines de kilomètres à l’ heure et peut même - rarement il est vrai - dépasser 200 kilomètres à l’ heure : elle est inégalement distribuée dans l’ espace, les zones privilégiées étant les étendues marines, les zones côtières, certaines plaines dégagées et quelques régions montagneuses.
Chaque aérogénérateur doit être calculé en fonction du site où il doit être installé. Sa puissance nominale, c’est-à-dire la puissance maximale que donnera l’ engin, est établie pour une vitesse du vent choisie selon les fréquences locales de celui-ci. Certes, les vents de vitesse supérieure ne produiront pas plus d’ énergie, mais la machine aura au moins le mérite de fournir souvent sa puissance nominale (sur les côtes nord de la Bretagne, les vents de 25 km-h et plus soufflent 80% du temps), ce qui ne serait pas le cas si cette dernière avait été calculée pour des vents plus violents, donc plus rares. En outre, un aérogénérateur dont la puissance nominale a été calculée pour des vents de 25 kilomètres à l’ heure commencera à donner de l’ énergie dès que la vitesse du vent atteindra 10 kilomètres à l’ heure, alors que la vitesse nécessaire au démarrage d’ un engin calculé pour des vents plus rapides serait plus élevée.
Depuis une cinquantaine d’ années, on a construit diverses machines dont trois ont atteint des puissances de 800. 1 000 et même 1 250 kilowatts (pour des diamètres de 30,2, 35 et 53 mètres, respectivement). Ces trois grandes machines
moyenne
Si on reste dans les limites fixées par la nature, les aérogénérateurs peuvent cependant rendre des services très appréciables étant entendu que les hauts cours actuels du fuel contribuent à diminuer la cherté relative de l’ énergie éolienne. Néanmoins, une installation complète (hélice, mât, multiplicateur de vitesse, générateur, redresseur et batterie de stockage), suffisante pour alimenter une famille moyenne, coûterait environ 60 000 francs (plus les taxes), ce qui est évidement hors de prix, même si l’ on admet que les frais de fonctionnement sont presque nuls.
En revanche, on peut envisager raisonnablement l’ emploi d’ aérogénérateurs pour deux sortes d’ installations (sans parler de l’ usage classique des éoliennes de pompage).
Stations isolées automatiques. Les aérogénérateurs actuels sont suffisamment fiables et ont besoin d’ assez peu d’ entretien pour servir déjà actuellement à l’ alimentation de phares ou de relais de télécommunications installés dans des îles ou sur des sommets difficilement accessibles.
Petits réseaux locaux (insulaires surtout) dotés de groupes électrogènes. Ces derniers produiront électricité nécessaire aux abonnés lorsque le vent sera nul ou presque nul, évitant ainsi l’ installation de batteries de secours toujours encombrantes, chères et insuffisantes.
On a songé à installer des aérogénérateurs dans des régions très venteuses déjà dotées d’ un réseau interconnecté. des batteries de grands aérogénérateurs, disent certains, pourraient fournir l’ énergie nécessaire en période de pointe : le froid intense coïncide en effet avec les grands vents. Mais ces machines peuvent-elles suffire pour faire face aux appels brutaux de puissance que représentent les pointes et qui ne sont pas toujours motivées par la chute du thermomètre ? En France, une pointe se traduit en moyenne par un appel brusque de 5 MW par kilomètre carré, 5 MW, c’ est ce dont on a besoin pour allumer 1 000 radiateurs électriques, ou 20 000 postes de télévision noir et blanc, ou 10 000 postes de télévision couleurs.
L’ USINE marémotrice de la Rance, avec une puissance installée de 240 mégawatts, est entrée en service à la fin de 1966. Après d’ inéviatables mises au point, elle fournit au réseau E.D.F. environ 500 000 mégawatts-heures par an. Elle fonctionne fort bien, n’ a subi aucun incident grave en six ans, sa conception et sa réalisation, ouvres incontestées de M. Robert Gibrat, ont fait faire des progrès importants à la technologie des groupes-bulbes (qui équipent maintenant toutes les centrales de basses chutes) et à celle de la défense contre la corrosion marine. Cependant, elle reste unique au monde (si l’ on excepte une petite installation soviétique de 0,4 mégawatt, qui marche depuis quelques années dans la baie de Kislaya, non loin de Mourmansk).
Les projets ne manquent pourtant pas. Celui de la baie de Fundy, qui intéresse les Etats-Unis et le Canada, est étudié - de temps à autre - depuis 1919. Celui de la Severn (Grande-Bretagne) et celui des îles Chausey (ou de la baie du Mont-Saint-Michel) "ressortent" périodiquement, le premier depuis 1933, le second depuis 1941. Mais aucun n’ a jamais abouti.
Les usines marémotrices ne peuvent être installées que dans des sites très particuliers, baies ou estuaires. Elles sont, en effet, tributaires de trois conditions impératives :
De très fortes marée de moyenne vive eau
Un réseau électrique interconnecté dans lequel vient s’ intégrer la production électrique discontinue de l’ usine marémotrice.
Un site dont la profondeur soit convenable pour l’ édification d’ un barrage et qui soit tel que la construction de la digue de fermeture de bassin ne réduire pas beaucoup l’ amplitude locale de la marée.
Une usine marémotrice ne peut ni produire du courant électrique en permanence ni produire celui-ci régulièrement aux heures de pointe puisque sa puisque sa puissance vient de la différence de hauteur de l’ eau entre l’ amont et l’ aval du barrage et que celle-ci est forcément liée aux heures de marée. L’ usine de la Rance marche, certes, dans les deux sens : quand le bassin de retenue plein se vide dans la mer basse, quand le bassin de retenue vide se remplit à la mer haute. En outre, les turbines des vingt-quatre groupes-bulbes peuvent être utilisées comme pompes (actionnées par le courant du réseau) de façon à surélever ou à surbaisser le niveau du bassin de retenue, donc à augmenter la hauteur de la chute d’ eau et à augmenter le volume d’ eau qui "travaillera" ensuite dans les turbines. Mais, même dotée de ces perfectionnements, l’ usine marche en moyenne deux mille heures par an alors qu’ une centrale hydro-électrique travaille cinq mille sept cents à six mille heures par an (rappelons que l’ année compte huit mille sept cent soixante heures).
On peut encore augmenter les heures de marche d’ une usine marémotrice en créant un système à deux ou plusieurs bassins entre lesquels on peut mieux réguler la production électrique. Mais la création d’ un bassin double ou multiple accroîtra considérablement les travaux de génie civil, puisqu’il faudra construire non seulement le barrage de fermeture de la baie ou de l’ estuaire mais aussi les digues de partition.
pour les techniciens
En dehors de l’ estuaire de la Rance, la France possède un site exceptionnel : la baie du Mont-Saint-Michel, où les marées moyennes de vive eau ont une amplitude d’ une quinzaine de mètres. Le projet consiste à fermer cette baie par deux digues se rejoignant sur les îles Chausey.
Il a été étudié de très près en même temps qu’ était calculée l’ usine de la Rance. On sait donc que l’ on pourrait installer une centrale de l’ ordre de 12 000 mégawatts de puissance installée dans laquelle quelque 500 groupes-bulbes produiraient, 25 millions de mégawatts-Heures. Ce serait une oeuvre colossale nécessitant la construction, en pleine mer, de 60 ou 70 kilomètres de digues hautes d’ une cinquantaine de mètres et demandant une bonne douzaine d’ années de travail. En revanche, on ne sait pas combien coûterait une réalisation aussi gigantesque (en 1966, le coût de l’ usine de la Rance a été estimé à 420 millions de francs de l’ époque, mais le barrage de l’ estuaire n’ a que 750 mètres de long et 27 mètres de haut).
Les adversaires du projet de la baie du Mont-Saint-Michel font valoir qu’ un tel barrage, outre ses inconvénients esthétiques évidents, perturberait l’ environnement côtier de toute une région par diminution de l’ amplitude des marées et que le prix - même encore inconnu - serait hors de proportion avec la quantité d’ énergie produite : 25 millions de mégawatts-heures représentent la production de trois ou quatre "tranches" nucléaires et environ 7% de la production française annuelle estimée de 1985.
Les défenseurs du projet, en revanche, font remarquer que la production d’ une usine marémotrice est très constante à l’ échelle de l’ année et qu’ elle est parfaitement prévisible puisque l’ amplitude des marées est connue très longtemps à l’ avance. Ils rappellent aussi que son fonctionnement est très peu onéreux. En outre la réalisation du projet pourrait servir à des buts multiples. Sur les digues, on pourrait installer des centrales nucléaires qui trouveraient ainsi sans problèmes les énormes volumes d’ eau froide dont elles ont besoin. On pourrait aussi y aménager des ports en eau profonde et des industries lourdes qui ont de plus en plus tendance à s’ installer sur les côtes.
L’ idée d’ utiliser la différence de température entre les eaux marines de surface et du profondeur pour fabriquer de l’ énergie est née avec notre siècle. on peut, en effet, vaporiser de l’ eau à 27 au 28°C (sous une pression de 35 millibars, égale à 3,5% de la pression atmosphérique normale, l’ eau bout à 28°C.). La vapeur passe dans une turbine à la sortie de laquelle elle se condense en passant dans un échangeur où circule une eau froide. La condensation fait baisser la pression à la sortie de la turbine, ce qui fait tourner celle-ci. Il est évident que plus la source froide sera... froide par rapport à la source chaude, plus la différence de pression produite par la condensation, entre l’ entrée et la sortie de la turbine, sera importance et plus la turbine tournera vite. Comme dans toutes les machines à vapeur, le rendement d’ une machine maréthermique dépend donc de la différence de température entre la source chaude et la source froide. On admet que, dans les centrales maréthermiques, cette différence doit être de l’ ordre de 18 à 20°C, pour que le rendement soit acceptable. Et encore le rendement théorique ne sera-t-il que de 6% à 6,7%.
Le rendement théorique ne sera pas augmenté si on utilise un liquide à basse température d’ ébulition (ammoniaque, propane, fréan, etc.), chauffé par la source chaude. Toutefois, l’ usage d’ un tel liquide est doublement avantageux : il permet d’ employer des turbines d’ un diamètre moins grand que celui qui est imposé par une vapeur d’ eau sous très basse pression ; il évite d’ avoir à débarrasser l’ eau chaude de tout l’ air qui y est dissous et dont la présence empêcherait la pression de la vapeur d’ eau de baisser à la sortie du condenseur.
L’ obligation d’ avoir une vingtaine de degrés de différence entre la source chaude et la source froide impose des limites géographiques très strictes à l’ exploitation de l’ énergie thermique des mers. Seule, ou presque, la zone inter-tropicale a des eaux de surface dont la température reste presque constamment à 25°C ou 28°C. Mais il faut encore que les eaux froides, (de 5°C, à 8°C) ne soient trop profondes (à - 500 ou - 800 mètres). Cette particularité se trouve dans les latitudes proches de l’ équateur, surtout sur les côtes occidentales des continents, c’est-à-dire près des zones d’ "upwelling" (remontée des eaux froides).
topographiques locales
Si l’ on veut installer une usine maréthermique sur la terre ferme, des conditions topographiques locales viennent s’ ajouter aux exigences géographiques. Il faut, en effet, que la côte plonge brusquement sous la mer de façon à éviter d’ avoir à poser une trop longue conduite d’ amenée de l’ eau froide. Cela favoriserait l’ installation de petites unités maréthermiques sur les îles volcaniques et les atolls des tropiques, qui ont, de toute façon, des besoins d’ énergie modestes. Mais il faut aussi que la topographie de la pente sous-marine ne soit pas trop tourmentée de façon à limiter au maximum les difficultés de pose et les risques de rupture de la conduite.
De 1926 à 1960, les essais d’ utilisation de l’ énergie maréthermique furent exclusivement français et furent surtout menés sur la terre ferme (à Cuba par Georges Claude) puis à Abidjan. Georges Claude, qui avait vu se casser les trois conduites utilisées à Cuba, avait, certes, fait un essai en pleine mer à bord d’ un bateau flottant au large du Brésil. Mais le tuyau vertical qui allait chercher l’ eau froide à quelques centaines de mètres de profondeur se rompit à cause d’ un montage défectueux.
Pendant l’ occupation, le C.N.R.S. a pu faire poursuivre les études entamées par Georges Claude. Après la libération a été créée la société Energie thermique des mers. Animée par MM. Albert Coquot, André Nizery et Léon Nizolle, puis par M. Christian Beau, cette société a fait les plans complets et détaillés de deux usines maréthermiques, l’ une pour Abidjan (deux tranches de 3,5 mégawatts chacune de puissance installée), l’ autre pour la Guadeloupe (une tranche de 3,5 mégawatts). Il y eut même, d’ abord à Brest puis devant Abidjan, des essais de pose d’ une conduite de deux mètres de diamètre. Mais la réalisation de ces deux projets n’ a pas été poursuivie jusqu’à la construction des usines en raison de la conjoncture économique de l’ époque, caractérisée par le bas prix du fuel. Après 1960, on n’ a plus fait en France de recherche sur la maréthermique.
Les Etats-Unis ont commencé en 1964 à s’ intéresser à l’ énergie thermique des mers et ils ont intensifié les études sur ce sujet depuis 1971. Bien que situés en dehors de la zone intertropicale, les Etats-Unis disposent en effet d’ un atout majeur dans ce domaine : leur côte sud-est est léchée par le Gulf Stream
Mais que les usines maréthermiques soient sur la terre ferme ou sur un support marin, leur faible rendement imposera toujours de construire des installations gigantesques si on veut produire des quantités intéressantes d’ énergie électrique à partir de modestes différences de températures. L’ importance des investissements pourra-t-elle être compensée par la gratuité du "combustible" ? Selon de toutes premières évaluations provisoires, les Américains pensent que le prix du kilowatt "maréthermique" installé pourrait être compris entre 500 et 800 dollars (2 350 à 3 760 francs), alors qu’ ils estiment à 400 dollars au moins (1 880 francs) le prix du kilowatt nucléaire installé.
Les tenants de l’ énergie thermique des mers font cependant remarquer que celle-ci est constante et que le pompage d’ eau profonde, froide et riche en éléments minéraux, pourrait amener le développement de stations annexes d’ aquaculture. Ils pensent aussi que les usines maréthermiques pourraient être utilisées également pour le dessalement de l’ eau de mer ou pour le conditionnement de l’ air.
Consommation annuelle moyenne d’ un ménage : France, 1438 kWh ; Grande-Bretagne, 4 370 kWh ; Etats-Unis, 7 400 kWh.
Puissance moyenne d’ une "tranche" de centrale ; thermique, 700 MW ; nucléaire, 1 000MW ; hydraulique, très variable, la plus grande centrale hydraulique française (Roselend) a une puissance installée de 480 MW.
Puissance installée totale des centrales françaises ; thermiques, 24 100 MW ; nucléaires, 2 900 MW ; hydrauliques, 16 200 MW (y compris les 240 MW de l’ usine marémotrice de la Rance).
Coût d’ une centrale (exprimé par le prix du kW installé) ; thermique, 833 F ; nucléaire, 1 380 F.
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