Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
Page 20 - LE MONDE -
Replacer le problème énergétique dans le mouvement de la civilisation ; dénoncer le passéisme des planificateurs qui, au lieu de s’adresser à l’imagination sociale, confondent croissance et développement, plus et mieux, le passé et l’avenir ; récuser l’arrogance des économistes et techniciens assurant posséder des critères prétendument objectifs pour la prise de décisions éminemment politiques...
Nous voilà bien loin du premier ouvrage, fort remarqué à l’époque, de l’auteur : l’Energie et le désarroi post-industriel
Dès le début du livre, Puiseux engage le lecteur dans un galop à travers l’histoire pour dégager les rapports entre l’énergie et la civilisation. Et montrer que l’agriculture néolithique et le paysan de 1789 disposaient de la même quantité d’énergie par tête. La consommation de l’énergie en Europe au dix-huitième siècle a été évaluée par Braudel à 12 kilos d’équivalent charbon par tête (à comparer avec 5 tonnes aujourd’hui). L’accélération brutale de la consommation énergétique est un phénomène récent, et il n’y a aucune raison de vouloir l’extrapoler pour l’avenir. Suit un rappel de l’ère révolue de la pétroprospérité et le roman feuilleton du prétendu affrontement entre l’OPEP et les sept soeurs, et des manoeuvres subtiles en coulisses des Etats-Unis. L’auteur a raison de conclure que l’Europe et le Japon et (plus encore, le quart-monde), ont été les dindons de la farce, ainsi que de prévoir comme conséquence de la nouvelle configuration et de l’épuisement progressif du pétrole une tendance à la hausse des prix de l’énergie.
Cela reste vrai même si l’échéance à laquelle nous manquerons de pétrole s’avère être repoussée de quelques décennies par rapport aux prévisions citées.
Un nouveau Concorde
Le chapitre sur l’âge nucléaire est une dissection impitoyable des incohérences de notre politique : abandon prématuré de la filière française : ironie d’une politique qui au nom d’indépendance énergétique fait entièrement dépendre l’industrie française d’équipements nucléaires d’une licence Westinghouse : par surcroit, parmi deux cents filières théoriquement possibles, cinquante expérimentées, douze poussées jusqu’à l’échelle industrielle, acceptation du réacteur à eau légère (L.W.R.), qui laisse à désirer sur le plan économique (il est très vorace en uranium) et celui de la sécurité et qui, en fait, n’a pas été conçu à l’origine pour produire de l’électricité, mais pour propuiser les sous-marins de la Navy américaine... Du coup la France se voit acculée au développement rapide du surrégénérateur. Un nouveau Concorde ?
Psychanalyse
du nucléaire
Pire que ça, "Pour résoudre un problème économique à court terme... l’électronucléaire ne tire-t-il pas une traite de portée géologique sur l’avenir de la planète ?" (p.150). Et qui plus est, une traite inutile. Si Puiseux reste assez réservé sur les énergies renouvelables, tout au moins à court et moyen terme, et s’il ne s’engage pas dans scénario chiffré de l’option non nucléaire à l’exemple de ce que Lovins
C’est à une véritable psychanalyse du nucléaire que Puiseux se livre pour montrer qu’il constitue une gamme de symboles repoussoirs.
Mais le polémiste Puiseux est à son mieux dans l’attaque virulente contre les prétendues raisons économiques, le réductionnisme qui ramène le qualitatif au quantitatif, la vision linéaire et simpliste du progrès (plus, c’est mieux), les fausses optimisations faites à coups de prix "objectivement déterminés". ("Un prix objectivement déterminé, c’est le sexe des anges", p.229). Et il accuse le politique d’abdiquer sa responsabilité et de laisser l’"algorithme d’optimisation" envahir la gestion sociale tout entière.
Bien qu’il prenne à la fois position contre les partisans de l’universalisation de l’american way of life, du socialisme à la sauce stalinienne et des rêveries conviviales et bucoliques de certains écologistes, Puiseux n’échappe pas à son tour à une certaine idéalisation des sociétés primitives sans Etat et de la convivialité villageoise, évoquées avec lyrisme.
L’Etat est-il vraiment mort à Hiroshima ? On le lui pardonnera d’autant plus facilement que l’essentiel de son message est ailleurs : mettre les Français devant leurs responsabilités les adjurer de se plonger dans le débat énergétique, les amener à prendre une position tranchée sur les choix fondamentaux en espérant qu’ils feront peser leurs voix pour éviter l’irréversible. Et que les surrégénérateurs resteront des Babel inachevées.
IGNACY SACHS,
directeur du Centre international
de recherche sur l’environnement
et le développement.
La Babel nucléaire, énergie et développement, de Louis Puiseux. éditions Galilée, Paris, 1977, 303 p.45 F.
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