Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
RÉCÉPISSÉ
69.624.jb.dh
le 8 juillet 1969
Monsieur Diallo Abdoulaye
Commissaire Général du Développement
Niamey
Cher Ami,
Tu trouveras, ci-joint, la partie de mon rapport adressé au Président, et concernant mes contacts avec l’ Administration canadienne à Ottawa. Comme tu le remarqueras, le télex que je t’ ai envoyé ne contenait, pour des raisons évidentes de sécurité, que certains extraits seulement.
Ce rapport a été écrit en fonction de mon projet de venir à Niamey mercredi dernier, projet que je n’ ai pu réaliser, car on m’ avait dit que le Président lui-même serait ici vendredi. J’ ai longuement discuté hier soir de cette partie du rapport avec le Président.
Amitiés, à très bientôt.
Lors de nos entrevues précédentes, avec Maî ou seul, nous avions toujours eu affaire à Monsieur Gaudefroy. Et celui-ci nous avait toujours donné l’ impression de vouloir ’’punir’’ le Niger pour avoir commis un crime de lèse-majesté en passant par-dessus la tête de l’ administration.
Cette fois-ci, il était net que l’ atmosphère avait complètement changé. Tout d’ abord, mon vis-à-vis était M. Hudon, supérieur de Gaudefroy, qui était toutefois présent à la réunion, mais en subalterne. Ensuite, la partie canadienne n’ a pas cherché la petite bête. Au contraire, ils étaient tous détendus et beaucoup plus coopératifs. Il était évident que M. Marc Lalonde, que j’ avais rencontré la veille, avait passé le ’’savon’’ nécessaire rentre temps.
Ceci dit, il ne faut surtout pas sous-estimer la capacité d’ inertie de l’ administration canadienne. Celle-ci, de toute évidence, compte prouver deux choses :
1°. Le Niger demande un peu au hasard, au Canada, de participer à la réalisation de ses projets. En effet, j’ ai appris, par le plus grand des hasards, que M. Hudon avait chargé le 7 juin un jeune assistant-professeur de l’ université d’ Ottawa, M. Baribeau, de lui préparer, pour le début septembre - c’ est-à-dire avant l’ arrivée du Président à Ottawa - une étude sur :
- la physionomie de l’ économie nigérienne,
- le plan de développement du Niger,
- les sources détaillées d’ aide au Niger.
J’ ai appris encore que M. Gouin, qui va arriver d’ Accra à Niamey, le 2 juillet, est chargé non seulement d’ avoir des détails sur les projets nigéro-canadiens, mais d’ enquêter également dans le même sens.
En conséquence, si ce n’ est déjà fait, il faut bien préciser - quitte à refaire quelques pages du plan - que le barrage est inclus, depuis longtemps, dans le plan.
2° . L’ Administration cherche par ailleurs à prouver que si retards il y a, ils sont dû au Niger, et que d’ ores et déjà beaucoup a était fait du côté canadien. En effet, M. Hudon a repris l’ ensemble du dossier Chevrier et m’ a dit :
1 . ’’ Nous avons envoyé, en février dernier, un projet d’ entente à Niamey. Le gouvernement nigérien a fait des objections sur la question des taxes - nulle part on ne nous demande d’ acquitter des taxes - et nous attendons sa réponse à ce sujet.’’
Je lui ai promis de m’ en occuper personnellement lors de mon prochain séjour à Niamey et de lui préciser la position du gouvernement nigérien par retour du courrier.
2 . ’’ Nous avons demandé au Niger les spécifications sur la seconde tranche de papiers promis par la Mission Chevrier et nous attendons ces précisions’’.
Là aussi, j’ ai promis une réponse dans la semaine.
3 . ’’ Pour ce qui est des autobus, il y a également des divergences et nous attendons la réponse de Niamey’’.
4 . ’’En ce qui concerne le relevé géophysique, M. Gouin, du bureau de l’ Aide Extérieure, arrivera d’ Accra à Niamey le 2 juillet avec le rapport’’.
5 . ’’Il semble qu’ à Niamey, on ait changé d’ avis sur le contenu de notre aide à la protection des végétaux. De toute façon, il s’ agit d’ un projet difficile et dont la réalisation prendra du temps.’’
6 . ’’ Deux spécialistes canadiens arriverons en septembre au Niger pour établir une étude préliminaire sur les moyens de lutte contre les maladies endémiques’’.
7 . ’’ Nous ne savons pas quelles sont les qualifications du conseiller que demande le Président’’.
Sue ce point, M. Gaudefroy s’ est lancé dans une longue énumération des qualités que devrait avoir ce conseiller. Je lui ai répondu :
’’ Si vous cherchez un homme d’ une très haute qualification technique et économique, ayant une très grande expérience de l’ Afrique et des Africains, la tâche sera extrêmement difficile, sinon impossible. Je pense qu’ il serait plus sage de nommer, avec un contrat de six mois seulement - ce qui nous permettrait, à vous et à nous de jauger ses capacités - un économiste sérieux, susceptible sur un plan général, de conseiller le Président sur la validité d’ un projet, sa rentabilité, et sur le plan canadien, d’ assurer une liaison étroite entre Niamey et Ottawa pour accélérer la matérialisation des projets intéressant les deux pays. Nous-mêmes pourrions vous citer les noms de plusieurs ingénieurs-économistes canadiens ayant les qualifications nécessaires et qui sont, de plus, prêts à aller à Niamey. Si nous ne citons aucun nom, c’ est qu’ il s’ agit là d’ une responsabilité proprement canadienne’’.
M. Hudon s’ est déclaré convaincu de la justesse de ce point de vue.
8 . ’’ Il y a d’ autres projets nécessitant des capitaux énormes, tels que le Goulbi de Maradi et le chemin de fer, et vous comprendrez qu’ avec le barrage du W, cela constitue un fardeau trop lourd pour un seul pays’’.
Ma réponse a été la suivante :
’’ Dans le cadre de la coopération nigéro-canadienne, le Niger avait soumis un certain nombre de grands projets à la bienveillante attention du gouvernement d’ Ottawa. Celui-ci ayant accepté de s’ intéresser au barrage du W, il est bien évident que nous n’ allons pas vous demander de réaliser tous nos projets. Le barrage a la priorité absolue pour le Président’’.
9 . ’’ Le barrage, vous le savez, nécessitera beaucoup de temps, que ce soit sur le plan l’ étude technique que nous devons reprendre, ou de la recherche du financement complémentaire. Au demeurant, celui-ci prime l’ étude. Car si nous ne trouvons pas le financement, il sera inutile d’ investir 3 à 5.000.000 de dollars pour l’ étude détaillée’’.
Je lui ai répondu que j’ étais d’ accord. D’ autant, ai-je ajouté, que si le Canada accepte, comme prévu, le rôle de chef de file et d’ investir de 30 à 40.000.000 de dollars dans ce projet, le financement complémentaire, - de source américaine, de la Banque Africaine de Développement, ou de la Banque Européenne d’ Investissement - sera relativement facile à obtenir.
10 . ’’ Le Niger a demandé également des produits pharmaceutiques. Si je comprends bien, il s’ agit là d’ une aide temporaire découlant d’ une situation temporaire’’.
Je lui ai brossé alors un tableau de la situation en rapport avec la guerre au Nigeria, pour lui montrer qu’ il s’ agissait bien d’ une situation temporaire.
Ce qui précède représente l’ essentiel de ma conversation avec M. Hudon, en présence de M. Gaudefroy et de notre consul. Nous devons à tout prix essayer de neutraliser l’ Administration. Pour le faire, il faudrait :
a - donner des instructions strictes pour que chaque demande de renseignements d’ Ottawa reçoive une réponse dans les 48 heures,
b - donner au barrage une place de choix dans le plan, s’ il en a pas déjà une,
c - adopter, ce que je me suis permis de faire, la stratégie que voici :
1° . l’ échelon politique s’ étant engagé à réaliser le barrage, ne pas permettre à l’ administration de proposer une solution de rechange - le Goulbi de Maradi - qui permettrait au Canada de nous ’’ aider ’’ aux moindres frais ;
2° . partie du point de vue que les projets Chevrier sont acquis et n’ en parler que pour se plaindre des retards ;
3° . s’ en tenir strictement aux trois projets de :
- la route de l’ unité ’’ qui ne va pas coûter d’ argent au Canada’’, mais lui apportera beaucoup de prestige,
- l’ institut bilingue ’’ qui va dans la voie de l’ Unité Africaine et aussi du canada et qui ne coûtera pas beaucoup d’ argent’’,
- le Barrage du W,’’ seule voie de salut pour l’ économie du Niger’’.
En terminant, je voudrais relever un point important : l’ accueil de Marc Lalonde a été si chaleureux, les représentants de l’ administration étaient tellement dans leurs petits souliers que je n’ avais pas du tout l’ impression de me trouver dans cette position de quémandeur dont souffre tant l’ excellent Poisson à Bruxelles. Je pense que, sans verser dans la morgue ou l’ outrecuidance, nous devons être conscients que pour la première fois dans l’ histoire de la coopération du Niger avec un Etat industrialisé, nous sommes à même d’ aider directement, à court terme cet Etat.
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