Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
L’ Unité 18/10/74
La mission traditionnelle des services publics pris en charge par l’ Etat était d’ assurer au mieux un certain nombre de fonctions économiques et sociales dans l’ intérêt de chacun et de la collectivité. Du XIXe siècle à la Libération inclue, le secteur public a connu une extension liée aux périodes historiques de forte pression populaire. Le capitalisme accepte mal de voir lui échapper ainsi des secteurs clés de l’ économie dont certains représentent des sources énormes de profit. Les gouvernements successifs de la Ve République, surtout 1968, ont facilité la privatisation de ces profits, réclamée par les grands monopoles. L’ Etat continue cependant de prendre en charge les activités non rentables délaissées par le privé, tout en clamant la nécessité de les rentabiliser ; "l’ Unité" s’ attache à démonter les mécanisme de ce racket, sous forme d’ un dictionnaire. Nous avons traité la semaine dernière l’ enseignement et les autoroutes. Voici la suite de cette enquête qui doit se poursuivre au cours des semaines à venir.
C.e.a.
"Heureusement qu’ il reste la bombe. Et la Recherche. Il est toujours difficile d’ admettre que l’ on survit grâce aux activités militaires, mais c’ est pourtant le cas..." La boutade amère de cet employé du Commissariat à l’ Energie atomique (C.e.a.) résumé bien la situation. Au fil des années, le C.e.a. - qui a été créé en 1945 - a perdu une bonne part de sa substance. Cette déperdition ne s’ est pas faire au hasard. Outre les aspects militaire, la recherche - ça coûte cher - est restée "dans la maison". Mais chaque fois qu’ une technologie a été mise au point, un produit élaboré, bref que cette recherche a abouti - exception faite pour le domaine militaire, où le secret complique les choses - chaque fois qu’ il s’ est agi de "commercialiser", le C.e.a. s’ est effacé. Au profit d’ une filiale. Et d’ une filiale où se retrouvent, en position de force, comme par hasard, les représentants des grandes firmes.
Ce fut le secteur "mines" qui, le premier, eut des perspectives sérieuses. Avant toute chose, il fallait de minerai. Arrivèrent donc - entre autres - Péchiney-Ugine-Kulhmann. Le Nickel, Penarroya, Saint-Gobain. Le C.e.a. fournissait la technologie, l’ argent, la clientèle ; les autres, les présidents et les membres des conseils d’ administration est composé de deux représentants de Péchiney, d’ un représentant du Nickel et seulement de deux représentants du C.e.a. Le président du conseil d’ administration de cette société est donc le représentant... de Péchiney.
Après les mines, il y a eu le traitement du minéral. Pour ces deux secteurs, 29 filiales furent créées. Ce n’ était là qu’ un début. Le nucléaire, à part ses aspects militaires, c’ est, pour l’ instant, les centrales. Seulement il ne fallait pas griller les pétroliers. Au cours des années 60, ceux-ci, en jouant le pétrole à la haisse, ont réussi à freiner le programme nucléaire français. Puis à faire condamner la filière française . Les équipes furent alors démantelées, la filière américaine fut choisie. Le C.e.a. avait travaillé en vain.
Le potentiel technologique du C.e.a. n’ était pourtant pas réduit à zéro. Les entreprises privées se sont intéressées à toutes les retombées des recherches : de la vente des brevets à l’ informatique, en passant par la mise au point de la deuxième génération de centrales - les surgénérateurs - de nouvelles sociétés "mixtes" ont été créées. Aujourd’hui, 52 firmes exploitent des recherches, les découvertes ou les besoins du C.e.a.
La technique employée pour arriver à ce résultat est originale. Tant qu’ il s’ agit de recherche le C.e.a. travaille Seul. Dès qu’ un secteur va devenir rentable, "on" sort le service en question du C.e.a reste majoritaire, en hommes et en participations. Mais les nouvelles embauches ne sont pas des embauches C.e.a. Et, au fur et à mesure que la rentabilité se précise, la part en capital est modifiée. Peu à peu, les firmes privées deviennent "propriétaire" de la société.
Ce schéma, appliqué à plusieurs reprises, a toujours donné de bons résultats. En ce moment deux anciens services du C.e.a. en sont au passage du "privé majoritaire" : l’ informatique, qui a donné naissance à la C.i.s.i., et le département de construction des piles, qui a donné naissance à Technicatome.
Reste au service public, qui fonctionne grâce aux dotations de l’ Etat, à poursuivre ses recherches. Et chaque découverte sera pratiquement à titre gratuit - transmis à l’ industrie privée, par l’ intermédiaire des sociétés satellites mises en place. L’ Etat ayant pris en charge les risques, les entreprises privées prennent en charge - si l’ on peut dire - le plus gros des bénéfices.
O.r.t.f.
Marcel Bluwal le dit fort justement : "la télévision privée, ça n’ existe pas. Ce qui existe, c’ est une structure privée de fabrication d’ émissions et d’ utilisation de fonds publics pour les fabriquer." C’ est en 1964 que Claude Contamine et la direction générale de l’ O.r.t.f. ont institutionnalisé ce processus en décidant de céder la fabrication des feuilletons au cinéma privé. Le système a été pudiquement appelé coproduction. En fait, l’ O.r.t.f. finance plus de la moitié du coût feuilleton."En échange de son apport financier, qui en fait le principal producteur, l’ O.r.t.f. n’ a qu’ un seul droit, celui de passer le film sur les antennes françaises". Car c’ est le producteur privé qui le vend à l’ étranger et qui encaisse les bénéfices.
Tant que l’ O.r.t.f. a été juridiquement et théoriquement un monopole- jusqu’à la loi du 7 août 1974, qui a fait voler l’ Office en éclats - les incursions du secteur privé dans le service public ne se sont pas limitées à la seule coproduction. Une loi de juillet 1973, précisant les accords P.t.t.-O.r.t.f, a amené la création de la Société française de télé-distribution ; c’ est une société mixte, c’est-à-dire alimentée en capitaux privés, mais subventionnée directement par l’ O.r.t.f. et les P.t.t. ; ses missions , étant essentiellement de type expérimental, s’ effectuent grâce au concours d’ un certain nombre de sociétés privées récement créées pour tirer bénéfice de l’ expansion actuelle du marché de l’ audiovisuel. Ces sociétés s’ appellent Multi-Vidéo, Télétude, Vidéo-Cités, etc. Bref, en l’ occurrence, l’ O.r.t.f., a joué le rôle de rabatteur et de collecteur de fonds publics au seul bénéfice de "boîtes" privées... qui travaillent, dans la plupart des cas, en liaison étroite avec des entreprises américaines spécialisées dans la télévision par câbles.
Aux exemple : Vidéogramme de France. Il s’ agit là d’ une société anonyme mixte groupant l’ O.r.t.f. et Hachette. Si apparemment l’ O.r.t.f. y semble majoritaire, un examen attentif de la composition du conseil d’ administration prouve le contraire. Puisque des maisons privées telles que Protélépresse et Vidéo-Presse y siègent.
Aussi significative est la composition du conseil d’ administration de la Sofratev (Société française d’ étude et de réalisation d’ équipements de radiodiffusion et de télévision) : aux côtés de l’ O.r.t.f., 12 établissements publics et privés siègent dans cette société mixte. Jusqu’à ces derniers jours, son P.d.g. était Jean Autin a réguliérement confié l’ exploitation des travaux de la Sofratev à Thomson et à Schlumberger. On peut d’ ailleurs se demander ce qui a obligé l’ O.r.t.f à traiter Thomson et Schlumberger en fournisseurs prioritaires de l’ Office.
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