Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
Page 20 - LE MONDE -
De notre envoyé spécial
Fessenheim, - La "divergence", c’est-à-dire la fission du premier noyau d’uranium, doit avoir lieu lundi 7 mars, à la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin).
Quelques jours plus tard, l’usine fournira de l’électricité. Depuis six ans, l’équipe d’ingénieurs chargée de la construction et de la mise en marche de la centrale attend cet instant capital, plusieurs fois différé pour des raisons techniques et aussi à cause de l’attentat du 3 mai 1975, dont les dégâts ont été estimés à plusieurs millions de francs. Ce samedi, plusieurs marches "antinucléaires" devaient avoir lieu en Alsace.
Dans le petit village de Fessenheim, jusqu’à présent calme
et confiant, à quelques jours de la "nucléarisation", l’inquiétude commence à se répandre. Il n’y a pas si longtemps, on ne voulait voir que "le bon côté des choses". La construction de la centrale créait des emplois, redonnait vie au bourg. Les commerçants, surtout, s’y enrichissaient. La taxe professionnelle- 800 000 F par an - devait arrondir le budget modeste de la commune. "Il faut bien être de son temps, disait-on. On n’arrête pas le progrès."
Au café des Deux Clés, où se retrouvent après le travail les ouvriers d’E.D.F., l’optimisme demeure. Le patron, M.Alain Corrèges, plaide en faveur du nucléaire.
Pourtant le coeur n’y est plus. M.Gilbert Meyer, secrétaire départemental du R.P.R., tête d’une liste à la mairie de Fessenheim, naguère défenseur convaincu d’E.D.F., hésite aujourd’hui. Il souhaite, à son tour, qu’une commission de contrôle apporte toutes les garanties.
A quelques kilomètres du grand bloc de béton où se "cuisine" la fission de l’atome, dans la petite maison de l’éclusier, à Roggenhouse, sept personnes jeûnent depuis vingt-trois jours. Elles protestent contre les méthodes d’information du pouvoir et demandent des garanties : la publication du plan "Orsec-rad" au cas où, des exercices d’alerte dans la population, un contrôle des installations "avant la mise à feu du réacteur". Des revendications raisonnables, largement appuyées par la population. "Au début, on disait "les voyous de là-bas, les squatters", à présent nous comprenons leur lutte. Nous sommes avec eux."
Sept plateaux de chêne
Epuisés, les jeûneurs, qui se traînent du fauteuil au lit, sont régulièrement suivis par les médecins du pays. Des femmes de Roggenhouse viennent faire le ménage, le menuisier du bourg leur a offert sept plateaux de chêne :"Heureux les doux et les pacifiques", a-t-il gravé sur l’un d’eux. Mais le responsable de la construction de la centrale, M.Paul Rousset, a beau affirmer
"Les jeûneurs font ce qu’ils ont à faire, on respecte leur opinion, mais il n’y a aucun rapport entre eux et nous". Pour E.D.F., pour les élus, pour le préfet, les "jeûneurs" sont les "gêneurs".
Leur action n’est pas vaine, même si M.Gabriel Gilly, le préfet du Haut-Rhin, souligne que
"C’est la peur mythique de la bombe atomique qui anime les écologistes, c’est irrationnel. Si j’étais écologiste, dit le préfet, je serais favorable aux centrales nucléaires car elles sont les moins polluantes."
La centrale est entourée d’une double barrière de protection. Jour et nuit, des gardes et des chiens en surveillent les abords. Pour y entrer, les formalités sont sévères, un gardien en uniforme escorte le visiteur ; sur sa casquette, le signe de la radio-activité. Le progrès ne se fait pas sans risque, certes. On comprend tel que l’évolution vers une société plus répressive pour "raison de sécurité" n’est pas le moindre des périls.
Les projets nucléaires des pays riverains - Gerstheim, Fessenhelm, en France ; Messenheim, Whyl en Allemagne ; Kaiseraugst, en Suisse - sont combattus par l’ensemble des populations concernées. "Les vents dominants rabattront la pollution vers l’Allemagne", a voulu rassurer le préfet. C’était ne pas tenir compte de la "petite internationale" qui est en train de naître. "Autrefois, nous tirions les uns sur les autres pour la gloire de nos maîtres, écrit le chanteur alsacien François Brupt, aujourd’hui nous montons ensemble une nouvelle garde du Rhin."
Au nucléaire multinational correspond une protestation sans frontière.
Les jeûneurs de Roggenhouse reçoivent des témoignages de sympathie du monde entier. Dans le pays, un peu partout, chaque week-end, on organise des jeûnes de soutien. Plus personne n’oserait aujourd’hui les accuser "d’aller en cachette au garde-manger".
Aussi la "divergence" au "coeur" de la centrale, qui aurait dû être l’occasion d’une heure de gloire scientifique, se fera-t-elle sans manifestation solennelle. C’est que dans les esprits il y a bien d’autres "divergences" qui, en apportant le doute, "ont tout empoisonné".
CHRISTIAN COLOMBANI.
|
||
Plan du site |