Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
m 26/1/77
M. Pierre Guillaumat, président du groupe pétrolier d’ Etat Elf-Aquitaine, aura soixante-huit ans le 5 août. Il va falloir lui trouver un successeur, une telle fonction, plus excitante et plus sûre que bien des portefeuilles ministériels, ouvre de vastes appétits. Or une première échéance, celle de la vice-présidence, devrait intervenir le 23 janvier. Ce jour-là, M. André Bouillot, l’ actuel numéro deux du groupe, était admis à faire valoir ses droits à la retraite. Et beaucoup voyaient dans son poste une place de choix, dans l’ attente du mois d’ août, pour s’ initier aux subtilités du pétrole et aux rouages de cette vaste entreprise.
Il y a quelques semaines, la cause paraissait entendue. Dès le mois d’ août dernier, une lettre signée du secrétaire général du gouvernement, M. Marceau Long, avait annoncé au ministre compétent que M. Albin Chalandon serait nommé à la vice-présidence le 23 janvier. Concurrent de M. Chirac pour la présidence de l’ U.D.R, l’ ancien ministre de l’ équipement semblait avoir obtenu de l’ ancien premier ministre assez d’ assurances pour abandonner son mandat de député. Chargé, le vendredi 13 février, d’ une mission - auprès du ministre de l’ industrie et de la recherche, M. Chalandon, qui devait obligatoirement choisir six mois plus tard entre sa mission et son mandat, préféra le pétrole. Il est trop fin politique pour n’ avoir pas obtenu de sérieuses garanties sur son avenir à Elf-Aquitaine avant de quitter la députation. Le président de la République lui-même a-t-il avalisé cette promesse ?
Le choix n’ a pourtant pas plu à tout le monde. Ce secteur était resté jusqu’à présent l’ apanage des polytechniciens ingénieurs des mines, et l’ un de leurs derniers bastions. L’ arrivée d’ un inspecteur des finances irritait donc. De plus, la compagnie a toujours eu à sa tête des hommes qui ont fait toute leur carrière dans l’ administration du secteur énergétique : M. Chalandon y est néophyte. Enfin, l’ ancien ministre de l’ équipement a une réputation d’ homme d’ affaires : son passage à la tête de la Banque commerciale de Paris - du groupe Dassault - et ses multiples déclarations sur la nécessaire efficacité de l’ Etat en tant qu’ industriel ont pu faire craindre qu’ il ne s’ oriente vers la privatisation de la société. Déjà ébranlée
par une fusion qui associait à l’ ERAP les capitaux privés de la Société nationale des pétroles d’ Aquitaine, celle-ci n’ avait pas besoin d’ une telle suspicion, alors qu’ il lui est souvent fait reproche de se conduire peu différemment des grandes compagnies multinationales.
L’ arrivée à Matignon de M. Raymond Barre a relancé la querelle. On ne se cache pas, dans l’ entourage du premier ministre, d’ être moins favorable que ne l’ était M. Chirac à la candidature de M. Chalandon. Ce dernier n’ en a pas moins obstinément continué sa mission. Son rapport sur l’ approvisionnement de la France en pétrole et les problèmes déterminants de la profession vient d’ être terminé et devrait être remis au président de la République, au premier ministre et au ministère de l’ industrie et de la recherche avant la fin du mois de janvier. Sera-t-il publié ou, comme le rapport Lauré sur le même sujet, enterré ?
Pendant ce temps, le nom d’ autres candidats était avancé. Celui de M. Jérôme Monod, l’ ancien délégué à l’ aménagement du territoire, mais son engagement politique au côté de M. Chirac était en sol une réponse.
Celui aussi de M. André Giraud, l’ actuel délégué du gouvernement auprès du Commissariat à l’ énergie atomique. Que ce dernier soit - le poulain - du président Guillaumat ne fait guère de doute. Il en est avec seize ans de moins - la copie conforme. L’ un et l’ autre sont originaires de familles de fonctionnaires (un général et un enseignant), sont anciens élèves de l’ Ecole polytechnique et ingénieurs des mines. Tous deux ont été directeurs des carburants au ministère de l’ industrie et sont passés à la tête du Commissariat à l’ énergie atomique. L’ un et l’ autre ont fait toute leur carrière, ou presque, dans l’ énergie, et l’ on ne compte plus les conseils d’ administration où ils se sont croisés ou côtoyés. De là à conclure que M. Giraud a - le profil.
Tout au plus manque-t-il à ce dauphin la dimension politique que possède M. Chalandon et qu’ avait obtenue M. Guillaumat comme ministre des armées du général de Gaulle au cours de la guerre d’ Algérie. Mais il peut se targuer d’ avoir été directeur du cabinet de M. Guichard, alors ministre de l’ éducation nationale en juin 1969 lorsqu’il s’ est agi de mettre en oeuvre la loi d’ orientation.
A-t-il, lui aussi, obtenu des assurances ? En tout cas, lors du dernier conseil d’ administration du C.E.A, nombreux furent les sourires entendus lorsque M. Giraud affirma que "les structures survivaient aux hommes" Comment ne pas y voir l’ annonce d’ un prochain départ ?
Ce n’ est donc pas sans une certaine délectation que ses partisans ont ressorti le décret relatif à l’ organisation de l’ ERAP. L’ article 5 de ce texte, publié le 18 décembre 1965 au Journal officiel, énonce les membres du conseil d’ administration de l’ entreprise et précise : "Un haut fonctionnaire, président". Or nul n’ ignore que M. Albin Chalandon a démissionné de l’ inspection générale des finances en janvier 1955 et que le statut de la fonction publique est formel : "Une démission régulièrement acceptée est irrévocable".
Les alliés de l’ ancien ministre de l’ équipement, comme ceux qui estiment qu’ une promesse donnée doit être honorée, se creusent sans doute la tête, car il n’ y a nulle jurisprudence qui permette de réintégrer vingt ans après un fonctionnaire démissionnaire. On pourrait, certes, changer le texte de création de l’ ERAP. Alors que le parti communiste jette sur le secteur énergétique un regard peu amène et fait de la lutte contre les compagnies pétrolières un de ses thèmes favoris, supprimer la clause qui rend nécessaire l’ appartenance à la fonction publique du président de l’ entreprise nationale semble politiquement difficile. Même si l’ on ajoutait - solution actuellement envisagée - à "haut fonctionnaire" la mention "ou ancien ministre", changerait-on l’ esprit du texte ?
La bataille pour la tête de groupe Elf-Aquitaine n’ est donc pas terminée. En attendant la succession de M. Guillaumat, les milieux pétroliers publics guettent chaque matin au Journal officiel le décret de nomination du nouveau vice-président. Sera-ce M. Chalandon ou M. Giraud ? A moins que, par promotion interne, on ne nomme M. Rutman, actuellement directeur, ce qui serait une manière comme une autre de respecter décision irréversible avant le moins d’ août...
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