Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE
INSPECTION D’ÉTAT
N° I. E.
RÉPUBLIQUE DU NIGER
FRATERNITÉ - TRAVAIL - PROGRÈS
Si le barrage du "W" est indispensable pour asseoir sur des bases solides l’économie nigérienne et lui donner enfin l’élan de départ nécessaire à son décollage , la Route de l’Unité , elle , est vitale pour cimenter la nation en formation qu’est le Niger . Cet impératif d’essence politique , ce paramètre non chiffrable sur le plan économique , est pourtant fondamental . Le Gouvernement nigérien considère cette route comme une priorité absolue et désire ardemment parachever l’unité physique du pays .
Ce fait admis par les experts de la firme canadienne envoyés au Niger pour étudier le problème puisqu’ils écrivent dans leur rapport (1) :
" Politiquement , la justification de la Route est très forte . De fait , la région à l’Est du Niger est isolée du reste du pays . . . L’économie du Nigeria est la seul à profiter des territoires orientaux du Niger ."
Il convient de préciser tout d’abord ici que la plupart des pays ont eu , au cours de leur histoire , à construire des routes ou des chemins de fer citer le Transibérien , ou la route Helsinki -Rovaniemi -Ivalo - Kirkenès vers l’extrême nord finlandais , ou mieux encore les exemples canadiens qui nous ont été fournis lors de notre dernier séjour à Ottawa , ceux du chemin de fer vers l’ouest et l’autoroute de l’Alaska .
Cela signifie que , s’agissant d’une œuvre d’envergure éminemment et profondément nationale , cette route devrait être réalisée , même si elle n’était pas rentable .
Or , elle l’est . Nous tâcherons d’illustrer ce point de vue les lignes qui suivent .
I .- Le prix de revient de la Route -
Une simple comparaison , entre le rapport de la mission canadienne chargée de l’étude des phosphates de Tahoua et celui concernant la Route , montre que le chapitre "Personnel canadien" (page 41) est surévalué de près de 50 % dans le cas de la Route . En effet , le calcul pour Tahoua (8) donne moins de 2.000 $ par cadre et par mois , alors que pour la Route , on envisage 3.500 $ par expatrié et par mois (p. 41) . Somme d’autant plus élevée qu’il s’agit d’une moyenne et qu’on y inclut , spécifiquement , les "volontaires canadiens" qui représentent le tiers des effectifs expatriés à engager . Or , ce poste représente à lui tout seul 2.135 .000 $ , soit 25% du coût total de la Route dans l’alternative "exécution directe" retenue par le Niger .
Par ailleurs , il semble que les ingénieurs de la firme De Leuw , Cather & Cy aient pris comme base du change des dollars canadiens le taux qui leur a été consenti par les banques locales -réputées pour leurs taux de commission élevés - qu’elles appliquent aux chèques de voyage . En effet , les ingénieurs utilisent dans leurs calculs le taux de 254 F. CFA pour un dollar canadien , alors que celui de 264 F. CFA serait plus proche de la réalité (compte - tenu de la décote de 6% par rapport au dollar USA) . Or , sur une somme globale de 3.331.000 CDN $ prévus pour les dépenses locales , cela fait une différence , non négligeable , de 133.000 CDN $.
Si l’on ajoute à ces deux éléments de calcul , les 1.200.000 dollars provenant de la vente du blé canadien et bloqués précisément à la réalisation de la Route , le devis de la firme canadienne pour " l’exécution directe" devrait être ramené à :
Qu’il nous soit permis de relever encore que 1.130.000 dollars "d’imprévus" sont compris ce total .
Si les services compétents du Gouvernement nigérien se sont livrés à ces quelques calculs rapides , c’est généralement fonction de l’investissement . Or , il est clair que la réalisation de la Route coûtera 25,6 % moins cher que prévu .
II - La rentabilité économique sur le plan agricole
La Société Générale des Techniques Hydro -Agricoles (SOGETHA) avait réalisé , en novembre 1963 , une étude tendant à la mis en valeur de la vallée de la rivière Komadougou qui forme , dans la région de la Route , la frontière entre le Niger et le Nigeria . On trouvera ci-dessous quelques uns des éléments d’appréciation données par le rapport établi par la SOGETHA (2) et qui militent fortement en faveur de la construction de cette route :
a) " la diversification des produits d’exportation (sera fonction) des possibilités de transports" (p. 22) ;
b) "le problème des transports est , semble-t-il , la pierre d’achoppement d’une mise en valeur véritable de la basse vallée de la Komadougou" (p.23)
c) "le problème des transports reste essentiel pour tout développement régional à moyenne et longue échéances " (p.25) ;
d) " le facteur essentiel qui conditionne tout aménagement important dans cette région très isolée . . . reste en effet , avant tout , l’amélioration des transports et des communications " (p. 31)
e) " ce n’est qu’après avoir assuré les besoins vivriers de la population et créé un courant d’exportation de riz . . . que l’on pourrait passer , côté Niger , à des aménagements d’importants périmètres irrigués".
Le BCEOM (4) qui a étudié la route en septembre 1962 écrit à ce même sujet :
" La mise en valeur de 1.500 km 2 le long de la vallée de la Komadougou - chaque hectare de culture irriguée donnant deux tonnes de produits - il peut en découler d’importants problèmes de transports (p.28) /
Dans cette région , à cause de la pénurie des transports , seuls 26.000 hectares sont cultivés de façon traditionnelle , alors que 150.000 hectares pourraient être mis en cultures irriguées .
Mais la Komadougou ne constitue pas sur le plan agricole , la seule richesse de la région orientale du Niger . C’est ce que relève encore le BCEOM (4) d’où l’on peut tirer les arguments que voici :
a) "Les trois centres de Gouré , Maïné - Soroa et Diffa ont exporté , en 1961, 3.300 tonnes de produits alimentaires , dont les 3/4 sont constitués par du mil et cmpte non tenu arachides de Gouré " (p.11).
b) "Surtout autour de Maïné - Soroa , on trouve dans la brousse des arbes donnant une gomme arabiques de qualité , le plus souvent commercialisée en fraude au Nigeria , par suite du handicap constitué par le coût élevé du transport vers l’Ouest " (p.13 ).
c) " le problème du riz mérite un paragraphe spécial puisque c’est de lui que peut en définitive découler le maximum d’intérêt (p. 30) . . . la production pourrait atteindre plusieurs milliers de tonnes " (p.35) .
Ajoutons encore que la mise en valeur de la région agricole du Lac Tchad , prévue depuis longtemps , se heurte , elle aussi , au même obstacle des transports .
On peut conclure , semple-t -il , des éléments d’évaluation qui précèdent , que la Route de l’Unité est la clé du développement agricole de cette région .
III - La rentabilité dans le domaine de l’élevage -
La région du Niger que desservira la route est l’une des plus riches en bétail . On y compte en effet , par habitant ,
4,5 bovins
2,5 ovins
4,5 caprins
sans compter les chevaux et les chameaux (7).
Tout ce cheptel est inutile au Niger et ne sert qu’au ravitaillement en viande du Nigeria . Et cela se fait en fraude c’est-à-dire au détriment du budget du Niger .
Le rapport des ingénieurs de la firme De Leuw admet (p.44) que ce bétail en carcasses pourrait trouver un marché à Zinder .
Il faudrait rappeler encore que selon l’étude du BCEOM " les exportations des cuirs et peaux se font également , le plus souvent en fraude , vers le Nigeria (4) .
IV - Les ressources de la pêche
Selon le rapport canadien " l’investissement de grands capitaux dans l’industrie de la pêche pourrait changer la situation " en ce qui concerne le trafic de la Route (p.44).
Or , la note du Ministère des Travaux Publics (7) qui a été remise en Septembre aux Autorités canadiennes , relève que , selon un rapport de la FAO de 1966 , la production potentielle du Lac Tchad est estimée à 200 . 000 tonnes par an , et que la route permettrait d’écouler la quote-part nigérienne vers la région de Zinder privée de poissons .
V - Les " évaporites "
Le sel est une denrée rare au Niger . Le sel importé coûte , à cause des frais de transport élevés , 25 . 000 F . CFA la tonne . Alors que dans la région de la Route de l’Unité , il ne coûte rapport du Bureau de Recherches Géologiques et Minières de Paris (5) :
" La région de Manga , à l’Ouest de Maïné -Soroa , le long de la frontière du Nigeria , soit sur 150 km de long et 8 à 40 km de large , constitue le "Mandaram" ou " pays du sel" (p. 37) . . . La production totale du Manga est à l’heure actuelle de l’ordre de 1.000 à 2. 000 tonnes de sel traité (p. 46)."
Une route , en assurant des débouches , permettrait d’augmenter grandement cette production , et de couvrir les besoins du Niger , tout en soulageant sa balance commerciale .
VI - Le sous - sol
La prospection minière du Niger , on le sait , avait été jusqu’ici beaucoup négligée . Que dire alors de cette région totalement isolée du pays ?
Or , le document du Ministère nigérien des Travaux Publics (7) fait état d’indices de bauxite , de pétrole , de wolfram , de colombo - tantalite et d’or . Si ces indices se concrétisaient , le problème de la route se présenterait sous un jour totalement différent .
On se trouve devant un cercle vicieux. En tout état de cause , les espoirs miniers dans la région de la Route de l’Unité doivent être valables puisque les deux géologues canadiens qui ont étudié le problème de la prospection aéroportée avec la Direction des Mines de Niamey ont retenu deux des quatre zones à inventorier dans les parages immédiats de la Route .
VII - Les paramètres non - chiffrables
Nous avons mentionné déjà le contenu politique de la Route de l’Unité comme un paramètre fondamental non chiffrables . Mais il y en a bien d’autres .
Ainsi on lit dans le rapport des experts canadiens (p. 44-45) :
"L’eau est un sous - produit de la route qui influencera considérablement le développement de la région . Pour les besoins de la construction , il sera nécessaire de forer un puits tous les 8 km environ , et la présence de ces puits procurera la sédentarisation et une activité économique accrue " .
On ne peut certes chiffrer un tel paramètre . Mais est-il logique de ne pas le prendre en considération et de s’en tenir uniquement au nombre de voitures qu’emprunteront la Route pour juger de sa rentabilité ?
Parmi les autres paramètres non chiffrables , citons encore :
a) accroissement de la mobilité des fonctionnaires
b) l’efficacité décuplée des services sociaux tels que les dispensaires , les écoles et les services vétérinaires
c) l’extension des foyers agricoles et la fixation des populations .
d) le flux de développement que crée toute route en pays sous-développé
e) le passage de l’économie de subsistance à l’économie de marché .
Comme le relève le rapport de la Commission du Lac Tchad (3)
"Il existe de nombreux paramètres impossibles à chiffrer dans le cadre habituel des coûts et avantages . L’art d’évaluer les avantages sociaux découlant de nouvelles routes en est encore au stade préliminaire (p. 13)" .
VIII - La pénalisation de l’Etat
La fraude à l’exportation et à l’importation cause un préjudice grave au budget de l’Etat . C’est un euphémisme que de dire que dans toute cette région du pays , la notion de douanes est inconnue .
Or , l’étude de la SOGETHA (2) indique par exemple que " les récents forages artésiens réalisés non loin de la vallée sont d’un grande intérêt et peuvent même modifier les routes traditionnelles de transhumance " (p. 29). Elle suggère de "canaliser" le bétail en route vers le Nigeria à l’aide de ces points d’eau et de lui permettre de traverser la Komadougou qui constitue la frontière , par un ou deux ponts rudimentaires (ponts Bailey par exemple ) contre paiement d’une légère redevance .
L’État y gagnerait quoiqu’il soit difficile , la encore , d’avancer des chiffres .
IX- La rentabilité propre de la Route
Nous avons indiqué ci-dessous à quel point il était injustifié de s’en tenir au seul volume transporte pour juger de la rentabilité d’une route . Mais analysons quand même le problème .
Le rapport des ingénieurs de la firme De Leuw rejette , comme minimum de rentabilité , le chiffre de 6. 000 tonnes /an donné par le BCEOM (4) et considère que ce chiffre devrait être porté à 18 et même à 24.000 tonnes / an (p. 18) , sans toutefois expliquer les raisons qui militent en faveur de ce chiffre . D’autant qu’il n’est précisé nulle part , si cette norme de rentabilité est fonction d’un investissement de 13,8 ou 6.000.000 de dollars .
Pour analyser la justesse de cette conception , nous disposons comme point de repère d’une étude française très récente , intitulée "Financement de la Route Tahoua -Arlit (6) relative au projet de construction d’une bitumée destinée à faciliter l’exploitation du gisement d’uranium d’Arlit , au Nord-Ouest d’Agadès . Or on prévoit pour cette route un investissement de quelque 30.000.000 de dollars canadiens , pour un trafic évalué à 45.000 tonnes/an , tonnage que les auteurs du projet considèrent comme hautement rentable sur le seul plan économique sans prendre en considération aucun paramètre non chiffrable .
La mise en parallèle des chiffres des deux routes montre bien que le chiffre de 24.000 tonnes/an avancé par la firme De Leuw est surévalué .
Il convient de relever encore deux autres éléments d’appréciation que l’étude du BCEOM (4) prend en considération à savoir :
a) "sur la piste actuelle , les camions consomment 50 litres aux 100 km et les véhicules légers 30 litres" (p.22).
Or sur les routes du Niger -de terre battue en majorité - la consommation moyenne est respectivement de 30 et 18 litres . D’où une différence de 20 et 12 litres aux 100 km alors que tous les carburants sont importés par camions du port de Cotonou etalourdissent la balance commerciale du Niger .
b) "le tarif appliqué sur la piste actuelle est de 31 , 65 CFA la tonne/km en saison des pluies ".
Or le prix fixé dans le reste du pays est de 10.50 CFA c’est-à-dire le tiers . Une baisse aussi sensible des prix des transports de marchandises n’est-elle pas susceptible du Niger et le reste du pays ?
CONCLUSION
Le plan de développement routier de l’Inde prévoit que :
a) aucun village ne doit se trouver à plus de 5 miles d’une route quelconque , ni à plus de 26 miles d’une route principale .
la densité moyenne du réseau routier doit être de 32 km par 100 km 2
Le Niger est bien éloigné de cet objectif pourtant modeste . Il n’aspire dans l’immédiat qu’à cimenter , grâce à cette Route , l’unité fragile d’une Nation en formation . Le Gouvernement nigérien considère cette oeuvre d’unification physique du pays d’autant plus nécessaire et urgente qu’à ses frontières , dans les parages immédiats de la route projetée , un grand pays a été obligé de recourir à la lutte armée pour préserver sa propre unité .
Le Président de la République du Niger pense que si le projet de barrage du"W" nécessité encore des études techniques et économiques , tel n’est pas le cas de la Route de l’Unité . Faisant état des arguments avancés ci-dessus , il prie le Gouvernement Fédéral canadien de bien vouloir passer de l’accord de principe qu’il a eu l’obligeance de donner déjà , au stade de pré-exécution , notamment par la formation - comme foreurs de puits , conducteurs d’engins lourds , mécaniciens , techniciens en terrassements , etc. . . -
des membres de la Jeunesse du Parti Progressiste Nigérien qui travailleront en tant que volontaires à la matérialisation de cet objectif prioritaire du peuple nigérien .
Les études ayant servi de base au présent mémoire :
1 - Le rapport de MM. De LEUW CATHER & Cy of Canada Ltd.
2 - Etude de la SOGETHA : mise en valeur de la Komadougou
3 - Rapport de la Commission du Lac Tchad -Commission Economique
pour l’Afrique - OUA-
4 - Etude du BCEOM : Inventaire des Evaporites du Niger
6 - Le rapport sur le financement de la Route Tahoua -Arlit
7- Note du Ministère des Travaux Publics
8 - Projet des Phosphates de Tahoua - Mission canadienne . /
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