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  • Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.

  • Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
    seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
    2009.















EUROPA


Page 14 - LE MONDE - 4 janvier 1977

LA SECONDE CRISE DE L’ ENERGIE


Le pétrole comme monnaie d’ échange


Selon M. Cheysson, il nous a été demandé de donner en plus aux pays en voie de développement quelque chose comme un dixième de ce que nous serons obligés de donner pour l’ augmentation du prix du pétrole après Doha... Même s’ il s’ était agi d’ un pourcentage plus élevé (quelque 2 milliards de dollars), cela aurait été quand même une très bonne "affaire", indépendamment des aspects moraux de l’ aide aux pays en question. Le risque existe maintenant que l’ unité de l’ OPEP ne se reconstitue sur le front de la controverse arabo-israélienne. Par ailleurs, une politique européenne d’ aide accrue aux pays en voie de développement aurait pu donner aux pays de l’ OPEP soucieux de cette entreprise une raison de s’ abstenir d’ une hausse substantielle du prix du pétrole, tout en maintenant l’ unité du cartel de l’ OPEP.


L’ Europe ne peut tenter d’ essayer fortement de briser le cartel de l’ OPEP, car elle est trop faible et divisée. Elle a besoin du pétrole du Moyen-Orient et d’ Afrique. Elle ne peut se permettre de laisser éclater une autre guerre du Kippour. Elle doit donc jouer un rôle positif.


Quant à la politique Nord-Sud, quelques pays de l’ OPEP, parmi les onze durs, disent qu’ ils ne font plus confiance à la C.E.E. dans son attitude à l’ égard du monde en voie de développement. Ils ont donc augmenté le prix du pétrole, ajoutant à la balance des paiements de ces pays une charge de 1,2 milliard de dollars tout en augmentant de 0,8 milliard de dollars par an leur aide à leur égard. Ils attendent probablement de l’ Arabie Saoudite et des Emirats qu’ ils fournissent les 400 millions restants. Ils peuvent encore critiquer l’ Arabie Saoudite, qui, tout en maintenant bas le prix du pétrole, ne verse pas cet argent supplémentaire pour l’ aide aux sous-développés. Mais de toute évidence on peut leur répondre que l’ Arabie Saoudite, par sa politique de prix, aide également les pays en voie de développement, parce qu’ elle contribue à réduire l’ augmentation de leur facture de pétrole.


Cela n’ est pas aussi clair pour le tiers-monde, et il nous faut faire quelque chose pour éviter que toute la défense des partisans d’ un prix modéré du pétrole (si l’ on peut qualifier de modéré un prix de 12 dollars le baril) ne repose comme justification vis-à-vis du tiers-monde sur l’ aide militaire et politique que les Etats-Unis et l’ Europe peuvent se sentir obligés de fournir aux pays arabes contre leurs ennemis israéliens.


Un recyclage européen ?


Et l’ on débouche sur le problème connexe du recyclage des revenus pétroliers des pays de l’ OPEP. Les principaux canaux en sont les dépenses militaires des pays de l’ OPEP (de l’ Iran à l’ Irak, en passant par l’ Arabie Saoudite) et les investissements en dollars de l’ OPEP dans les banques américaines. Les importations de produits de base et les dépenses militaires sont montées en flèche, passant de 36 milliards de dollars en 1974, à 59 milliards de dollars en 1975 et 70 milliards de dollars en 1976. L’ excédent financier de ces pays est ainsi descendu du montant énorme de 55 milliards de dollars en 1974 à 31,7 milliards de dollars en 1975 et environ le même chiffre en 1976 (un peu plus en comptes courants). Cela demeure un chiffre énorme, mais il est bien connu que cela déjà des pour certains pays de l’ OPEP, comme l’ Iran, l’ Irak, l’ Algérie et le Nigeria. Ils ne peuvent guère augmenter leur production au-delà du niveau de 1976, qui s’ est relevé suivant la tendance à la reprise de l’ économie internationale. Ils ne peuvent que jouer sur les prix. Mais cela nuit à toute l’ économie mondiale, qui ne peut supporter ce recyclage pathologique dans lequel les Etats-Unis non seulement jouent le rôle le plus important, mais le développent encore autant que possible. Les investissements des excédents pétroliers aux Etats-Unis sont montés, en 1976, jusqu’au niveau de 1974, bien que l’ excédent pétrolier soit tombé de 65 à 35 milliards de dollars.


Où ira l’ excédent de 1977 ? Ici encore, il y a pour l’ Europe un rôle actif à jouer. On s’ est souvent plaint que les pays européens tentent de donner à leurs relations pétrolières un caractère bilatéral alors que les Etats-Unis agissent par multilatéralisme. En fait, les Etats-Unis disposent de bien plus de cartes en tenant compte de leurs puissantes compagnies pétrolières et de leurs possibilités de recourir plus que l’ Europe à leur propre pétrole et à des sources d’ énergie de remplacement. Mais à côté de cela, les Etats-Unis reçoivent la plus grande partie de l’ excédent pétrolier de l’ OPEP par leurs intermédiaires financiers.


L’ Europe doit agir de façon différente.Rien ne l’ empêche de mettre au point des méthodes multilatérales, un groupe de pays de la C.E.E. concluant des accords avec des pays de l’ OPEP. Plus fondamentalement, elle peut essayer le "vrai chemin" du recyclage, par opposition au chemin financiers aux Etats-Unis, c’est-à-dire la politique d’ investissements des deux côtés par des entreprises privées (comme Flat avec la Libye), par des entreprises publiques (pétrolières) et d’ une façon trilatérale, comprenant les pays en voie de développement. La déception de M. Cheysson se comprend. Une approche différente de la politique Nord-Sud pourrait ouvrir la voie à un type différent de recyclage ou l’ Europe pourrait jouer un rôle européen. A ceux qui diront qu’ il vaut mieux laisser régler tout cela par les forces du marché, on doit rappeler que nous avons affaire ici à des marchés monopolistiques et oligopolistiques, et que le pétrole a une forte politique.


FRANCESCO FORTE

Quelles cartes jouera M. Carter ?


Les Etats-Unis n’ ont pas de politique de l’ énergie. Le "rapport sur un projet d’ indépendance énergétique", publié à la fin de 1974 par la Fédéral Energy Administration, le texte américain le plus complet jamais élaboré sur ce sujet est resté sans suite. L’ homme qui a supervisé son élaboration, M. John Sawhill, a été renvoyé juste après sa publication. Et il est permis de se demander si le président Ford s’ est jamais donné la peine de regarder ce rapport.


L’ administration Carter lui accordera peut-être plus d’ attention. Le président élu a déjà défini les contours d’ une politique de l’ énergie qui devrait avoir pour objectifs de renforcer les économies et la production de l’ énergie américaines. La coopération entre le Congrès et la Maison Blanche devrait remplacer l’ affrontement aigre-doux de ces deux dernières années, si bien que des projets pragmatiques devraient remplacer les plans souvent incohérents élaborés par la Maison Blanche. De plus, les conseillers de M. Carter devraient jouer un rôle plus constructif que ceux de M. Ford dans les délibérations de l’ Agence internationale pour l’ énergie.


Une telle confiance semble justifiée par le sérieux avec lequel M. Carter a discuté des affaires énergétiques pendant son interminable campagne électorale. Le président Ford avait essayé d’ obliger le Congrès à abandonner le contrôle des prix du pétrole et du gaz domestique. L’ approche de M. Carter, qui tend à libérer les prix par des actions successives et prévisibles, a beaucoup plus de chances de s’ attirer une réponse plus positive de la part du Congrès.


Le nouveau président a l’ intention de réunir toutes les agences et de coordonner leurs activités sous la tutelle d’ une personne faisant partie de son cabinet. Cela donnera aussi probablement de meilleurs résultats.


Les politiques énergétiques de MM. Ford de Nixon étaient élaborées en grande partie par les agents des compagnies pétrolières, et il n’ y a rien d’ étonnant à ce que le Congrès les ait rejetées sans ambages de temps à autre. M. Carter a déclaré sa volonté de mettre au point ses stratégies politiques "au grand jour", en complète concertation avec le Congrès, les gouverneurs d’ Etats, les compagnies pétrolières, les consommateurs et les associations pour l’ environnement.


Il est encore trop tôt pour prévoir dans le détail la politique qui sera celle de l’ administration Carter. Mais on sait que le prochain président est préoccupé par la sûreté des réacteurs nucléaires ; aussi ne constitueront-ils pas un secteur de développement prépondérant, et il se peut qu’ en même temps on restreigne les ventes à l’ étranger de la technologie nucléaire américaine.


Le président élu a déclaré à plusieurs reprises qu’ il a l’ intention d’ augmenter notablement la production américaine de charbon, faisant remarquer que ce produit entre pour 16% seulement dans la consommation énergétique américaine alors qu’ il compte pour 90% des réserves d’ énergie américaines. Il est possible également qu’ il présente des programmes nouveaux pour stimuler le développement des énergies solaires et de remplacement. M. Carter a également annoncé son intention d’ encourager un plus grand contrôle gouvernemental sur les activités des compagnies pétrolières tout en s’ opposant au démantèlement des géants pétroliers.


Ainsi une politique américaine de l’ énergie plus complète et plus pragmatique pourrait-elle finir par entrer en oeuvre maintenant que les Etats-Unis dépendant de l’ étranger pour plus de 40% de leurs approvisionnements en pétrole. Mais pas avant un certain temps.


FRANK VOGL.

La tirelire euro-arabe


Ce Malien séduisant, ancien conseiller de Mobito Keita, qui a longtemps animé à Bruxelles le secrétariat des pays africains signataires de la convention de Yaoundé, qui n’ est pas musulman, se qualifie lui-même de "nègre de service de la BADEA". Il est conseiller du président. Signalons aussi la présence de délégations de l’ Etat saoudien, du Fonds de développement de l’ Arabie saoudite, du Fonds du Quatar et du Fonds d’ Abu Dhabi, conduite par un Tunisien (l’ habile Tunisie fournit l’ un des plus gros contingents du personnel arabe international). L’ aide canadienne et la Banque africaine de développement sont aussi représentées. Les séances de travail sont présidées par M. Lamine Keita, le ministre du développement industriel et du développement industriel et du tourisme du Mail, un ingénieur formé à Grenoble, longtemps directeur de l’ hydraulique dans son pays...


Très vite deux blocs se forment : les Arabes d’ un côté, les Européens de l’ autre. Il ne s’ agit pas d’ un affrontement, mais plutôt de trouver des ajustements entre des intérêts et des méthodes qui inévitablement ne coïncident pas d’ entrée de jeu. Les Européens forment un groupe assez uni et acceptent sans barguigner le leadership de la Commission de Bruxelles, pas fâchés de lui laisser le soin d’ opérer pour leur compte les arbitrages nécessaires. Cette façon décontractée de voir les choses surprend les technocrates anglophones "tendance Banque mondiale" qui, indifférents au reproche de paternalisme qu’ une telle attitude peut susciter, trouvent d’ excellentes raisons techniques pour essayer d’ imposer leur point de vue aux autorités de Bamako.


La discussion générale se termine par une réunion "restreinte" à trois ; Keita, Abu Ali et Vincent. Enfin l’ accord est conclu, et le plan de financement établi, à quelques détails près. Les Arabes prendront en charge 45% des dépenses, les Européens 45% les Canadiens et la BAD 10%. La cérémonie marquant le début des travaux du barrage a eu lieu le 20 novembre.


Une fructueuse collaboration


Un tel exemple de fructueuse collaboration entre Communauté et pays producteurs de pétrole en terrain africain n’ est pas unique, tant s’ en faut. Une dizaine d’ importants projets d’ infrastructure appelés à bénéficier des crédits du FED feront l’ objet d’ un co-financement euro-arabe : tel est le cas pour les barrages de Kpong, au Ghana et de Mukungwa, au Ruanda, pour la modernisation du chemin de fer Congo-océan, pour celle du port de Douaia, au Cameroun, pour le projet CIMAO (Ciment de l’ Afrique de l’ ouest) qui intéresse le Togo, la Côte d’ Ivoire et le Ghana, pour le projet O.M.S.V. (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal) et pour le projet de chemin de fer de Tambao, en Haute-Volta.


Les experts bruxellois ont calculé que pour 60% les grands projets d’ infrastructure financés par le FED seront exécutés avec le concours des Arabes. Tout prête à penser que cette nouvelle forme d’ action combinée en faveur du tiers-monde ira en se développant. La confiance existe ; les fonds arabes puissamment dotés grâce à la manne pétrolière sont apparemment satisfaits de leur coopération avec la Communauté ; elle leur permet de diriger leur aide sans perte de temps inutile, et de voter des projets étudiés depuis longtemps grâce au concours des experts européens. Leur propre expérience grandissant, ils désireraient, tout en restant fidèles à la formule de coopération triangulaire, acquérir un contrôle accru dans la préparation et l’ exécution des opérations. La Communauté, pour qui l’ essentiel est que les projets s’ exécutent, semble prête pour sa part à faire preuve de la souplesse nécessaire.


PHILIPPE LEMAITRE.

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