Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
Ryad. - Grand, svelte, drapé dans l’ ample manteau arabe liseré d’ or, la démarche altière, le prince Saoud ressemble à s’ y méprendre à son père, l’ ancien roi Fayçal, assassiné en avril 1975. Le ministre saoudien n’ est âgé que de trente-cinq ans, mais il a le même profil d’ aigle que l’ ancien souverain, le même regard faussement mélancolique la même bauche au contour légèrement retroussé à une extrémité, figeant un rictus imprégné de scepticisme.
Le roi Fayçal, qui avait une affection particulière pour le prince Saoud (le troisième de ses sept fils), l’ avait préparé à assumer de hautes charges dans l’ Etat. Après des études en Suisse et aux Etats-Unis - où il a achevé ses études à l’ université de Princeton, - le prince Saoud a exercé pendant plusieurs années les fonctions de vice-ministre du pétrole. Il a acquis une solide connaissance des affaires internationales avant d’ être désigné après la disparition de son père, à la tête de la diplomatique saoudienne. Tous ceux qui ont eu l’ occasion de traiter avec lui s’ accordent pour lui reconnaître des qualités d’ habileté et de souplesse.
C’ est au cours d’ un déjeuner dans sa résidence privée, meublée luxueusement mais sans ostentation, que le prince Saoud nous a accordé un entretien, évoquant, essentiellement le conflit israélo-arabe et la crise du pétrole. Sur ce dernier point, il est formel : "Nous n’ avons encore pris aucune décision au sujet de l’ augmentation de notre production de brut".
Le prince Saoud ne croit pas à l’ éclatement de l’ OPEP. "Cette Organisation, nous dit-il, a le double mérite d’ être suffisamment robuste pour résister aux tensions internes et particulièrement bien agencée pour résorber à terme les divergences, somme toute naturelles, qui opposent ses membres." Ces divergences, selon lui, ne sont ni fondamentales ni d’ ordre stratégique. "Nous sommes tous d’ accord que les prix du brut devraient être relevés pour atteindre un niveau qui rendrait rentable l’ exploitation de produits de substitution : c’ est le seul moyen d’ épargner à la communauté internationale une pénurie d’ énergie, inéluctable à la longue puisque les réserves pétrolières ne sont pas inépuisables. Nous divergeons uniquement sur le moment et le rythme auquel les prix de revient devraient être relevés pour atteindre le niveau souhaité."
Le prince Saoud ne tente pas de dissimuler le fait que les préoccupations de son gouvernement en la matière ne sont pas exclusivement d’ ordre "technique". "J’ aimerais bien, que quelqu’un m’ indique, nous dit-il d’ un air entendu, la frontière qui séparé l’ économie de la politique. En limitant la hausse du prix du brut, nous contribuons à l’ assainissement de l’ économie occidentale. Nous nous attendons, en échange, que l’ Europe et les Etats-Unis manifestent davantage de compréhension à l’ égard de nos thèses sur le conflit palestinien, sur une question pour nous primordiale puisqu’elle nous empêche de nous consacrer à des tâches de développement dans les pays arabes et de coopération encore plus étroite avec l’ Occident. L’ effort d’ armement auquel nous contraint Israël par sa politique d’ intransigeance nous coûte cher. Outre le fait que nous voulons mettre un terme à l’ effusion de sang, nous cherchons à éliminer un problème qui n’ a cessé depuis trente ans d’ engendrer dans la région instabilité, désordres politiques et économiques. Bref, nous voulons en finir une fois pour toutes avec ce conflit."
devraient comprendre
l’ aspiration des Palestiniens
à un foyer national
"Le gouvernement Israélien, qui demeure sceptique quant à votre sincérité, souhaite que vous la manifestiez d’ une manière concrète...
Les Arabes n’ ont cessé, en particulier depuis la fin de la guerre d’ octobre 1973, de tendre la main de la paix. Les présidents Sadate et Assad ont déclaré maintes fois, explicitement, qu’ ils sont disposés à signer un traité de paix. Ils bénéficient à cet égard du soutien du monde arabe unanime. Une remarquable évolution dans ce sens s’ effectue au sein de l’ O.L.P., qui souhaite, elle aussi un règlement.
"Israël rejette tout accomodement avec Yasser Arafat en arguant qu’ il est un terroriste. C’ est un argument absurde. Ben Gourion, aussi, a été accusé, à l’ époque du mandat britannique sur la Palestine, d’ être un dangereux terroriste. Qu’ Israël l’ admette ou pas, Arafat sera le président du futur Etat palestinien.
Souhaitez-vous l’ établissement d’ un Etat palestinien indépendant, ou partagez-vous l’ opinion du président Sadate selon laquelle l’ entité palestinienne devrait être intégrée dans le royaume jordanien ?
Le président Sadate n’ a pas parié d’ intégration, mais seulement de liens qui pourraient être, en l’ occurrence, de nature économique ou d’ ordre politique. En tout cas, c’ est aux Palestiniens qu’ il revient de décider s’ ils veulent ou non être indépendants. En attendant, je ne comprends pas l’ hostilité des Israéliens à une telle entité. N’ ont-ils pas lutté eux-mêmes pendant des siècles pour se donner un Etat, envers et contre tous, y compris contre la volonté de l’ ensemble du monde arabe ? Mieux que d’ autres, ils devraient comprendre l’ aspiration des Palestiniens à s’ assurer un foyer national."
Le prince Saoud, qui s’ est exprimé tout au long de l’ entretien sur un ton calme, apparemment détaché, poursuit :
"Les Arabes ont opté pour un règlement après avoir surmonté leur problème psychologique à l’ égard d’ Israël. C’ est au tour de ce pays de faire un pas dans la même direction, de décider s’ il veut ou non se faire accepter dans la région. Nous n’ avons malheureusement pas l’ impression qu’ Israël cherche sincèrement la paix. Ce n’ est pas en refusant de se retirer sur les frontières de 1967, en créant des colonies de peuplement dans les territoires occupés, en s’ opposant à la création d’ un Etat palestinien que les gouvernants israéliens réussiront à gagner notre confiance. C’ est dommage, car les conditions sont mûres dans le monde arabe pour un règlement, et cette conjoncture favorable risque d’ être de courte durée.
d’ une nouvelle guerre
Pourquoi serait-elle de courte durée ?
Je vous le répète, la paix pour les Arabes est urgente. Cette situation nous est insupportable. Les Arabes ne peuvent pas indéfiniment gaspiller leur argent dans l’ achat d’ armements sans pour autant voir le bout du tunnel. La situation est, en outre, périlleuse, car Israël s’ arme à outrance, grâce aux Etats-Unis, et dispose de surcroît - nous avons de bonnes raisons de le croire - d’ un arsenal atomique. Pour éviter une nouvelle conflagration, il faut aller vite en besogne, à Genève ou ailleurs, qu’ importe !
Et si un accord devait se révéler impossible ?
Faute d’ un règlement d’ ici à la fin de cette année, je crains fort qu’ Israël ne réussisse à nous imposer une nouvelle confrontation militaire. Cependant, nous espérons encore que l’ Europe et les Etats-Unis finiront par convaincre Israël d’ adopter des positions réaliste et d’ accepter notamment de restituer les territoires occupés.
Croyez-vous que le président Carter voudra, ou pourra adopter à l’ égard d’ Israël une attitude plus ferme que ses prédécesseurs ?
Le prince Saoud fait la moue, hésite à répondre. En se levant de table pour rejoindre les ministres égyptien et syrien, qui l’ attendent dans leur hôtel, il murmure, apparemment sans grande conviction : "Nous voulons conserver notre confiance envers les Etats-Unis... Que pouvons-nous faire d’ autre ? Avez-vous une alternative à nous proposer ? "
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