Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
21/11/74
L’ économie américaine repose sur une montagne de 2 500 milliards de dollars de dettes , faite des masses de voitures, de maisons, d’ usines et de machines qui ont fait de notre économie la plus riche et la plus puissante de l’ histoire.
Les chiffres défient l’ imagination : 1 000 milliards de dollars d’ endettement des sociétés, 600 milliards de crédits hypothécaires, 500 milliards d’ emprunts du gouvernement américain, 200 milliards d’ endettement des particuliers. Pour soutenir trente années de croissance économique, ce pays s’ est endetté chaque jour à un rythme de 200 millions de dollars jour après jour depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Deux questions décisives doivent être posées :
- les dettes actuellement contactées pourront-elles être honorées ou refinancées à leur échéance ?
- sera-t-il possible de continuer à s’ endetter à un rythme suffisant pour soutenir la croissance que nous avons connue depuis la fin de la guerre ?
Il ne fait pas de doute que l’ économie américaine continuera à être une énorme dévoreuse de capitaux nouveaux... Et pourtant l’ endettement est déjà plus élevé que jamais dans le passé. Pour chaque dollar qui circule, il y a environ 8 dollars de dettes, soit plus du double qu’ il y a vingt ans. L’ endettement des entreprises est quinze fois plus élevé que leurs bénéfices après impôts, contre huit fois seulement en 1955 . L’ endettement des ménages atteint 93% du revenu disponible contre 65% en 1955. Les banques américaines ont prêté à l’ étranger des milliards de dollars qui n’ existaient même pas en 1955...
Jamais cette économie fondée sur l’ endettement n’ a été plus fragile, car jamais un nombre aussi dramatiquement élevé de prêteurs et d’ emprunteurs ne s’ est trouvé dans une situation aussi précaire...
Les Américains ont jusqu’à présent supporté cet énorme fardeau de dettes en escomptant que leurs revenus personnels et les profits des sociétés continueraient à s’ accroître d’ année en année, et que la politique gouvernementale ne cesserait pas être expansionniste. mais l’ inflation, tout en renforçant puissamment le besoin d’ emprunter, a laminé la fraction des revenus - ceux des particuliers comme ceux des entreprises - destinés aux remboursements des dettes. Par ailleurs, la poursuite d’ une politique économique expansionniste ne pourrait qu’ aggraver l’ inflation.
Le fait est que les autorités gouvernementales sont prises en tenaille : d’ un côté, pour combattre l’ inflation, elles doivent mettre en oeuvre des politiques restrictives, tout en sachant que, de l’ autre, ces politiques risquent d’ écraser à la fois les prêteurs et les emprunteurs...
D’ où les hésitations des autorités fédérales et de la Maison-Blanches, qui semblent incapables de se déterminer ni dans un sens, ni dans l’ autre, ces politiques risquent d’ écraser à la fois les prêteurs et les emprunteurs...
D’ où les hésitations des autorités fédérales et de la Maison-Blanche, qui semblent incapables de se déterminer ni dans un sens, ni dans l’ autre. Leurs hésitations ont un effet dévastateur sur l’ économie. les mesures restrictives donnent à penser que la croissance va fortement diminuer. mais, si tel est le cas, on peut aisément prévoir que l’ économie ne parviendra plus à se procurer les capitaux qui lui sont nécessaires dans les prochains mois et les prochaines années. On peut prévoir également qu’ il se trouvera nombre d’ emprunteurs incapables d’ honorer leurs engagements à l’ échéance.
Au cours des dernières semaines, des sociétés comme Avco-Corp, Omega-Alpha Inc., Pan American ont pris les plus grands risques et ont connu de graves difficultés. Et ce n’ est là que le sommet visibles d’ un iceberg immense et dangereux. john Whitehead (Goldman, Sachs and Co) estime que " le rapport entre l’ endettement et les fonds propres des sociétés industrielles s’ est élevé de 25 à 40% en dix ans ". Il ajoute : " Cette hausse est très inquiétante, car les sociétés, comme l’ économmie dans son ensemble, reposent trop loourdement sur de l’ argent emprunté. Un retournement des affaires pourrait jeter bas tout l’ édifice..."
Par ailleurs, dans les comptes des sociétés, le rapport entre les bénéfices bruts et l’ intérêt du capital emprunté baisse très rapidement. Dans l’ industrie manufacturière, il était de 12,7 en 1965. A la mi-1971, il était tombé à 3,5. Et il est certainement beaucoup plus bas encore aujourd’hui. Dans ces conditions, circonstance aggravante, les investisseurs sont de plus en plus hésitants à s’ engager à long terme. Comme la demande de capitaux est de plus en plus forte, le marché est de plus en plus sélectif...
De quelque manière qu’ on prenne les choses, on doit admettre que les sociétés américaines, comme d’ ailleurs leurs bailleurs de fonds, sont devenues extraordinairement vulnérables. Les propriétaires de capitaux, inquiets, achètent de moins en moins d’ actions. L’ incertitude est de plus en plus grande quant à la capacité de nombreuses grandes sociétés d’ assurer le service de leur dette à long terme, comme, d’ ailleurs, d’ obtenir le report de leurs échéances, même si les autorités fédérales assouplissent le crédit...
Il est vrai que, jusqu’à ce jour, peu nombreuses sont les grandes sociétés contre lesquelles un jugement de faillite a été prononcé... Mais la plupart des créanciers s’ efforcent désespérément d’ éviter d’ en venir à une telle extrémité. A la fois parce que les règlements peuvent traîner indéfiniment, comme dans le cas de la Penn central... Mais aussi parce que les actifs d’ une société en faillite ne valent que tant que cette société est en mesure de les exploiter elle-même. Ils valent plus rien s’ ils sont saisis comme gage par les créanciers. Comme on l’ a dit à Wall Street : "On voit mal ce que les banques pourraient faire d’ un parc de Boeings 747."
Il est impossible de dire, de l’ inflation ou de la récession, où se trouve la menace la plus grave...
L’ économiste Fiero, de la Chase, prévoit qu’ une récession modérée. Mais il avertit : "Si le ralentissement devait se prolonger ou s’ accentuer, il ne fait pas de doute que la capacité d’ assurer le service de la dette deviendrait un véritable problème" Barry Bosworth, de l’ Université de Californie, prononce cette mise en garde : "Si nous entrons dans une dépression majeure, les entreprises risquent de ne pouvoir ni honorer ni repousser leurs échéances. La structure financière est telle que le système ne saurait supporter une récession comme par le passé. " Herbert Neil, vice-président du Harris Trust de Chicago, est plus catégorique : "Un retournement important de l’ activité entraînement des faillites et des banqueroutes en nombre beaucoup plus important que jamais dans les trente dernières années."
On en arrive en fait à prévoir le pire : le spectre d’ une réaction en chaîne, où la défection des emprunteurs entraînerait les prêteurs à la faillite, plongeant ainsi le monde dans une profonde dépression.
Certes, nous ne sommes pas dans les années trente. Les gouvernements et les banques centrales sont mieux outillés et plus désireux d’ aider les banques en difficulté, comme on l’ a vu dans le cas de la Franklin National ou de la banque Herstatt. mais les sommes engagées sont infiniment plus grandes qu’ en 1930. Le plus grand risque est peut-être couru sur les milliards de dollars qui ont été prêtés à des institutions ou à des pays dont la capacité de rembourser se trouve brutalement compromise du fait de la hausse des prix du pétrole.
On a des raisons de douter, non seulement de la capacité de rembourser de telle ou telle société ici ou là, mais de tous les pays en voie de développement qui se sont endettés, et même de puissance comme l’ Italie, qui a emprunté 10 milliards de dollars sur les marchés financiers privés internationaux. Ce sont là des sommes qui sont dues à des banques dont la trésorerie propre est souvent dangereusement étroite. Si un emprunteur colossal comme l’ Italie ne parvenait pas à faire face à ses obligations - et le risque est très réel - il pourrait s’ ensuivre l’ écroulement de grandes banques à un rythme tel que les banques centrales ne seraient pas en mesure de faire face. De toute façon, un moratoire sur les dettes italiennes entraînerait un mouvement mondial de contraction du crédit...
Le résultat final de la crise sera d’ éclaicir brutalement les rangs de ceux qui peuvent emprunter comme de ceux qui peuvent prêter. Il n’ est pas une loi antitrust au monde qui empêchera que des richesses de plus en plus grandes se concentrent dans des mains de moins en moins nombreuses . Seuls les plus grands et les plus solides survivront...
Tout le monde reconnaît qu’ il est dangereux pour une société de s’ endetter plutôt que d’ accroître ses capitaux propres de l’ économie américaine est si grande et l’ offre si faible qu’ il est improbable que les besoins puissent être satisfaits, james Needham, président du New York Stock Exchange, estime que les capitaux propres des sociétés américaines devront augmenter de 450 à 700 milliards de dollars au cours des douze prochaines années, soit un accroissement d’ environ 50 milliards par an... Or, dans les années favorables, comme 1971 ou 1972, le marché n’ a fourni que 13 milliards de dollars, et seulement 4,2 milliards en 1974.
DE...
CAPITAUX FICTIFS
Pourra-t-on avoir recours à l’ euro-marché ?
Les émissions d’ euro-obligations qui étaient de 6,3 milliards de dollars en 1972 sont tombées à 4,2 milliards en 1973 et à 1,2 milliards pendant les neuf premiers mois de cette année, selon la banque Morgan.
Mais les euro-marchés ont couvert la différence en multipliant les crédits bancaires renouvelables, c’est-à-dire des crédits à court terme reconductibles tous les six mois à des taux révisables... Au cours des six premiers mois de 1974, les banques intervenant sur l’ euro-marché ont accordé plus de 20 milliards de dollars de crédits de ce type aux sociétés et aux gouvernements, soit des sommes proches de maximum de 1973. Le total de l’ endettement ainsi constitué depuis 1970 atteint 60 milliards de dollars... Mais ce procédé présente un immense danger, dans le mesure où les dépô^ts sur le marché de l’ euro-dollar sont à terme de quelques jours ou de quelques semaines, tandis que les emplois des emprunteurs sont à terme de plusieurs années.
Si l’ offre de capitaux tend à se tarir, la demande tend au contraire à augmenter... Il faudra plus de 200 milliards de dollars d’ argent frais pour supporter l’ économie américaine en 1974.
Et, si l’ on regarde plus loin, les besoins en capitaux de l’ économie US d’ ici à 1985 atteindront 4 700 milliards de dollars... Sera-t-il possible de lever de telles sommes autrement qu’ en aggravant encore l’ endettement de l’ économie ? Ce sera d’ autant plus difficile qu’ il ressort de l’ état des bourses des valeurs que les sociétés sont malades et qu’ elles sont précisément malades du fait de leur endettement excessif. L’ effondrement récent des cours en Bourse témoigne plus éloquemment que tout autre facteur de l’ extraordinaire aggravation récente de l’ endettement continue à s’ accroître au rythme actuel, les intérêts ne vont pas tarder à dépasser le niveau du montant total des dividendes et des réserves. En ce cas, les sociétés deviennent hautement vulnérables. Elles n’ agissent plus au compte de leurs actionnaires, mais de leurs créanciers...
Selon l’ étude de New York Stock Exchange, le total des investissements industriels d’ ici à 1985 devrait se montrer à 2 650 milliards de dollars. Si cette somme doit être financée dans les mêmes proportions que ces dernières années, on peut estimer que les capitaux propres des sociétés augmenteront de 500 milliards, mais leur endettement de 750 milliards. Or le fardeau d’ une telle dette conduirait très certainement, et bien avant 1985, la plupart des sociétés américaines à la faillite. C’ est inacceptable.
Ne pas s’ engager dans cette voie, c’ est choisir l’ autre terme de l’ alternative : réduire les investissements. Mais, en ce cas, pour ramener l’ endettement à des niveaux raisonnables, il faudrait accepter un tel niveau de chômage et une telle dislocation du commerce mondial que cette orientation est tout aussi inacceptable.
Aujourd’hui, aux Etats-Unis, le fardeau de la dette ressemble à un fil tendu à l’ extrême : l’ endettement atteint 2 500 milliards de dollars ; les besoins en capitaux sont de plus en plus importants pour permettre à l’ économie de continuer à croître ; mais la capacité des emprunteurs d’ honorer leurs échéances est de plus en plus douteuse. Le fil n’ a pas cassé. Peut-être ne cassera-t-il pas. Toutes les énergies des économistes, des fonctionnaires, des prêteurs et des emprunteurs vont être mobilisées au cours des prochaines semaines et des prochains mois pour éviter qu’ il ne casse. Mais personne ne connaît précisément le point de rupture. Et personne ne sait non plus comment diminuer la tension.
Nos lecteurs trouveront dans cette page de larges extraits d’ un document remarquable. Il s’ agit de la grande étude qu’ a publiée le 12 octobre l’ hebdomadaire américain "Business Week" sur l’ endettement massif des entreprises et de l’ Etat US, et sur les conséquences catastrophiques que cette situation risque d’ entraîner à court terme. Rédigée à partir des rapports des banquiers et des chefs d’ entreprises américains, et destinée à ces mêmes personnes, l’ étude de "Business Week" dresse un tableau véritablement hallucinant de cette "montagne de papier" susceptible de s’ effondrer à tout instant, sur laquelle repose la "prospérité" occidentale, inutile de chercher ailleurs les creuses de la nouvelle fièvre sur l’ or, qui vient de porter les cours de ce métal à plus de 190 dollars l’ once, soit près de 5 fois son cours officiel. Toutes les monnaies sont menacées d’ effondrement. Le papier flanche déjà...
Certes, les auteurs se limitent à un constat clinique de la situation qu’ ils appréhendent au travers des livres de comptes des grandes sociétés et des banques US, ils sont incapables de mettre ce constat en relation avec les lois du capital et de l’ impérialisme entré dans sa phase de décomposition. Ils ne comprennent pas le caractère nécessaire, inévitable de la forme qu’ a prise l’ accumulation capitaliste depuis la Seconde Guerre Mondiale, fondée sur un énorme parasitisme, où les dépenses militaires ont joué le rôle essentiel. Ce qui se traduit par le fait que, pendant que le produit national brut US, de 1946 à 1974, était multiplié par 5, l’ endettement des entreprises était multiplié par 11, celui des particuliers par 35, mais celui du gouvernement et des agences fédérales qui dépendent de lui par 70.
Néanmoins, leur constat est infiniment plus précis que les dissertations lénifiantes d’ économistes distingués comme Ernest Mandel ("Le Monde Diplomatique", novembre 1974) sur les "cycles" et la "récession".
Conclusion des banquiers US : "Rien n’ a jamais été entrepris d’ aussi difficile dans l’ histoire récente qui puisse se comparer à la tâche qu’ il va nous falloir accomplir pour faire accepter aux gens (lisez aux travailleurs) la réalité nouvelle, il y a d’ ailleurs de graves raisons de douter que l’ on y parvienne."
Telle est la toile de fond sur laquelle se développe la crise de tous les systèmes politiques des bourgeoisies occidentales, à commencer par le bonapartisme décomposé de Giscard d’ Estaing. Tout leur échappe.. Seule la classe ouvrière, combattant pour le pouvoir politique, peut dégager une solution qui évite que l’ effondrement prévisible de cette montagne de papier n’ entraîne l’ humanité à la catastrophe.
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