Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
Boubou Hama
HEBDOMADAIRE
D’ INFORMATION
ADMINISTRATION - PUBLICITÉ
23-87
RÉDACTION : 25-74
B.P. 368
NIAMEY
Directeur Politique Directeur de Publication
BOUBOU HAMA Le Directeur de l’ Information et de la Presse
RÉDACTEUR EN CHEF
OUMAROU IDE
DOUZIÈME ANNÉE
NUMÉRO 12
3 AVRIL 1972
PRIX : 50 Francs
COMMENTAIRE
Le Niger n’ échappant pas à cette règle commune. nous considérons dès lors, comme un événement important le fait qu’ un des nôtres ait été invité par les autorités de la Côte d’ Ivoire, à venir mettre à la disposition de leurs jeunes, le fruit de ses nombreuses recherches sur l’ Afrique et le monde. Pour le Président Boubou, c’ est donc une autre consécration qui vient s’ ajouter à celle que lui ont déjà valu le << Prix Léopold Sédar Senghor >> et le << Grand prix de l’ Afrique noire >> . Pour notre peuple aussi, c’ est un motif de fierté et de satisfaction. Car à l’ heure où les Etats africains sont en train de déployer des efforts gigantesques pour la réaffirmation de notre personnalité, il est réconfortant de constater que c’ est vers le Niger que l’ on se tourne le plus souvent parce que dans ce domaine précis, ce que nous avons pu réaliser force l’ admiration de tout ceux qui s’ intéressent à notre continent, et parce qu’ aussi, notre pays a produit, comme le disait le Président Philippe Yacé, << un grand homme politique( Boubou Hama) dont l’ histoire est liée à celle du Niger, un maître à penser de l’ école de l’ histoire et de l’ ethnologie africaines, un écrivain distingué à la plume alerte, et enfin un homme de science >> . C’ est là un exemple à suivre par notre jeunesse sur qui repose l’ avenir du pays.
DIADO AMADOU
thème de la conférence tenue par le président Boubou à Abidjan
Invité par les responsables Ivoiriens, le président Boubou Hama a, à l’ occasion des journées du MEECI (mouvement des élèves et étudiants de Côte d’ Ivoire) tenu le mois dernier à Abidjan, une importante conférence sur le thème : l’ Afrique inconnue, martyre de l’ histoire.
C’ est dans une salle archicomble où avaient pris place élèves, étudiants, membres du gouvernement, du bureau politique et d’ autres personnalités que le président Boubou a prononcé sa conférence dont nous publions le texte intégral.
L’ Afrique c’ est cela, une présence physique longtemps close sur elle-même et qui avait effrayé ceux qui avaient voulu l’ approcher. De ce fait, elle demeure inconnue des anciens qui la peuplèrent d’ êtres étranges et d’ hommes monstrueux dont certains, disait-on, << disputaient leur pitance aux grues >> .
C’ était cela, l’ Afrique, l’ inconnu et son mystère, une incompréhension qui en avait fait la martyre de l’ histoire.
C’ est << sans haine >>, qu’ il nous faut expliquer notre continent afin de le réhabiliter et d’ en réhabiliter l’ homme le plus vieux du monde et, << hélas >>, aussi, le plus jeune des humains peuplant notre globe.
A la lumière de l’ archéologie et de l’ histoire, l’ Afrique apparaît comme ayant été le berceau le plus vieux de l’ homme, celui des préhominiens antérieurs à tous ceux, jusqu’ici, qu’ on a trouvé dans le monde.
l’ Afrique est un haut lieu de notre commune humanité. L’ homme y était né. Il y avait surgi des gibbons primitifs, par la suite, à travers l’ espace et le temps, qui évoluèrent jusqu’à l’ homme sage de notre époque.
Dans l’ angoisse des nuits épaisses des temps préhistoriques, dans leurs forêts impénétrables et inquiétantes ; il sut, de la force de ses muscles, de celle de son regard, de son énergie humaine mobilisée, malgré les brutalités d’ une nature hostile, mâter cette nature et s’ imposer à elle.
C’ est bien en Afrique que l’ homme sortit de l’ animalité, qu’ il se dressa sur ses jambes, qu’ il leva son front foudroyant sur l’ horizon lointain qui lui donna l’ idée de l’ espace et celle du temps nécessaire pour le parcourir, celle de l’ infini
(suite p. 2)
Les délégués de l’UNCC lors de la séance d’ouverture.
(Suite page 10)
Après la Côte d’Ivoire où il a tenu une conférence sur le thème "l’Afrique inconnue, martyre de l’histoire", le président de l’Assemblée nationale M. Boubou Hama était la semaine dernière à Tripoli. Invité par le gouvernement Libyen, le séjour du président Boubou coïncidait avec le congrès de l’Union socialiste arabe.
L’occasion a donc été donnée aux Libyens de profiter des expériences du président qui a pris la parole à ce congrès. Il a réaffirmé l’amitié entre nos deux peuples et apporté le salut fraternel du président Diori et du peuple du Niger, au colonel Kaddafi et à la Nation Libyenne. M. Boubou a également réaffirmé la position de notre pays face au problème du Moyen-Orient. Il a ensuite invité les frères musulmans, à retourner à la fraternité, à la solidarité, à la certitude dans ce monde en perpétuelle mutation.
Le président Boubou qui est rentré vendredi mation était accompagné pendant son voyage, du 1er Vice-président de l’Assemblée M. Amadou Hassane et de deux autres parlementaires.
qui lui inspira sans doute la réflexion et la prise de la pensée ayant abouti à la raison qui nous distingue des autres animaux demeurés stationnaires dans leurs états primitifs dominés par l’instinct.
Des premiers pré-homniens des grands lacs aux fossiles humains des terrains quaternaires du Tchad, il se passa un temps très long qui couvrit des millions d’années de la vie de l’homme.
Le Ténéré Nigérien revéle des vestiges humains vieux de 600 000 ans.
On a trouvé dans notre Sahara le crâne d’un négroïde qui y vivait il y a 10 000 ans. L’homme d’Asselar, au Nord de Tombouctou, un négroïde avait le même âge.
L’Afrique du Nord et le Sahara nigérien, par leurs gravures et par leurs peintures rupestres témoignent de la présence de l’homme dans ces régions depuis 10 000 ans. La grande pyramide, celle de Chéphren, est vieille de 4 500 ans. Qu’on imagine, un instant, l’état de l’Europe à cette époque ! Les Gaulois, leurs druides cueillaient le gui dans les forêts de France.
Au temps des premiers pharaons, l’homme, par excellence, était l’Egytien, un noir - sinon - sûrement un métis. Puis venaient le jaune et le noir. L’ancêtre des Blancs occupait le bas de l’échelle de la hiérarchie des races.
Et je dis cela, sans rancoeur, sans aucun sentiment de frustration, tout cela, ayant, découlé des circonstances de l’histoire qui bouleversèrent le monde antique et ses civilisations passagères. L’on peut en suivre l’itinéraire de l’Egypte ancienne à L’Egée, de la Grèce à la Rome antique à l’origine de la civilisation occidentale à l’épreuve de notre époque.
Je veux encore, ici, transcender la traite des esclaves et ses brutalités, la colonisation, ses heurs et malheurs, les intérêt en conflit des continents, ceux des classes qui passionnent, en ce moment, la rencontre des peuples.
Je m’en tiens à mon sujet, à mon objet : l’Afrique.
C’est elle que je vais essayer de vous faire sentir. C’est elle que je vais tenter de faire surgir de votre inconscient, des plis de votre conscience profonde.
C’est elle, dans la suite de mon exposé, que je vais essayer de susciter en vous, dans votre âme, belle comme la fleur blanche du nénuphar qui se balance sur l’onde, au gré de la brise qui la berce.
L’Afrique, notre belle Afrique existe. Elle est une pensée qui brasse l’univers matériel, ses énergies et ses esprits.
L’Afrique, énorme, n’est pas seulement une présence physique. Elle n’est pas seulement un objet, elle est une suggestion ; elle inspire l’infini de sa masse évocatrice.
L’Afrique immense est un passé celui de la matière et de la vie. Elle est mémoire du temps et de cette vie d’un seul tenant déposée dans le plus profond de notre être.
C’est de cette façon que notre continent est en nous et que nous vivons de son rythme celui de notre vie.
L’homme d’Afrique se confond avec son continent dont il est le reflet cosmique.
C’est ce sens profond de notre continent, métaphysique, que nous avons perdu de vue, que nous avons abandonné au profit d’une civilisation, valable certes, aujourd’hui, comme une épine qui est plantée dans notre chair vive et qui nous sépare de notre propre signification subjective liée à celle de notre continent.
L’humain, d’abord, est cette vie subjective une réalité spirituelle, en Afrique, qui n’est pas un spectre, mais l’objet lui-même, dans une autre dimension du monde, que nous percevons comme étant "
Dans son cadre, nous prenons corps avec notre continent, lui-même au centre du cosmos, que nous sentons sourdes dans chacune de nos cellules, dans chacun de nos gestes, dans le rire clair de nos enfants, dans nos danses qui frémissent du frémissement de l’univers qui nous porte et dont nous savons, plus qu’aucun homme, traduire par des rythmes précis,
Nous sommes, dans le monde, les seuls hommes qui vivent des atomes vivants de l’univers, de leurs énergies fraîches qui ne sont pas seulement, matérielles, mais spirituelles, et qui baignent tout notre être de leur souffle vivifiant. L’Afrique avant tout est une conception de l’homme et de la vie ; "la pensée qui présente et qui exprime celui-ci" dans son particularisme singulier qui le distingue des autres hommes.
La conception de l’homme et du monde de l’Afrique embrasse l’univers dans sa totalité. Elle y place l’homme à ce niveau cosmique qu’il brasse de son énergie humaine en liaison étroite avec les forces matérielles et spirituelles de cet univers dont il rythme sa vie de l’équilibre et la mesure.
Nous retrouverons ce souci de l’équilibre dans cette formule introductive de ce qu’on a appelé, la magie songhaye
Un peuple est, d’abord, lui même, sa conception du monde, le contexte de celui-ci qui l’explique et sert de cadre d’action à sa pensée.
Cette dernière,
Elle se situe à cet endroit physique et spirituel de l’univers.
Ce dernier, les Songhay le matérialisent dans les limites de cette formule introductive de leur magie :
" Je m’adresse à N’DEBI.
N’DEBI s’adresse,
à son maître (Dieu)
Je m’adresse aux sept cieux d’en haut.
Je m’adresse aus sept cieux d’en bas.
Je m’adresse à l’horizon de l’Est,
Je m’adresse à l’horizon de l’Ouest,
Je m’adresse à l’horizon du Nord,
Je m’adresse à l’horizon du Sud "
cette formule situe l’individu dans l’univers où il est plongé et dont les forces physiques et spirituelles l’enserrent de toutes parts et avec lesquelles il prend corps intimement.
La formule distingue " Dieu ", lointain, immuable, hors de l’univers physique et spirituel.
Elle distingue, surtout, sur le terrain pratique, cet univers que Dieu a placé sous la garde du démiurge N’DEBI, un homme qui vécut parmi les hommes dont il fut l’initiateur primordial et dont le " Double ", au nom de " Dieu ", continue de gérer toute la création.
D’une part, il y a " Dieu " hors de la matière, un " Esprit " qui a fait le monde physique et spirituel de son souffle vivant créateur.
De l’autre, il existe une " trilogie " close sur la matière, son esprit et la synthèse qui lie les deux dans une autre nature.
Dieu transcende ce monde contingent gouverné par N’DEBI, à l’aide de lois immuables, d’avance, une fois pour toutes, fixées.
C’est à ce monde que le mage Songhay se refère. Il y a donc, pour lui, évident, ce monde contingent de N’Débi qui ne se confond pas avec celui, transcendant, de Dieu que ne peuvent atteindre ni nos sens, ni nos doubles, ni les esprits.
Quand le mage intervient auprès de N’Débi, il s’en tient à lui, quitte pour ce " démiurge " de s’adresser à Dieu s’il juge utile.
Cependant, quand le danger surgit, par des formules brèves, le mage fait appel directement à Dieu dont il implore le concours immédiat.
L’animisme Songhay reconnaît l’existence de Dieu, mais, le trouvant lointain, il s’inscrit dans le monde contingent directement accessible, disponible, où il opère.
(2) Pour l’animiste Songhay, il n’y a pas de magie car tout demeure dans l’ordre de la nature. C’est le contraire de cette conception du monde qui est anti-scientifique.
Mais en deçà de ce monde contingent de N’Debi, il y a l’ancêtre primordial ayant pactisé pour la première fois avec ce démiurge.
La parole créatrice reçue de N’Debi, se transmet de l’ancêtre primordial à ses descendants qui la gardent dans sa pureté et la perpétuent à travers les générations qui se succèdent.
Après la formule que j’ai donnée, le mage, la continuant, procède de la façon suivante. Il dira :
" Ce secret n’est pas de ma bouche, mais de la bouche des anciens. C’est X (l’ancêtre primordial) qui l’a transmis à Y, Y l’a donné à Z. C’est Z qui me l’a transmis. Que le secret soit meilleur dans ma bouche que dans celle des anciens ".
Le mage Songhay, après avoir évoqué Dieu, le monde contingent et N’Débi, s’adresse à l’ancêtre primordial, puis à la chaîne ininterrompue des anciens qui l’ont continuée jusqu’à lui.
Cette chaîne n’est ni un mot, ni un son. Elle représente les chaînons vivants de l’âme collective du clan ou de la caste.
Chez les Sonianké, celle-ci se matérialise dans la forme de chaînes d’une perfection inouïe que tout l’éclat de ces métaux : or, fer, argent, cuivre dans l’apparence desquels, elles se présentent au cours des scènes magiques ou même publiques.
Ces chaînes, capables d’être fixées sur une plaque photographique, pour les Songhay, figurent l’esprit des métaux dont elles ont, à s’y méprendre, toute l’apparence. Il ne s’agit pas d’une banale question d’hypnotisme de commande ou de circonstance que n’ignorent nullement les mages Songhay. Cet état de la matière, spirituel, sert de support à l’âme collective des ancêtres.
Ainsi, l’objet, pour eux, l’objet pur, n’est pas seulement, la matière qui le constitue, mais, surtout, l’esprit vivant de celle-ci, sa pâte chimique vivante malléable à la disposition du mage Songhay.
Il y a donc, d’une part, la matière brute (métaux, cailloux) et de l’autre, l’esprit de celle-ci, une synthèse, une nature vivante tirée entre la matière et l’esprit qui est l’autre nature de l’objet que manie le mage.
En la plante est visible sa verdeur, sa vie cellulaire ou végétative.
La conception africaine du monde dote celle-ci d’un double vivant avec lequel les mages peuvent entrer en rapport, dans le but de l’influencer dans un sens ou dans l’autre.
Sur le plan humain, le même phénomène permet de dire que l’homme est sa force vitale, celle de sa chair palpitante, mais, plus décisif, " son double intelligent " capable de raison et de volonté déterminée propre.
L’histoire de l’Afrique est, surtout, celle de la pensée africaine. Elle spécule à la fois, sur le monde physique et sur son reflet vivant, une pâte où s’inscrivent nos intentions et nos désirs, notre acte volontaire engendré en vue d’un résultat.
C’est dans le cadre d’une telle pensée que les " KURUMBA " du Mali prétendent prendre le double du mil, que les " Soniaké " et les " Cerco " Songhay disent pouvoir saisir le " double d’une personne " qu’ils tuent et consomment, sous la forme d’un poulet, d’un lézard, d’un tout autre animal, par le truchement desquels se perpétuent de tels assassinats spirituels.
La pensée africaine, ses interférences sociales et politiques, son impact sur l’histoire ne peuvent être compris que dans le cadre de cette autre dimension de l’univers sur la base de laquelle sont animés les phénomènes magiques, le merveilleux des contes et des récits historiques
C’est dans le cadre de cette dimension que se comprend la nature des esprits et des dieux qui manient à leur guise les êtres et les choses à partir de leurs natures physiques ou spirituelles.
C’est dans un tel état spirituel du monde que les sensitifs disent avoir consommé des amours étranges, qu’ils voient des villages de diables là où le profane n’aperçoit qu’un pan de brousse.
C’est ainsi que des villes opulentes prospéraient sous l’eau des océans, des fleuves et des grands lacs.
Nous sommes là devant un monde dont les éléments d’appréciation sont des faits, à la fois, physiques et spirituels.
C’est parce que le professeur Levy Brhul n’avait pas aperçu cet aspect fondamental de la mentalité des peuples attardés, qu’il l’a traitée de " pré-logique ".
A partir des faits, pourtant bien observés, Levy Brhul, les compilant, n’a pas réussi à leur donner une interprétation correcte. Il a substitué à leur logique sa propre logique cartésienne dans le cadre de laquelle les " faits " n’ont pas été produits.
Entre nous et les autres, il y a, évidente, cette hypothèque à lever sur la route du dialogue fructueux qui nous permettra de nous faire comprendre par ces autres, souvent, qui nous ignorent profondément ou qui ont, sur nous, des idées pensées en dehors de notre conception de l’homme et de la vie.
La pensée est l’expression la plus pure de notre être. Elle est le mouvement concentré en nous et par lequel nous nous penchons sur nous-même, sur les faits et les phénomènes humains, objets de notre réflexion.
Elle est la connaissance que nous avons de nous-mêmes, des êtres et des choses. Elle nous projette en avant en leur direction. A notre propre usage, elle est la parole, dans une langue qui caractérise le mieux le " message " que nous voulons dire ou communiquer aux autres.
La langue maternelle, de ce fait, préside à la naissance même de notre " raison " à laquelle elle fournit les termes qui la déterminent. Elle définit pour nous le monde extérieur qui sert de " miroir " dont les images motivent notre action et conditionnent notre attention. Elle est le support qui nous permet d’approfondir notre connaissance des êtres et des choses qui nous entourent ou avec lesquels nous entrons en relation dans le cadre de notre milieu naturel. A partir de notre conception du monde, elle nous situe, nous identifie par rapport à l’univers dans lequel nous sommes intégrés et dont nous vivons de l’équilibre où se branche l’équilibre de notre propre vie intimement liée à l’équilibre de cet univers physique et spirituel.
Tous ces facteurs font que la langue maternelle - la langue nationale - prend une signification particulière. Ame d’un peuple, la langue identifie ce peuple. Elle le présente, le définit, dans son esprit, dans sa pensée, dans sa sagesse, dans son comportement quotidien fait de gestes qui jaillissent de notre esprit et de notre coeur, et qui manifestent notre culture, notre moi intime " sinon " notre identité et la personnalité de celle-ci puisée dans l’âme collective de notre société en fonction laquelle agit et se détermine l’individu humain.
Celle-ci est une présence physique, une unité massive sans obstacles majeurs ayant, dans le passé, empêché l’interpénétration de nos différentes races ou celle de nos ethnies voisines.
Elles portent toutes la marque du déterminisme géographique et historique d’où avait surgi leur façon de concevoir la vie et le monde.
L’Africain s’identifie dans celle-ci, à travers ses civilisations produites ayant conditionné sa culture dans l’espace et le temps.
L’idée du Nègre " Cosmique " ne vient pas d’un état d’infériorité du Noir ayant stagné dans une position voisine de celle de l’animal. Elle n’est pas non plus le fait d’un instinct primitif de l’homme, mais, celui, d’une expérience concrète (peut-être empirique) de l’homme, accumulée au cours des siècles. Si, aujourd’hui, nous nous pâmons devant les merveilles que constituent le Sphinx ou les Pyramides (depuis 4 500 ans), la civilisation égyptienne, nous nous réservons, encore, sur l’origine de la civilisation et des civilisations qui ont préparé " la civilisation égyptienne dont les oeuvres grandioses sont une " stylisation d’un passé antérieur dont nous retrouvons le passage matériel dans l’outillage lithique des hommes primitifs du Ténéré (République du Niger : 600 000 ans), dans les grottes du Sahara, dans les gravures et les peintures rupestres de tout l’ancien monde où s’affirme, partout, la solidarité permanente des hommes et de leurs arts, leur unité fondamentale, en tant qu’espèce unique.
Les civilisations qui préparèrent celle de l’Egypte étaient liées à l’homme dans ses rapports avec le Cosmos. L’Egypte fut la première avancée de l’homme hors de la matière et vers l’au-delà, spirituel et cosmique. Ce fut dans cette voie qu’il déboucha sur les " dieux " et " Dieu " qu’un pharaon avait senti avant Moïse qui prépara le " Christ ", que vint continuer le prophète Mohamed.
L’animiste noir ne détruit pas l’esprit de la matière. Il l’y surprend, " matérialisé " dans la forme d’une " matière " spiritualisée fraîche comme le double de la plante, de l’animal ou de l’homme. C’est au niveau de ce stade de la matière et de la vie que l’animiste semble aborder le monde, ses forces brutes ou spirituelles. Pour lui, dans ces conditions, la matière n’est qu’une gangue, réceptacle où gîtent les énergies et les esprits (3)
C’est au niveau de ces entités des choses et des êtres qu’il agit sur eux, dans le sens favorable du Bien ou dans celui du courant destructeur du Mal, dans cette position qui peut être aveugle ou intelligente.
Le pouvoir de l’animiste réside dans sa capacité, d’emblée, d’accéder à ces états des êtres et des choses, sous sa responsabilité, qu’il manie en vue du Bien ou du Mal qu’il désire produire.
C’est à partir d’une telle conception du Monde que " l’Atlantide " devint, sans doute, possible, que ses machines durent voler à l’aide de carburants dont nous n’avons plus le secret et que nous ne pouvons plus capter avec nos machines d’aujourd’hui.
Dans ce domaine, il n’y a que " Cerco des Songhay ", leurs " Sonianké ", qui continuent de prétendre pouvoir voler sous l’effet d’une énergie à la lumière vive blanche (chez le Cerco) et sans lumière chez le Sonianké. Dans les deux cas, il y a production ou captation par la machine humaine de cette énergie qui permet de voler, de se déplacer sous l’aile du vent comme le croient les " Kouroumba " de l’Aribinda (République de Haute-Volta).
Essayer de trouver une explication magique à toutes ces choses est plus "
L’Egypte, déjà, sortait de l’axe de l’homme solidaire de l’univers. L’Inde fut l’impasse intervenue dans l’introspection poussée au-delà de l’esprit de la matière, du double des êtres ou de leurs âmes conscientes. Sur un autre plan précis, enfoncée dans la matière, l’Europe prépare, peut-être, la venue de l’impasse de la matière qui sera, elle aussi, une terrible " Revanche ", celle, ultime, de la force de l’esprit sur la " brutalité de la matière ".
Aujourd’hui, sur le terrain humain, concernant la conception de l’homme esprit et matière, il ne reste plus en course que l’Afrique noire.
C’est pourquoi, celle-ci se doit de préparer son propre message : une " Synthèse ", qui ne doit rien refuser de ce "
On sent mieux l’identité de l’animiste quand on la compare à celle de l’Inde confrontée avec la science moderne.
L’Inde, c’est la formidable puissance de l’esprit qui a mâté la matière. C’est la foi intérieure qui a frayé seule son chemin hors de la matière en direction de Dieu, dont malheureusement, l’homme n’a jamais pu rendre compte que par les messages des prophètes, leurs leçons de conduite qui vinrent nous indiquer des voies humaines d’évolution, à notre époque, qui ont perdu leurs synthèses qui brassaient l’univers et ses forces, leurs contenus totalisants qui avaient créé l’homme équilibré et sage.
C’est parce qu’elle a négligé la matière que la spiritualité hindoue tomba dans l’abstrait de l’esprit pur, hors de l’univers qui a traversé la matière, support essentiel de l’expression de l’esprit, de la pensée qui l’exprime.
L’impasse hindoue, cependant, en précisant la puissance de l’esprit, en a souligné l’authenticité différente de celle de la matière.
Le Grand Gandhi en ayant eu raison des " avions gros porteurs
(4) Ainsi, certaines peuplades des côtes africaines de l’Atlantique prétendent voir l’esprit de l’or sous la forme d’une tortue d’eau, jaune comme ce métal.
(Suite page suivante)
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anglais." et de leurs machines diaboliques qui crachaient le feu de la mort, a achevé d’imposer " la puissance de l’esprit au monde ".
Mais, l’Inde a-t-elle compris que la vie de la terre, concrètement, pour subsister et combattre, est conditionnée aussi par la " puissance de la matière " : celle du blé produit, de la nourriture matérielle nécessaire à des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont en dehors de leur âme, de chair et d’os.
A l’inverse de l’Inde, l’Europe comprendra-t-elle, assez tôt, l’impasse possible de la matière dans laquelle elle engage sa conception du monde, de nos jours, visiblement étreinte par la matière, contrainte de suivre par un autre chemin d’analyse sa progression foudroyante capable de buter, au bout de la matière, au Néant de celle-ci, après lequel, on recommence toujours à zéro.
L’impasse de l’esprit a conduit aux civilisations qui ont acculé leurs producteurs dans des traditions où l’on s’enferme tranquillement, en attendant de mourir d’inanition dans sa nature humaine livrée à ses forces végétatives. A l’inverse de cette expérience achevée, à la vie dynamique de la matière, peut aussi, manquer le souffle vivifiant de l’esprit.
Entre la matière, sa réalité, l’Esprit, sa vitalité, le Noir demeure " Cosmique ". De sa chair chaude palpitante, de son âme vigoureuse et grouillante d’énergies, il rue dans la vie en y entraînant l’homme total.
C’est par cet homme total engagé dans le progrès que nous pourrons tenir le " Bien ", les deux bouts de notre destin, à la paix du monde, à la fraternité entre les hommes, à leur unité. L’homme noir, de sa " nature totalisante engagée dans l’aventure de sa propre libération ", est bien placé dans le courant nouveau que réclament les tendances actuelles de l’évolution de l’homme.
Alors, est-il scientifique, raisonnable, de laisser se perdre son expérience dont est constitué l’univers que nous sommes entrain de démontrer à l’emporte-pièce ?
L’animiste noir semble distinguer et dire :
1) Que l’univers est formé de la matière où se love dans le coeur de la matière pure, l’esprit qui l’anime.
2) Que la vie de la terre est puissance de vie qui peut s’abstraire par le double de la plante et de l’animal, plus complexe, dans le double et l’âme de l’homme (les deux sont distincts chez l’animiste).
3) Que Dieu existe - distant - en dehors de l’univers où il ne peut être atteint rue par ses messagers qui en captent " l’éclat de la gloire " (Moïse).
Ce reflet était, parfois, l’Ange, tel Gabriel apparaissant au prophète Mohamed dans la Grandeur de ses ailes déployées sur un ciel immense embrasé de l’auréole du Créateur, conditionnée, pour que Mohamed en put supporter la vue.
Entre " cet éclat " de la gloire de " Dieu " et Dieu, où se situe hors de l’univers, notre âme ? (5). Dans cette affaire d’une extrême importance pour l’avenir du monde, quel fragile humain peut-il oser conclure ?
L’identité de l’animiste est surtout mise en lumière dans ses rapports avec les objets de son culte et de sa technique.
L’Africain noir de la Savane, et d’ailleurs - distingue le minéral, la pierre, le fer, l’argent, le plomb et l’amas de pierre et de terre qui constitue la montagne. Tout jeune, j’ai assisté à maints sacrifices faits au pied d’une colline ou d’un arbre. Il s’agissait toujours d’un gîte pratiqué dans la colline ou la montagne, d’une cavité, d’une caverne dans lesquels on laissait s’écouler le sang de l’animal sacrifié et dans lesquels, après le sacrifice, on enterrait la tête, les os, la peau de la bête immolée au génie tutélaire du village ou de la région. Ainsi, dans l’esprit de l’animiste, le trou, la cavité, la caverne choisis ne sont que des réceptacles où vivent les génies ou les diables. Cette croyance appartient, à mon avis, au culte des morts. L’animal sacrifié est toujours consommé sur place par la descendance par le lien du " Sang " ou par le lien du lait de l’ancêtre-génie. La viande ne rentre jamais dans le village. Les os sont soigneusement reccueillis pour être enterrés dans la peau de la bête sacrifiée dans laquelle on insère la tête de l’animal immolé à l’esprit de la montagne ou de la colline. Il s’agit, là, à mon avis, d’une transposition de notre vie que nous avons vécue dans les cavernes à l’époque de la préhistoire de notre continent.
Antérieurement à la caverne, il y eut l’arbre, le " Géant " solitaire de la plaine qui en dominait les environs, les dangers qu’il permettait de déceler. Ainsi, avant, sans doute, la caverne ou la grotte, ce fut l’arbre qui était le suprême refuge.
Il fut, avant la grotte, la première habitation de " l’homme primitif ". Ce n’est pas l’arbre que l’animiste Noir adore, mais, le génie qui gîte à son pied ou dans son feuillage.
L’arbre, la montagnes, ses cavités, ses grottes et ses cavernes ont été toujours considérés comme des gîtes où ont gîté effectivement les hommes.
L’animiste Noir croit que l’esprit des ancêtres, suivant les degrés de leur évolution atteinte, continuent, comme par le passé, d’habiter l’arbre, le trou de la colline ou de la montagne qui deviennent, par la suite, les " fétiches ", si tant soit peu, le mot, dans la réalité, peut revêtir ce sens qu’on lui a donné.
(6) Chez les Songhay, le " double " peut être matérialisé dans la forme d’un animal dont la destruction entraîne la mort de l’individu vivant. Ainsi, après la mort du double intelligent et raisonnable, l’âme se libère de celui-ci et retrouve une autre nature abstraite dont ne rendent pas compte ni nos sens, ni ceux des sensitifs et autres voyants de la mystique africaine.
Et tout cela, pour l’animiste noir, ne se confond pas avec la matière, avec la vie de celle-ci, son esprit que voient les sensitifs. Pour lui, l’or, le fer, l’argent, le cuivre, etc... ont leur esprit propre qui se venge du " bijoutier malhonnête " qui le falsifie ou qui en altère la pureté. En partie, la morale professionnelle des anciens reposait sur cette croyance qui obligeait les artisans à respecter la pureté inviolable de la matière de leur technique.
L’animiste, à l’exemple de tous les hommes, sait que la pierre est dure, que la glaise est molle et que l’eau, le lait, le sang sont des liquides.
Il ne s’agit donc pas de telles propriétés de la matière qui tombent sous le sens de tout un chacun. Il s’agit, ici dans le cadre de la conception du monde de l’animiste, de l’expérience que le spécialiste d’une technique acquiert dans l’exercice de sa technique héritée ou apprise auprès de maîtres qualifiés.
La technique de la pierre, celle du bois, les activités humaines qui avaient trait à la pêche, à la chasse, à la culture du sol à l’élevage des animaux ont eu leurs peuples, leurs spécialistes instruits de mille et un secrets de leur métier.
Le Sorko est fils de l’eau. Il peut, en plongée, sans cloche, y demeurer la durée d’une journée sans jamais reprendre, pendant ce laps de temps, contact avec l’air extérieur. Des personnalités, de bonne foi, m’ont assuré avoir assisté à de telles expériences. Le " Do " prétend que dans le fleuve Niger prospèrent d’opulentes villes habitées par les génies, " les gens de l’eau ", faits à l’image de l’homme dont ils fréquentent les villages et les marchés.
Le forgeron, sans aucun dommage, danse dans les hautes flammes d’un brasier. Il peut, sans le chauffer, rendre le fer froid malléable comme une boule de cire. Le chasseur sait appeler le double des animaux et le Kouroumba celui du mil. Dans ces contacts humains avec la matière, avec la matière de sa technique, l’animiste sait distinguer l’esprit du minéral (l’argent, le fer, l’or), du double de la graine (le mil), de celui de la plante (l’arbre qui peut être maudit) et du double (temporaire) ou de l’âme, indestructible, de l’homme. Il distingue la " matière " minérale brute pourvue de ses énergies. La caste, c’est l’esprit de la matière, de sa technique. Il la domine.
Notre identité foncière se revéle dans notre approche de la vie et de la mort, de la mort qui entretient et perpétue la vie.
La terre est sèche, ses arbres calcinés, leurs feuilles mortes jonchent le sol ; sa flambée de vie a rejeté sa bave (bois morts, herbes, écorces détachées de leur tronc) ; son sol assoiffé halète sous l’étreinte de la chaleur et symbolise la vie de l’été brûlant.
Mais la terre, à l’approche de l’hivernage, chauffe sa sève. Celle-ci monte dans les arbres et tente une sortie par leurs bourgeons tendres, par leurs feuilles vertes ou dorées, par leurs fleurs aux mille couleurs, par leurs contrastes sur la nappe de la terre échancrée, parsemée d’arbres aux troncs gercés, aux corps lépreux offrant à la vue leur spectacle où domine la tristesse.
Mais, la première pluie est tombée, la terre happe l’eau du ciel, se gonfle et gonfle la vie. L’herbe de l’an dernier, les feuilles de la saison passée, les bois morts, s’imbibent du suc fécondant du firmament et pourrissent sous les arbres, sur le sol, les herbes, le bois et la moisissure de la terre.
A côté de l’étang coassent les crapauds, dans la première eau ; sale et verdâtre, y flotte la chaîne de perles des batraciens, leurs oeufs, d’où sortiront une génération de crapauds qui continueront leur espèce.
Le grillon, fils de l’été, a fini de chanter. Assoupi, il se tait dans feuilles et l’écorce grise des acacias, tandis que, du sol, monte la pointe jaune or des jeunes pousses des plantes, rapidement, qui surplombent la dure couleur brune de la terre désaltérée qui laisse s’échapper la vie, qui rejette l’insecte au corps de velours, " fils de l’hivernage " et de l’abondance (7).
L’air fraîchit parmi les arbres qui verdissent. La vie, jeune, pousse drue de la terre-mère. Elle est, d’abord frêle au début, puis elle croît et se renforce dans les plantes.
Elle vieillit dans celles-ci et décline, en s’accumulant dans les tubercules, les graines et les fruits du végétal où elle se réserve pour faire vivre l’animal et l’homme ; elle vit dans sa mémoire prodigieuse de vie qui ne se trompe jamais quand elle reproduit l’espèce.
Et cette vie nourrit celles des boeufs, des hommes qui se nourrissent des plantes ou de chair des animaux qui s’entredévorent pour subsister, pour que continue la vie et les espèces.
La vie globale s’entretient d’elle-même, de ses drames, de ses poésies, de ses râles et de ses rapts de la nuit, de son fou rire d’enfants insouciants qui jouent, de sa sagesse surgissant des temples, des mosquées et des églises. Se suffisant à elle-même, la vie continue, droit devant elle, sa roue de progrès que n’estompent pas nos guerres injustes, nos égoïsmes de nations riches ou pauvres, nos racismes idiots ou l’esprit de prestige de nos nations grandes ou petites.
L’univers, ainsi, est mis en route chargé de toute sa quantité de matière, de toute sa quantité de vie, de la totalité de la vie ; la vie des plantes, celle des bêtes, des hommes, celle de leurs doubles bruts ou intelligents, celle des génies et des dieux, celle de la totalité de l’univers matériel et spirituel confié à la garde de N’Débi. Celui-ci,
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suivant les lois d’avance fixées par son " maître " conduit cet univers au seuil de l’âme et de " Dieu ". Et Dieu est dans chaque effort de l’homme, dans chacune de ses tentatives quand, dans son combat de chaque jour, il contient le " Mal " ou le détruit pour élargir à tout l’univers le champ du " Bien ". Ce dernier est vérité sur le chemin qui sauve, qui mène à Dieu, à l’amont et à l’aval, expansif de la totalité de la vie où viennent s’épurer et l’esprit et la matière.
C’est à de telles sources vives que l’Africain puise l’inspiration dont se modèle son identité et sa personnalité foncière qui le particularise et le distingue des autres hommes ses frères.
La personnalité africaine est à l’image de son vaste continent. Sur la base de la même civilisation, elle est variété et même diversité quand on compare l’Afrique arabo-berbère à celle qui va du Sahara à la savane soudanaise, quand on compare l’Afrique saharienne et soudanaise à celle des Bantous et des semi-Bantous souvent cloisonnés dans la savane ou dans les forêts des côtes de l’Atlantique.
Dans le cadre du contexte africain que j’ai exposé dans le chapitre précédent, cette
C’est sous cet angle qu’il faut examiner, dans " l’absolu ", la signification des Tounkas de l’ancien Ghana, des rois païens du Songhoï et du Mali.
C’est sous un tel angle, encore, qu’il convient de considérer notre personnalité enrichie de l’apport de l’Islam, l’action des Mansa du Mali et des empereurs Songhay de la dynastie des Askia.
Animistes ou musulmans, ces souverains avaient incarné les valeurs les plus pures de leurs époques et avaient réussi à créer des Etats africains authentiques aussi étendus que les empires du Mali et de Gao (de l’Atlantique (Dakar) à Zaria et Kano (en Nigéria du Nord). L’empire du Bornou couvrit, de son côté, tout le bassin tchadien.
Des royaumes comme ceux, païens du Mossi, ont gardé leur organisation africaine jusqu’à l’occupation coloniale.
La personnalité tolérante de l’Afrique a su composer avec l’Islam qui y devint finalement une spiritualité adaptée à son originalité malgré l’action de quelques réformateurs du moyen-âge qui réussirent des conversions, à mon avis, même avec le grand Askia, qui ne furent pas profondes dans les masses populaires, qui y furent, souvent, très limitées ou de façade.
Le même caractère de la personnalité africaine se retrouve chez Béhanzin, chez Hadj Omar, Ousmane Dan Fodio ou chez Samory Touré.
Dans l’organisation du RDA, elle a dominé l’idéal de ce mouvement dans un climat de combat anticolonialiste qui donna à l’effort d’émancipation ou de libération des Africains un contenu et un but.
Cette personnalité, dans l’empire Songhay, entre les XV e et XVI e siècles était représentée par Sonni Ali Ber et Askia Mohammed Touré.
Une telle personnalité, se reflète dans la mémoire de nos traditionalistes, de nos griots dynastiques ou de famille, dans chacune de nos fables, dans nos contes si voisins en Afrique d’une région à l’autre de notre immense continents. Leurs thèmes sont les mêmes. Seuls varient les personnages qui les adaptent au Sahara, à la savane ou à la forêt. Ici, ce sont le lièvre et l’hyène qui dominent la scène. Ailleurs, ce sont l’araignée et la panthère qui occupent le devant de cette scène.
L’unité culturelle de l’Afrique met en relief l’unité de sa personnalité massive du nord au sud de notre continent.
La personnalité puissante de notre continent se retrouve intacte dans la jonction de l’islamisme et de l’animisme, dans leur synthèse harmonique.
Dès que l’islamisme fut devenu noir, dès que ses porteurs devinrent des familles spirituelles des sociétés noires, dans sa forme traditionnelle, il cessa d’être considéré comme une spiritualité extérieure à la société, mais comme une force appartenant à des familles noires intégrées dans cette société, comme une spiritualité africanisée et insérée dans la sagesse africaine, comme étant la " spécialité " d’une famille, d’un clan ou d’une ville.
C’est sous l’éclairage de cette conception des choses, à mon avis, qu’il convient de situer les rapports qui existaient entre les souverains Mossi et les musulmans.
Le fait, pour le Moro-Naba de se donner un nom musulman est non seulement, de la part de l’animiste noir, un signe de grande tolérance, mais aussi, un désir exprimé de s’approprier, en se l’attirant, l’influence du " pouvoir islamique " ainsi reconnu comme spiritualité nationale valable intégrée comme les autres spiritualités de l’empire que le Moro-Naba couvre, globalement, de son nom.
Ainsi, dès le départ, l’islam ne fut pas exclu de l’Etat païen Mossi. Il y était incorporé et contenu.
C’est cette incorporation qui caractérise les différentes spiritualités de l’Afrique Noire. Naturellement, dans les mouvements qui conduisent à celle-ci, le racasement des valeurs s’effectue dans le cadre de la personnalité africaine.
En aucun cas, devant les transformations, il ne fut question pour l’Afrique, de renoncement à cette personnalité, mais constamment, de son enrichissement effectué sur la base d’apports assimilables.
Ceux-ci s’opéraient dans une société maîtresse de son destin, dans des conditions d’égalité qui lui permettaient de choisir en toute liberté. Il va aussi, des analogies non pas de conception, mais de similitudes, entre la conception du monde des musulmans et celle de la vie des animistes. Nous avons parlé, dans le premier chapitre, de l’univers clos des animistes dont le seuil s’ouvre, fortement, sur " Dieu ". Si Dieu se trouve situé hors de la matière et de l’univers tangible, il ne demeure pas moins qu’il y a intimité entre les anges et ses messagers chargés, sur terre, de conduire l’humanité sur la voie divine de son évolution vers son créateur. Il n’y a pas synthèse idéologique entre l’islamisme et l’animisme, mais, entre eux, une " dualité " bien " tranchée " nue ne perçoit pas, toujours, l’animiste et dont est, cependant, conscient, le musulman. Dans cette dualité, les réalités matérielles ou spirituelles sont tangibles dans l’islam. Elles se solidifient et sont crûment concrètes, à tous les niveaux dans l’univers mental animiste. La doctrine musulmane transcende l’univers animiste. L’animisme, lui, s’y enferme. La doctrine musulmane est élan de foi fortement appuyée sur Dieu, ce qui la rend brûlante et saisissable dans l’esprit du mystique musulman.
L’univers animiste, lui, est un champ clos sur ses énergies à la portée de la main et du cerveau du prêtre animiste. Sur le plan de la matière concrète comme de son reflet tangible au niveau de l’esprit de la matière, des doubles des plantes et des hommes, l’animiste a l’impression de manier une substance réelle qui obéit à son désir et à sa volonté.
Bien des musulmans noirs ont, d’abord, franchi ou traversé ce monde avant d’atteindre l’univers de l’islam. Ceux-là, dans l’intérêt de la stabilité de la société, ont dû concilier ces deux mondes, tous les deux ouverts à l’esprit et à la croyance, à des forces extérieures à l’homme. Il y a entre musulmans et animistes, tout au moins, la reconnaissance de ces deux réalités qui ne se situent pas sur le même plan des sphères spirituelles du monde.
Ce qui caractérise ces deux mondes, c’est, en eux, l’absence de tout
Sur le plan de l’islam ou de l’animisme, l’Afrique Noire est, avant tout, un croyant et un humaniste.
Dans ce domaine, l’islamisme et l’animisme, à partir d’une Afrique libre, au cours du moyen-âge, à travers une confrontation pacifique avaient su tirer, entre eux, une synthèse conciliante de coexistence compatible avec la personnalité de notre continent.
Les jeunes, particulièrement, sont sensibilisés sur cette question pourtant essentielle dans la recherche de notre identité et de notre personnalité.
L’histoire traditionnelle rend compte de l’Afrique ancienne, de sa conception du monde et de la pensée qui a explicité cette conception dans l’espace et le temps, de l’Egypte antique à notre Afrique d’aujourd’hui, nuancée de ses particularismes qui se présentent parfois dans des différences accusées, mais qui ne remettent pas, cependant, fondamentalement en cause l’unité de notre continent - surtout, massive - celle de son destin face à l’évolution du monde actuel, à la fois unitaire et dynamité de l’interpénétration de ses peuples et de ses idées écartelées entre nos systèmes ou nos idéologies dominants qui se partagent, en ce moment, notre monde déchiré.
Elle est un retard et non plus une contemplation béate du passé. Elle est étude raisonnée de ce passé dans le but d’en découvrir le contenu humain et social, le fondement moral qui a fait sa stabilité - sinon - son équilibre et sa force.
L’histoire traditionnelle est un mouvement de retour aux sources qui a inspiré notre personnalité sur la route longue de l’histoire de nos peuples.
La tradition se propose de rechercher cette histoire humaine pour en analyser la nature unitaire initiale et les variations intervenues à la suite des migrations, de nos peuples et de leurs évolutions séparées ou vécues dans le contexte de déterminismes géographiques et historiques - forcément - différents à cause de l’immensité de notre continent.
L’histoire traditionnelle embrasse l’homme africain dans sa totalité. Elle le détermine par rapport à lui-même et spécifie par rapport aux autres hommes ayant subi des évolutions différentes à partir d’autres contextes également différents.
L’histoire traditionnelle s’occupe du recensement de nos valeurs propres ayant conditionné le comportement de notre être profond et les civilisations que nous avons produites.
L’histoire traditionnelle n’est pas un retour en arrière, mais une recherche constante active de notre passé et de la façon dont il a conditionné notre personnalité africaine. Cette étude est nécessaire à l’heure où dans le monde, l’homme, partout, est remis en question.
L’histoire traditionnelle est l’homme africain perçu dans cette histoire et dans cette histoire et dans sa culture des légendes et de contes merveilleux qui envoûtent notre imagination.
Les histoires de dieux, les histoires de prophètes ou de chefs n’ont de signification que parce que le lieu de leur accomplissement, l’histoire africaine, représente un plan d’intérêt et de conscience où les éléments incorporels du monde de la conscience imaginante, immémoriale, prennent corps et deviennent figures intégrant en elles-mêmes. Dès lors, celles-ci en ceux qui les perçoivent, deviennent l’ensemble des constituants de la personnalité africaine.
C’est cela, varié, qu’il faut relever en Afrique afin d’identifier l’homme d’Afrique cerné dans ses différents habitats.
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Plus qu’un simple retour à un passé inactif, c’est à une étude profonde de l’Afrique et de ses hommes que l’histoire traditionnelle nous convie dans le but de comprendre ce continent avant tout, qui doit s’expliquer lui-même.
C’est le problème important de sa réhabilitation qui se pose et s’impose, aujourd’hui, dans notre monde en pleine mutation.
La question, à mon avis, est aussi sérieuse que cela. Je dirai pourquoi dans la suite de cette étude.
L’Afrique que nous avons passée en revue fut confrontée avec différentes colonisations qui regroupèrent arbitrairement ses populations, souvent écartelées entre des systèmes coloniaux suivant leurs propres intérêts et qui ne voulurent pas coordonner leurs actions en fonction, de ceux, bien compris des peuples africains.
La colonisation ne prit pas l’Afrique pour elle-même. Elle l’a, souvent, sans ménagements, conformée à ses propres impératifs divergeants d’une colonisation à l’autre.
Mais chacune de celles-ci ont introduit dans l’Afrique occupée
La paix coloniale -
Le " modernisme colonial " assimilateur nous détourna de nos propres valeurs à la faveur d’autres, lointaines et extérieures à l’Afrique.
Les besoins coloniaux ont suscités de notre continent une économie nouvelle élite détachée de l’Afrique dans le but de gérer, au profit du colonisateur, cette économie.
Depuis, l’Afrique s’est réfugiée dans les campagnes, tandis que des populations de rencontre, en marge de nos sociétés africaines, créaient des villes hétéroclites, à tout venant, sans âme. Il s’en suivit une perturbation africaine - sinon - son profond bouleversement accentué par un enseignement théorique et assimilateur, conçu non pour les besoins des africains, mais, pour servir ceux de la colonisation.
Ce problème, en ce moment, se pose avec acuité et je le pose à la conscience de chacun de nous.
En tout cas, dans ce domaine, tout est remis en question. L’enseignement, à la suite de la détribalisation de notre continent, des exodes qui dépeuplent nos campagnes à la faveur de nos villes pléthoriques, ne doit pas continuer de fabriquer, en série, des épaves nouvelles pour ces villes.
Il y a là, évident, un fait africain découlé de la colonisation qui se dresse devant nos efforts de mise en valeur de notre continent.
Ce fait doit être analysé en fonction de l’ancienne et de la nouvelle Afrique, en fonction de leur voisinage et de leur synthèse pratique en direction de nos villes et de nos campagnes, de l’usage que nous devons en faire pour rénover notre continent et ses hommes.
L’histoire traditionnelle semble être le facteur essentiel d’une telle rénovation capable de permettre à l’Afrique de reprendre conscience d’elle-même et des autres continents différents d’elle.
L’histoire traditionnelle définit l’Afrique et ce qui en demeure sur le plan de nos valeurs propres susceptibles de contribuer à la rénovation de notre continent compatible avec le progrès accéléré de notre temps.
L’histoire traditionnelle, vivante, est un champ de prospection ouverte à notre jeunesse, à l’étude tendant à nous permettre de retrouver notre identité explicitée par nos propres civilisations produites, humaines comme toutes les autres.
L’histoire traditionnelle doit nous conduire à la rencontre des facteurs humains de notre rénovation - sinon - de notre renaissance.
L’indépendance doit être pour nous l’occasion de repenser notre société en vue de lui redonner
Celle-ci ne doit pas rougir de sa couleur sombre. Nous devons reconnaître, tel qu’il est, notre retard technique, un handicap, non
Si nous écartons de la route de notre évolution cette faiblesse technique,
Au moment où la science et la technique fusionnent et prennent corps dans le même creuset, l’humanisme africain prend
Au moment où l’automation se dresse devant la personnalité de l’homme, où elle lui impose sa création et l’annexe à celle-ci, le
Mais, ce retard ne signifie-t-il pas que la pauvreté, elle aussi, ne favorise pas le progrès humain ?
La jeunesse occidentale ne retrouve plus son identité dans ce confort et le nôtre conteste notre sous-développement préjudiciable à son progrès.
Ainsi, dans le mande entier, la jeunesse, dans le même temps, conteste l’ordre établi dans tous les pays.
Cependant, la contestation de la jeunesse africaine, si elle coïncide avec celle de la jeunesse occidentale, n’a pas
Quand on approfondit les choses, il apparaît à l’examen du chercheur que
La contestation de la jeunesse occidentale et celle de la nôtre ne sont pas identiques. Elles sont complémentaires. Elles indiquent
L’histoire traditionnelle dégage, de nos contes, de nos légendes et de notre culture, la volonté constante de notre société de
Aujourd’hui donc, c’est cet acquit spirituel qu’il nous faut reconnaître comme nôtre afin de le revaloriser et de l’engager dans le progrès de notre temps.
Ce n’est pas l’homme qui nous manque - il est notre grand retard - mais la technique moderne, la science que nous devons humaniser du souffle vient de notre esprit afin de les contraindre à servir les besoins de l’homme. C’est à partir de celui-ci, réalisé et reconnu, que nous devons affronter l’aventure du progrès pour qu’il nous aide à produire notre
C’est à partir de cette position ferme que nous pouvons donner une forme nouvelle à l’évolution de notre espèce en vue d’amender le matérialisme asséchant de la science et de la technique actuelles.
L’immense retard de l’Afrique ne pourrait avoir un sens que dans la mesure où il pourrait déboucher sur une évolution susceptible d’assurer à l’homme sa survie sur la terre.
L’Afrique, au commencement de l’histoire, ayant sorti l’homme de l’animalité, il est évident, dans l’ordre des choses, qu’elle lui redonne les éléments humains de son nouveau départ. Nous devons être conscients de cette tâche historique qui est la nôtre en ce moment.
Cette vision de l’homme, si nous savons nous concerter, si nous savons joindre nos efforts autour
L’histoire traditionnelle n’est pas simplement du folklore, la collecte simple des faits historiques ou des phénomènes humains du passé, elle suscite de notre âme le
Il ne s’agit donc pas de nous replier sur nous-mêmes ou de nous isoler du reste de l’humanité, mais de nous décider à participer à la civilisation, à y apporter notre part dans le but de contribuer à la réorienter vers les besoins de l’homme sur lequel doivent converger tous nos efforts de développement positif.
Le Japon, en d’autres temps, l’a bien compris. Le résultat de son expérience force l’admiration des peuples, le Japon étant devenu une des nattions les plus développées du monde.
La puissance de l’esprit l’emporte sur celle des moyens matériels. Dans ce domaine c’est le petit Viêt-Nam qui est en train d’avoir raison de l’Amérique du Nord, la nation la plus puissance du monde.
Ce fait, majeur, en soi, est une grande leçon. Il marque un grand tournant de l’histoire du genre humain. Ici, c’est évident, éclate, à la pleine lumière du jour, la supériorité de l’esprit sur la plus grande puissance économique et militaire de notre globe et, cela, parce qu’elle n’a pas réussi à résoudre le problème de l’homme, celui de son bonheur et de la paix sur notre planète au seuil de la peur, sinon, du déchirement.
L’ancien ordre des choses, qu’il soit socialiste ou capitaliste, s’écroule ou est fortement à l’épreuve, en tout cas remis en question.
Les événements internationaux de ces dernières semaines montrent que la réalité nationale ou continentale est entrain de prendre le pas sur l’appartenance à une idéologie déterminée.
Autrement, que signifie le rapprochement de la grande nation américaine dont l’anti-coommunisme bien connu s’accommode aujourd’hui avec la Chine populaire ?
N’est-elle pas aussi significative l’alliance conclue entre l’Inde capitaliste et l’Union Soviétique socialiste ?
Que dire du rapprochement de la Chine Populaire avec le Pakistan ?
Le regroupement des nations d’Europe obéit davantage aux intérêts majeurs de l’Europe occidentale qu’à l’appartenance de ses nations au système capitaliste.
Ce sont des faits qui augurent des grands changements dans le monde à la recherche d’un nouvel équilibre.
Quand au XV e siècle l’Europe opéra sa renaissance, c’est dans son passé grèco-latin qu’elle puisa l’essence de sa rénovation.
De même, l’Afrique doit faire surgir de son sein la substance de sa renaissance.
Entre l’absolu Hindou et l’économie de puissance des Nations hautement développées, l’Afrique doit mettre l’accent sur l’homme et son éducation favorable à une économie de paix.
Cette éducation, essentielle, vient avant les moyens matériels, avant la croissance économique qui ne sert pas, d’abord, les besoins de l’homme.
L’objet, dans ce domaine, doit devenir l’Afrique à laquelle chacun de nous doit concéder suffisamment de lui-même dans le but d’en garantir l’unité - sinon - la solidarité fondamentale.
Il est temps, transcendant nos diversités même heurtées, que nous apercevions mieux la nécessité de nous unir autour du minimum favorable au regroupement de nos nations qui ont tant de traits communs susceptibles de les rapprocher les
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unes des autres en vue de développement généralisé qui se dessinent fortement dans le monde dont le Nord, avec 700 millions d’habitants, possède 90 % du revenu alors que le Sud, avec deux milliards d’hommes, ne possède que 10 % de ce revenu.
L’étude de l’histoire traditionnelle, loin d’être un retour au passé, est, sur le chemin de notre rénovation, le facteur essentiel de notre renaissance.
Renaissance tel, est bien le but de notre histoire traditionnelle.
Dans notre monde planétaire où les hommes et leurs idées s’interpénètrent, l’examen de la pensée humaine doit être étendu au passé et au présent de tous les peuples.
Sur le sujet, dans l’avant propos de son
" S’agissant de la pensée humaine, il eût fallu encore, non pas seulement la considérer dans les autres civilisations
Il poursuit, ainsi, sa pensée :
" C’est là qu’on saisit le mieux, parce que c’est là qu’il résonne le mieux dans nos âmes.
" En toutes est présente l’intuition de quelque chose à chercher plus avant que ce qui s’offre et que l’on trouve immédiatement.
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