Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
dépassant 25 dollars le baril"
NOUS DECLARE LE CHEIKH YAMANI
Des centaines de soldats, de marins et de policiers ont été mobilisés pour une gigantesque opération de sécurité, destinée à protéger les participants à la conférence. Les treize délégations sont arrivées et ont été transportées par hélicoptère jusqu’au luxueux hôtel Melia, transformé en véritable camp retranché, entouré d’ un cordon de sécurité qui inclut véhicules blindés et vedettes de la marine de guerre.
Si, en novembre, le président vénézuélien, M. Carlos Andres Perez, avait cru pouvoir annoncer que la hausse du prix du pétrole oscillerait entre 5 et 8%, la position des pays qui, comme l’ Arabie Saoudite, prônent un gel des prix semble s’ être consolidée ces dernières semaines.
Interrogé par les quatre journaux qui publient le supplément mensuel "Europa" ("le Monde", "la Stampa", "The Times" et "Die Welt"), le ministre du pétrole d’ Arabie Saoudite, le cheikh Ahmed Zaki Yamani, a répondu à nos questions, à la veille de l’ ouverture de la conférence à Caracas.
"Excellence, vous êtes, aux yeux de Occidentaux, l’ homme qui défend une politique des prix du pétrole raisonnable. Ont-ils raison de continuer à supposer que vous adopterez la même attitude à la conférence de l’ OPEP à Caracas le 20 décembre ?
- Oui, nous ne perdrons pas de vue l’ économie occidentale. C’ est la raison pour laquelle nous demanderons que les prix du pétrole pour 1978 soient gelés.
- La stagnation de l’ économie dans le monde permet-elle réellement une augmentation des prix du pétrole ou bien prévoyez-vous que ladite augmentation sera vite absorbée par le fait que certains pays de l’ OPEP vont chercher à stimuler les ventes de pétrole en accordant des remises sur les prix officiels ?
- Dans la situation actuelle du marché, il y a un léger surplus de fait des méthodes de vente. Nous reconnaissons le fait.
- Peut-on envisager une entente sur une diversification des prix du pétrole, les pays industrialisés riches payant pour les pays en voie de développement pauvres ?
- Nous tenons à ce qu’ il y ait un prix unique pour tout le monde, et ensuite nous essayons d’ aider les pays en voie de développement par des prêts et des aides financières.
- Le prix du pétrole du Golfe se situe à environ 12,5 dollars par baril. Pouvez-vous prédire à quel niveau il s’ établira en 1980 et en 1990 ?
- Il y aura une augmentation du prix du pétrole en 1980 et celle de 1990 sera importante. Cependant, le niveau des prix entre-temps dépendra de divers facteurs, tels que :
" a) Le succès des consommateurs dans le stockage.
" b) L’ état de l’ économie mondiale.
" c) La place prise par les énergies de remplacement.
" d) Le nombre de champs de pétrole découverts à ce moment.
" e) Le niveau de la production en Arabe Saoudite.
" Il serait prudent de prévoir en 1990 un prix du pétrole dépassant 25 dollars de baril.
- Les cartels ne peuvent se maintenir que lorsqu’ils exercent un contrôle strict des produits et qu’ ils sont par conséquent en mesure de fixer les prix de l’ offre et de la demande. A présent que le monde a un surplus d’ énergie, ne pensez-vous pas que l’ existence de l’ OPEP s’ en trouve menacée ?
- Pas du tout. Ce surplus provient de la volonté de l’ Arabie Saoudite d’ avoir une production supérieure à ses besoins financiers. Cela permet un ajustement souple au niveau minimum de la production en fonction des forces en présence sur le marché. Aucun danger ne menace l’ OPEP.
- Toutes les prévisions sérieuses s’ accordent sur le triplement des besoins mondiaux en énergie vers l’ an 2000, en dépit de toutes les mesures économiques. Ne pensez-vous pas que l’ insuffisance des fournitures de charbon et d’ énergie nucléaire pour couvrir la demande va entraîner un gaspillage dans l’ exploitation des réserves pétrolières ?
- L’ économie mondiale se stabilisera définitivement en fonction des disponibilités en énergie et il se peut qu’ elle souffre beaucoup d’ une forte pénurie. C’ est pourquoi, afin d’ éviter une dépression économique, nous devons éviter tout gaspillage d’ énergie et nous efforcer d’ utiliser d’ autres sources énergétiques.
- Dans la mesure où les pays de l’ OPEP ne sont pas en mesure de couvrir toutes les demandes, l’ OPEP devra-t-elle mettre sur pied un cartel des quotas assorti de sévères contrôles des prix, et ce à l’ encontre des intérêts divergents de certains de ses membres (l’ Arabie Saoudite et l’ Iran, par exemple).
Il est difficile de prévoir des maintenant quelle sera la politique des différents producteurs de pétrole en ce qui concerne la réponse à la demande des consommateurs. Néanmoins on peut dire que les facteurs politiques joueront un rôle important.
- L’ Europe a une capacité de raffinage inemployée d’ environ 250 millions de tonnes. Les pays de l’ OPEP ont-ils de ce fait intérêt à entreprendre l’ installation de raffineries chez eux ?
- La plupart des raffineries européennes ont besoin d’ améliorer leurs rendements et leur adaptation au traitement des bruts lourds. C’ est pourquoi l’ exportation de raffineries dans les pays producteurs les rendra plus compétitives. Elle permettra en outre le remplacement de certaines raffineries européennes qui seront démolies.
- Pourquoi les pays de l’ OPEP hésitent-ils à participer à des "joint ventures" sur des raffineries en Europe, par exemple, et à s’ occuper ainsi de la commercialisation du pétrole en plus de sa production ?
- Parce que nous avons
- On a souvent dit que les sociétés pétrolières internationales ont été à l’ origine réelle de l’ explosion des prix du pétrole pendant l’ hiver 1973-1974. Etes-vous en mesure de réfuter définitivement cette rumeur et de mettre ainsi en relief l’ indépendance de l’ OPEP ?
- Les compagnies pétrolières internationales ont fait d’ énormes profits en 1973 et 1974 à cause des fortes augmentations des prix du pétrole, et les gouvernements des pays producteurs ont corrigé cette situation en augmentant le taux des taxes et le niveau des royalties. Il faut bien dire que les compagnies pétrolières n’ ont rien eu à voir dans cette décision d’ augmenter les prix du pétrole.
- Les automobilistes européens ont déjà oublié la pénurie de pétrole ainsi que les restrictions de circulation dominicales d’ il y a trois ans. Ils appuient à nouveau sur l’ accélérateur. Or, Excellence, vous qui avez par le passé justifié la politique des prix de l’ OPEP en insistant sur le fait qu’ elle aurait un effet restrictif sur la consommation de pétrole, que pensez-vous de la validité d’ une telle appréciation ?
- Oui, il semble que le niveau actuel du prix du pétrole ne soit pas assez élevé pour être dissuasif.
- Pendant le dialogue Nord- Sud, certains pays producteurs de manières premières se sont entendus pour former une association semblable à l’ OPEP, qui devrait leur permettre de fixer eux-mêmes les quantités et l’ augmentation des prix en tant que cartel. Cela ne signifierait-il pas la fin de la liberté du commerce international ?
- Pour commencer, chaque producteur de matières premières ne peut pas former un cartel de contrôle des prix. L’ OPEP constitue un cas unique. N’ oublions pas que l’ OPEP, constituée en 1960, n’ a pas été en mesure de décide des prix avant 1973, époque où les fournitures devinrent très inférieures à la demande et étaient, pour la plupart, contrôlées par les pays membres. De toute façon, le concept de liberté du commerce international ne devrait pas être discuté dans le cadre des matières premières. La plupart des pays industrialisés ignorent eux-mêmes ce concept, ce qui contribue à détériorer grandement la situation commerciale et monétaire.
- L’ OPEP va-t-elle, une fois de plus, utiliser son pétrole comme une arme économique ?
- Jusqu’à présent, toutes les indications me portent à répondre par la négative."
Propos recueillis par
Jusqu’où ira la chute du dollar ? C’ est la question que se posent tous les gouvernements en ce mois de décembre 1977. Le redéploiement souhaité par les Etats-Unis depuis l’ été, qui était d’ ailleurs sélectif, puisqu’il visait surtout le yen, n’ est-il pas en train de se transformer en dérapage incontrôlé, atteignant toutes les monnaies sans exception, et en crise de plus en plus difficile à maîtriser, même par les Américains ? Ou alors l’ Amérique veut-elle volontairement, et prenant tous les risques, jouer jusqu’au bout de son arme monétaire, pour forcer l’ Allemagne et le Japon à relancer leurs économies ?
Certes, les gouvernements ont déjà vécu plusieurs péripéties de ce genre, et sont un peu blasés sur ces jeux monétaires. Cependant l’ évolution récente commerce à les alarmer. Ainsi l’ Allemagne, dont la monnaie n’ était certes pas sous-évaluée, loin de là, a vue le deutschemark monter encore plus que le yen, malgré les interventions massives de la Bundesbank. D’ une manière beaucoup moins justifiée d’ ailleurs, car si sa balance commerciale est toujours fortement excédentaire avec un taux de près de 4% du produit national brut, ce n’ est pas le cas de sa balance des paiements courants, qui est beaucoup plus significative. Si la lutte contre l’ inflation en est renforcée, les exportation, en revanche, deviennent de plus en plus difficiles pour des secteurs comme celui de l’ automobile. Plusieurs cris d’ alarme ont été lancés, et la Bundesbank vient de prendre des mesures pour freiner l’ arrivée des capitaux, notamment une baisse du taux d’ escompte de 3,5 à 3%. Quant au Japon, dont le yen était, lui, nettement sous-évalué et la balance commerciale largement excédentaire, il lutte de toutes ses forces contre ces manoeuvres, qui mettent en danger son ambitieuse stragie internationale. Pour la maintenir il a essayé plusieurs moyens successifs. Sans beaucoup de succès ! L’ amélioration n’ a été que transitoire, et les nouvelles mesures édictées le 6 décembre par son nouveau gouvernement (le dollar ayant été la cause du remaniement du précédent) pour accélérer les importations n’ auront probablement, elles non plus, aucun effet décisif.
C’ est que les manoeuvres du dollar, qu’ elles soient intégralement voulues par les Etats-Unis, ou qu’ elles échappent maintenant en partie à leur action - ce qui est probable - sont diaboliques pour ces pays, qualifiés paradoxalement de forts ! Car ils sont enfermés dans un véritable dilemme, coincés entre deux possibilités également préjudiciables ; ou acheter force dollars pour maintenir parité et activité, en prenant les risques de débordement monétaire et d’ inflation. Ou alors lâcher du lest en acceptant la déflation.
Mais au point où en sont arrivés les événements, les autres pays dont les monnaies sont faibles, ou sont supposées le devenir, sont eux aussi menacés. C’ est le cas du franc, sur lequel présent les mauvaises performances de prix de septembre et d’ octobre, ainsi que les nuages politiques qu’ amène le rapprochement des élections de mars 1978. Sa fragilité s’ est accentuée et se remarque surtout à la montée des taux d’ intérêt : le jour le jour est passé d’ un peu plus de 8% à près de 9,5%.
Ce qui est surtout remarquable, c’ est le véritable tournant amorcé par la Grande-Bretagne : il se voit aux réserves qui n’ ont pratiquement plus augmenté d’ octobre à novembre, et surtout aux taux d’ intérêt qui, après une très longue baisse, ont brusquement remonté : le M.L.R. (ou Minimum Lending Rate) est passé de 5 à 7% et le prime rate de 6,5 à 7,5%. Il est vrai qu’ ils étaient arrivés à des niveaux artificiellement bas !
Ainsi le dollar, dans son dérapage, menace tous les pays, avec des risques qui ne sont pas négligeables pour les prix et l’ activité. Ne voit-on pas les indices de prix internationaux de matières premières commencer depuis peu à remonter ? Quant aux producteurs de pétrole. Ils pourraient peut-être revenir sur leur intention de gel du prix du baril, au cas où la dégringolade du dollar persisterait.
Le gouvernement américain n’ a pas l’ air pour le moment de s’ en émouvoir beaucoup, fidèle à sa vision des choses qu’ a illustrée en son temps une comparaison plaisante de Milton Friedmann (qui, sous Nixon, en a été le principal inspirateur). Pourquoi voulez-vous, disait-il, que la queue (le dollar) remue le chien (l’ économie américaine) ? N’ est-il pas plus normal que ce soit le chien qui remue la queue ! Pourtant les Etats-Unis se rendent bien compte que cette stratégie ne sera pas suffisante, quelles que soient les réactions de leurs partenaires, qu’ ils laissent flotter en hausse ou qu’ ils relancent. Il faut qu’ eux aussi s’ y mettent, en réduisant leurs importations de pétrole et en modernisant des industries vieillottes comme la sidérurgie. Le diabolique, c’ est qu’ ils le feront faire par leurs partenaires que la pression du dollar condamnent justement à investir aux Etats-Unis !
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