Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
L’étonnante histoire du mercenaire du ciel qui a pulvérisé la moitié de l’aviation nigériane avec une escadrille de libellules .
MISSION accomplie . La moitié de l’aviation nigériane est définitivement clouée au sol .
Onze appareils ont été détruits en moins d’une semaine !
Le pilote , seul dans un petit quadriplace blanc qui volait au ras des arbres , enlève son casque et remet sa casquette , timbrée de l’aigle des compagnie aériennes suédoises . Il paraît à peine la cinquantaine , avec un visage d’aviateurs comme on en visage voit dans les films sur l’Air Force.
Le comte Carl Gustav von Rosen va ensuite tranquillement arroser sa victoire , avec les quatre autres pilotes de son escadrille : deux Suédois , comme lui , et deux Biafrais .
A cinquante-neuf ans bien sonnées , le chef de l’aviation du Biafra apparaît comme un des derniers aventuriers des temps modernes . Il s’est composé , tout au long d’une vie mouvementée , un personnage qui tient le milieu entre le Dr. Schweitzer et Otto Skorzeny !
Pour Carl Gustav von Rosen , le maréchal Gœring ( ci-dessous , à gauche ) c’était ce bon oncle Hermann.
Spécialiste des « missions humanitaires » certes , membre de la société de secours Caritas , bardé de croix rouges et de bons sentiments . Mais aussi reître, viking, lansquenet , homme de guerre en un mot .
Ce sexagénaire , sportif et bronzé , ne refuse pas non plus une réputation de bon Juan . Il en est à son troisième mariage . . .
AU SERVICE DU NÉGUS
A l’état civil , il est né Carl Gustav von Rosen , fils du compte Eric von Rosen et de la baronne Mary von Fock , son épouse .
Apparentés , dit-on , à la famille royale , les von Rosen , nobles depuis le XVIe siècle , plongeant leurs racines dans la province de Scanie , le pays de Nils Holgersson , ce midi de la Suède , où la ville de Malmö se veut toujours un peut la rivale de Stockholm .
En 1921 , le jeune Cati Gustav a douze ans , l’âge où les petits garçons rêvent d’un métier insolite et merveilleux , quand entre dans sa famille un personnage haute en couleur . Un aviateur.
Karin von Fock , la sœurs de sa mère , l’a rencontré dans des circonstances extraordinaires : a bord d’un aéroplane publicitaire fatigué , il venait de se poser en catastrophe . . , sur la pelouse de l’Université de Stockholm ! On lui porte secours , on l’invite dans la bonne société suédoise . Les jeunes filles revient toutes de conquérir le cœurs du beau « nauvrage du ciel » . C’est tante qui l’emporté. . .
Cet aviateur paraît , certes , fascinant pour une jeune imagination . Ancien as de l’aviation allemande , il a appartenu à l’escadrille von Richtofen . Il est revenu de guerre avec au cou l’ordre Pour le Mérité , mais pas un sou en poche . Plutôt que de devenir chômeur dans son pays , il a émigré en Suède où il est d’abord manœuvre , puis mécanicien . Enfin , il a pu réaliser son rêve : voler . Mais dans quelles conditions ! à bord d’un vieil appareil de la Svenskalufttrafic , il lancée des prospectus ou traîne des banderoles publicitaires . Le héros s’exhibe dans les foires ! Mais il a de l’allure , de l’audace et ressemble à un jeune dieu germanique . Toute la famille von Fock comprend l’engouement de Katrin pour l’ex-capitaine Hermann Gœring. . .
En 1933 , à vingt-quatre ans le jeune Carl Gustav von Rosen voit son oncle par alliance devenir le personnage le plus célèbre du régime national -socialiste ! Le jeune homme , officier de carrière dans l’aviation militaire suédoise , n’en devient certes pas nazi pour autant mais ne peut manquer d’être impressioné par l’aventure fabuleuse de l’ancien as de l’escadrille von Richtofen ...Surtout , il s’ennuie .
C’est d’Afrique que lui vient l’appel de l’aventure . L’Ethiopie est la première étape d’un périple qui se terminera au Biafra . Nous sommes en 1935 . Les Italiens , jaloux des lauriers coloniaux des Français et des derniers Etats indépendant du continent noir : l’Abyssinie , où règne , dans une atmosphère médiévale, le Négus . . . Mais il est tard pour les expéditions coloniales : la Société des Nations tempête et menace l’Italie de sanctions . Sous son parapluie bien vite légendaire , Haïlé Sélassié va faire figure de parangon de la démocratie .
La Suède , neutre des neutres , va prendre le parti du roi des rois . Le lieutenant-pilote von Rosen obtient un congé de longue durée et s’envole pour Addis-Abéba .
Les armées italiennes prenant la capitale dans l’étau de leurs divisions . Bersaglieri et alpini progressent à marches forcées . Von Rosen n’est plus militaire , il est infirmier . . . Contre les raids aériens , il sait déjà qu’il n’existe qu’une réponse : l’attaque .
Il pilote un avion sanitaire et effectue sans doute aussi quelques missions de guerre.
L’année suivant , éclate la guerre d’Espagne . Des centaines de Suédois se battent dans les Brigades Internationales . Les rejoindrat-il ? Non . Il est démocrate , certes , et ne serait pas le premier monarchiste à se battre dans les rangs républicains . Mais il ne veut pas prendre parti . Les mauvaises langues diront qu’il ne tient pas à se battre contre les aviateurs allemandds de la Légion Condor , ces enfants chéris et perdus de l’oncle Hermann Gœring .
Alors von Rosen , revenu en Europe après la défaite de l’Ethiopie , ronge son frein. Il ne reprend pas du service dans l’armée suédoise , et préfère devenir pilote à la KLM , la compagnie aérienne néerlandaise , de 1937 à 1939 .
SUR LE FRONT GLACÉ DE FINLANDE .
Mais voici enfin un conflit à sa mesure . A trente ans , le capitaine-aviateur von Rosen va pouvoir devenir pilote de guerre . Nous sommes en novembre 1939. L’Union soviétique vient d’attaquer la Finlande .
C’est l’hiver . La bataille au couteau dans l’isthme de Carélie , les skieurs en cagoule blanche , les cadavres gelés dans la neige . Le front finlandais s’enveloppe d’un linceul de glace et de sang . Au nombre d’une douzaine de mille , les Suédois s’engagent dans l’armée finnoise .
Pour von Rosen , comme pour beaucoup d’officiers , c’est la grande aventure . Il va se battre en plein ciel d’hiver à coups de mitrailleuses et de canons . On réchauffe les machines avec des lampes à souder , on boit un dernier verre d’aquavit , on s’emmitoufle de peaux de mouton , on s’emmitoufle de peaux de mouton , on ajuste les lunettes « Monteur en route ! » Les blindés rouges explosent dans des gerbes de flammes , les Finlandais avancent sur les lacs gelés , les maison de bois flambent dans le crépuscule . C’est la victoire ? Non, le monde entier va abandonner « l’héroïque petite Finlande ».
C’est l’armistice .
Von Rosen , ancien combattant glorieux et mercenaire sans emploi , redevient pilote civil . Il entre à la compagnie Aba où il travaille de 1940 à 1946 .
La guerre s’est étendue à toute L’Europe . Il ne veut pas prendre parti dans ce gigantesque conflit . Il sera donc neutre lui aussi . Mais sans renoncer à l’aventure . Il effectuera une liaison aérienne postale hebdomadaire entre Stokholm et Berlin . « A but humanitaire » , précise-t-il . La Luftwaffe de l’oncle Hermann a perdu la maîtrise du ciel . Le métier est périlleux . Mais von Rosen n’a jamais craint le danger . Il vole , sans armes , au milieu de la bataille . Le Reich millénaire s’effondre . Un pont aérien va évacuer par milliers les déportés vers la Suède .
Von Rosen décide alors de se rendre dans la ville qui est devenue le symbole même de l’Europe martyre : à Varsovie .
La capital polonaise s’est soulevée quelques mois auparavant mais , abandonnés par les Russes , les résistants ont été écrasés par les Allemands. Tout n’est plus que ruines .
Le pilote suédois est horrifié . Ni en Ethiopie ni en Finlande , il n’avait encore approché d’aussi près les horreurs de la guerre . Il le dira un jour :
Le Biafra , c’est encore pire que Pologne !
Varsovie tombe sous la dictature rouge . La moitié de l’Europe est abandonnée à Staline . Von Rosen déside de poursuivre son rêve un autre continent . Ce ne peut être que l’Afrique .
Le pays de son cœur , parce qu’il fut le pays où il connut sa première grande aventure , c’est l’Ethiopie . Le Négus est remonté sur son trône . Il se souvient du volontaire de la Croix-Rouge von Rosen et lui confie le commandement de sa force aérienne . Il passera dix ans là-bas . De 1946 à 1955 . A Huremberg , l’oncle Hermann s’est suicidé en brisant entre ses dents une ampoule de cyanure , mais on a quand même pendu son cadavre . Il est mort le « cascadeurs » qui faisait battre le cœur des jeunes filles suédoises des années 20. . .
A Addis-Abéba , von Rosen est devenu un personnage . Il boit sec , multiplie les succès féminins et fait la pluie et le beau temps au camp de Bichoftou où l’ont rejoint quelques pilotes suédois . Le Négus lui a offert une ferme ; il s’essaye à l’élevage .
Il ne manque pas un cocktail. Son grand ami est Tancred Curle ,
Von Rosen aux commandes de son MFI Bolkow , transformé en bombardier ultra-léger. L’armée suédoise s’en sert comme avion-école .
consul général de Grande-Bretagne , un humoriste qui n’hésite pas à hisser au mât des couleurs , lors des réceptions officielles , un soutien-gorge .. . Mais von Rosen n’est pas seulement un gai compagnon de « parties » . On chuchote qu’il travaille pour l’Intelligence Service . Les réputations de ce genre se font vite sous le soleil des tropiques.
UN CURIEUX AVION DE TOURISME .
En 1955 , pourtant , il retrouve le soleil de minuit pour un nouvel intermède suédois. Quelques années se passent Von Rosen est pilote à la compagnie suédoise Transair , de Malmö . Mais comment résister à l’appel de l’Afrique ?
1960. Le Congo est en feu . L’indépendance aboutit au chaos sanglant . L’Onu a dépêché sur place son secrétaire général Dag Harmmarskjoeld . Le contingent suédois fait le coup de feu contre les « Affeux » et les gendarmes de Tschombé . Von Rosen n’arrive pas comme combattant , mais comme aviateur . Cela n’empêche pas les avions de Transair , avec des vivres et des médicaments , de transporter aussi des armes et des munitions !
L’« Albertina », dans lequel M. H. trouvera la mort , avait aussi sec soutes transformées en .
La guerre du Congo marque une rupture dans la« ligne politique » de von Rosen . En Ethiopie , ou en Finlande naguère , comme plus tard au Biafra , il prétendra toujours soutenir le faible contre le fort . Au Congo , pourtant , il refuse de s’associer à la rébellion du Katanga .. .
Aujourd’hui , le Biafra n’a pas très bonne presse à Stockholm . Les Nigérians sont soutenus par les Anglais et les Russes , ce qui paraît , à un observateur scandinave , un gage de démocratie . Les Biafrais s’appuient sur les Portugas et les Français , ce qui les rend suspects ,de « fascisme » . . . aussi von Rosen , pour être célèbre , n’en est pas pour autant populaire . . . Certaine se demandent même si on ne pourrait pas le poursuivre devant la justice à son retour . Car la lois suédois stipule que les citoyens suédois peuvent être condamnés chez eux pour des crimes commis à l’étranger . Une mission de bombardement , dans un conflit non reconnu , n’est-elle pas de l’assassinant pur et simple ?
La prudence suédois devant les initiatives de von Rosen n’est pas surprenante. On comprend un peu les réactions de ses compatriotes , quand on sait comment cette affaire du Biafra est une « chasse gardée » des services spéciaux français . Celui qui tire les ficelles n’est autre , dit-on avec quelque vraisemblance , que Jacque Foccart.
C’est un allié cacombrant qui jette une ombre sur « l’aspect humanitaire » de la mission de von Rosen. . .
L’histoire de la flotte aérienne biafraise mérite d’ailleurs d’être contée n tant elle illustre les « grenouillages » africains dout le Biafra paraît désormais la plaque tournante.
Au début , le comte von Rosen pilotait des avions de transport DC 4 pour l’organisation Caritas . Mais il devenait de plus impossible de se poser sur le terrain biafrais d’Uli .
Les Mig et les Illyouchide du colonel égyptien Arner , le fils du maréchal , bombardent de ravitaillement de plus en plus difficile .
Les canons Beafort de 40 mm et les mitrailleuses 12/7 sur trépied de la défense antiaérienne biafraise restent impuissants et von Rosen , comme beaucoup de pilotes européens servant au Biafra , au titre de convoyeurs ou d’instructeurs , comprend vite que la seule riposte possible est de clouer au sol les avions nigérians avant qu’ils puissent prendre l’air. Mais les B26 biafrais qui ont mené les premières contre-attaques ont été descendus au-dessus de Lagos.
Un représentant du colonel Djunkwu , le chef d’Etat biafrais , vient donc à Paris négocier l’achat de nouveaux appareils . Les vieux T6 de récupération auxquels on a songé nécessitent des pistes de plus en plus difficiles à aménager et à tenir en état . Il faut y renoncer. C’est une société italo-suisse, qui son siège dans le quartier des Champs-Elysées , qui va charger de trouver le type d’appareil adapté à la situation. Son directeur , un certain Z.., parvient à dénicher l’oiseau rare.
C’est le Bölkow , un appareil léger , fabriqué à Malmö (le pays de von Rosen ) par MF1, une soociété suédoise travaillant avec Meccerschmidt . D’un poids de 370 kilos, il vole à 250 kilomètres-heure , se pose et décolle sur 50 mètres dans n’importe quel terrain , même par vent de travers . Bien qu’employé par l’armée suédoise , c’est surtout un avion civil , genre Piper d’observation .
Il a l’air d’une libellule , dit son constructeurs , mais quand il pique , c’est une piqûre de guêpe .
Rudolph Abelin , qui dirige la firme MF1 de Malmö , aime à rappeler qu’il n’a pas le droit de vendre du matériel civil ! A la fin d’avril , les cinq premiers appareils décollent donc de Malmö pour. . . Paris , où il est officiellement question de les transformer un peut , pour y adapter les « installations photographiques » .
Curieuses photos sans doute que peuvent prendre les six tubes lance-roquettes installés et la mitrailleuse axiale de 12,7 . . .
Le Bölkow , appareil à quatre sièges , est modifié : un réservoir occupe la place des deux passagers, accordant ainsi une autonomie de 1 200 kilomètres.
Pour 52 000 couronnes suédoise (5 millions de francs anciens), payables par une banque suisse , on obtient un merveilleux appareil de bombardement léger dont les qualités ont fait en Suède l’avion -école par excellence .
A 250.000 AF LA ROQUETTE
Quelles sont ces étranges « caméras » , qui les a posées ? Dans le monde trouble et mystérieux des marchands d’armes et des agents spéciaux , il est bien difficile d’établir des certitudes.
Disons simplement , et avec les réserves d’usage , que selon les rumeurs les plus consistantes , il s’agirait d’engins Matra et que les transformations des appareils seraient effectuées à Toussus-le-Noble , sous les hangars Farman . Les Bölkow seraient alors démontés et transportés par avion-cargo à Libreville , au Gabon ex-français , pour y être remontés , puis livrés en une heure de vol au Biafra . Les roquettes ; au nombre de cinq cents, auraient , de leur côte , transité par l’Italie . Chacune d’elles vaut 250 000 francs anciens .
Et les aviateurs ? Tout comme les avions , leurs origine suédoise est indéniable .
La presse de leurs pays a même publié les noms et les photos des pilotes et des mécaniciens : Torsten Sigvard Nilsson , Bengt Withz , Martin Lang et Garnner Haglund .
Idéalistes comme von Rosen , ils ne travaillent pourtant pas uniquement pour la beauté de la cause . Leurs solde est de 1 500 dollars (750 000 AF) . plus les frais , bien sûr .
Certains pilotes civils sont encore mieux payés que les « mercenaires » de von Rosen , le moral est bas chez les aviateurs européens ravitaillant les Biafrais.
Comme dit un pilot mercenaire à un journaliste :
C’est bien payé , certes , mais j’abandonne : on n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard !
L’attaque éclaire de von Rosen arrive à temps pour rendre confiance à la population et nettoyer le ciel . Les bombardements systématiques des églises , des hôpitaux et des marchés par les Nigérians justifient sans doute son geste sur le plan « humanitaire » . Mais sur le plan « commercial » , la nécessité de maintenir le pont aérien explique peut-être tout autant cette rupture de la neutralité .
La centaine de Suédois qui vivent au Biafra ont , sans doute , approuvé son geste . Mais ceux qui résident au Nigeria craignent des représailles .
Rune Glad , représentant de Transair à Lagos , en a même fait une jaunisse et a tenu à rappeler que son séjour touchait à sa fin . . .
Carl Gustav von Rosen ne semble pas se soucier beaucoup du tumulte que produit la constitution d’une escadrille suédo-biafraise . Il n’a jamais détesté
la publicité . Son compte en banque n’est certes pas débiteur et il a sa conscience pour lui . Tout pour être heureux ! Et il ne craint même pas les journalistes , devenus les bêtes noires des policiers gabonais de Libreville et des policiers biafrais d’Uli . Une équipe de télévision française vient d’être tout simplement refoulée !
Le petit garçons suédois qui regardait les vieux « coucous » tourner entre les nuages du ciels de Scanie aura mis un demi-siècle pour satisfaire pleinement sa vocation . Il se prend pour un « paladin du ciel ». C’est un jeu dangereux . Mais il a toujours été joueur . Ce n’est pas à soixante ans qu’il va cesser de jouer.
Frédéric Sorel
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