Des interviews exclusives de Dja-Apharou ISSA IBRAHIM, ami et confident de Jacques Baulin, responsable par donation de l’intégralité des documents constituant le fond, et président de l’association sont actuellement publiées dans la rubrique présentation.
Les trois ouvrages de J. Baulin : Conseiller du président Diori, La politique africaine d’Houphouët-Boigny et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny
seront disponibles sur le site en version iBook et en version Pdf dès septembre
2009.
c/o Diallo Siradiou
11, rue Remy de Gourmont
Paris 19°
Paris , le 10 juin 1969
Monsieur Daniel Mayer
Président de la Ligue des Droits
de l’Homme
27 , rue Jean Dolant
Paris 13°
Monsieur le Président,
Notre organisme a l’honneur de vous soumettre ce " Memorandum sur le prétendu complot de mars 1969 en République de Guinée".
En République de Guinée, le recours fréquent au " complot impérialiste " ou "dirige de l’étranger" , comme exutoire aux difficultés politiques et économiques du moment , porte gravement atteinte aux libertés fondamentales des citoyens , tout en représentant une menace sérieuse pour la paix sociale .
Depuis 1960 , il ne s’écoule pas deux ans de suite sans que le gouvernement "découvre" un "complat" . La plupart des grands payes étrangers : U.S.A. , Allemagne Fédérale , U.R.S.S. et France notamment , ont été successivement ou collectivement mis en cause , suivant les procédés classiiques de l’amalgame chère à certains régimes fascistes . Toutes les couches composant la société guinéenne ont été à tour de rôle identifiées avec ces prétendus "complots" . Jugez-en plutôt :
1. HISTORIQUE
En avril 1960, c’était le " complot des intellectuels tares " et des "forces décadentes" . Bilan : une centaine d’arrestations dont dix au moins mourront après avoir subi d’affreuses tortures . Les deux vistimes les plus connues de cette tragédie , furent l’avocat Diallo Ibrahima , et l’Imam de la Mosquée de Corontin , El Hadj Kaba Lamine .
En novembre-décembre 1961 , ce fut le " complot des Syndicalistes , des Enseignants considérés comme " éléments d’extraction féodale et anarchiste " , et par conséquent " appuyés par les ambassades impérialistes et soviétiques " (sic). . .
Un millier de personnes furent arrêtées dont principalement des étudiants et des enseignants . L’armées tire sur des manifestants sans défense ; on relève de nombreux morts et blessés . Parmi les accusés , certains resteront six ans au secret en prison et seront libérés sans avoir jamais été juges ; d’autres y mourront sans que le gouvernement ait eu un compte à rendre à leurs familles .
En septembre 1963 , ce fut le "complot des petits commerçants " . . .
En octobre 19650, le "complot des grands commerçants " . Ce dernier coûtera la vie à une dizaine de personnes , tandis que plusieurs dizaines d’autres demeurent jusqu’ici emprisonnées , sous le régime du secret , sans qu’un n’ait rien notifié à leurs familles angoissées . Parmi ces détenus , citons Kaba Sory , ancien représentant permanent de la Guinée à L’O.N.U. , ancien ambassadeur à Moscou ; Tounkara Jean Faragué , ancien membre ministre de la Jeunesse et ancien membre du Bureau Politique National du Parti Démocratique de Guinée ( Parti unique) ; les Docteurs en Médecine Rouaf et Lofory , les deux frères Touré , commerçants à Conarky , etc. . .
En décembre 1967 , une dizaine de personnes furent encore arrêtées parmi les-quelles Diallo Saikou , professeur de Mathématiques à l’Ecole Polytechnique de Conakry , et Traoré N’Ki , ingénieur des Travaux Publics , ainsi que sa femme mère de cinq enfants .
2. Le "complot" de mars 1969
Voilà qu’au mois de mars dernier , le Président Sékou Touré apprenait au monde entier la "découverte " d’un nouveau
"complot impérialiste".
Toile de fond du "complot" :
En réalité , cet événement correspond à un mécontentement populaire sans précédent , consécutif à une conjoncture socio-économique des plus difficiles ; pénurie de biens de consommation de première nécessité , baisse insupportable du pouvoir d’achat des salariés , réduction excessive des activités scolaires et universitaires et leur remlacement par des cours dits de "surformation politique " , etc. . . Sur le plan politique , les Autorités , sérieusement préoccupées par les opérations dites de "mobilisation qui entretiennent une atmosphère d’agitation quasi permanente à travers le pays . Les polices parallèles sont partout sur les dents . Profitant dans ces conditions de déclarations que sous d’autres cieux on eut à peine jugées irrévérencieuses de la part de soldats en permission , à l’endroit du Chef de l’Etat , le Président Sékou Touré se livre à une vague d’arrestations sans précédent dans le pays.
S’agirait-il d’une provocation politico-policière destinée à permettre au Président de régler le compte à certaines personnes jugées dangereuses pour sa sécurité personnelle ? On ne saurait l’affirmer . . . Toujours est-il que la fameuse Milice de sinistre renom , recrutée parmi les jeunes sans travail et spécialement entraînée pour les opérations d’intimidations dans les villes et villages , reçoit l’ordre d’investir de nuit les concessions d’un certain de personnalités et de procéder à une série d’arrestations .
Une accusation fallacieuse :
Ainsi des personnalités civiles et militaires aussi différentes par leur passé que par leur formation ou leurs convictions politiques et religieuses , se trouvent réunies dans un prétendu complot dont le gouvernements s’avérera incapable de donner les preuves . L’accusation formulée à la hâte suivant une argumentations contradictoire , aura beaucoup de mal à convaincre l’opinion tant intérieure qu’extérieure. En tout cas , l’unique pièce à conviction dont se prévaut le gouvernement demeure jusqu’ici une lettre adressée au Colonel Kaman Diaby en octobre 1958 par un de ses camarades de peloton dans l’armée française ; le félicitait tout en formulant les voeux qu’ils agisse de façon à ce que la France et la Guinée continuent à entretenir de bons rapports . . .
En dehors de cette lettre considérée comme la principale pièce à conviction , et écrite sur un ton parfaitement routinier , le Comité d’instruction du complot n’a rien découvert de compromettant à la suite des perquisitions effectuées chez les personnes arrêtées . Notons que ce Comité chargé des l’ensemble des investigations , des enquêtes aux interrogatoires des prévenus , n’est composé que de personnes entièrement dévouées au Président de la République . Ce sont : le Général Diané Lansana , ministre de la défense National et ami personnel du Président ; M. Ismaël Touré , frère du Président ; le Lieutenant Touré Siaka , neveu du Président , Keita Mamadi , beau-frère du Président , etc. . .
Un jugement en tâché d’irrégularités :
Malgré le vide manifeste du dossier d’accusation , quelques unes des personnes arrêtées (par toutes) seront déférées devant un " Conseil National de la Révolution" réuni en session extraordinaire . Ce Conseil composé de dékégués du Parti unique au pouvoir , s’érige pour le besoin de la cause , en "Tribunal Révolutionnaire " en vertu d’une loi de circonstance promulguée le jour même par simple décret présidentiel
"atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat" ;
"tentative d’assassinat du Président de la République " ;
et "provocation d’une guerre civile par la mise en état de sécession de différentes régions naturelles composant le territoire national en intelligence avec des puissances étrangères en vue de les engager à entreprendre des hostilités contre la République de Guinée ".
Sur la base de telles accusations et sans qu’il ait jamais vu les accusés , le "Tribunal" prononça des condamnations sans appel . D’ailleurs , à lui tout seul , le préambule de la sentence lui enlève tout caractère juridique véritable , puisque sa présentation ne diffère en rien des motions et résolutions ordinaires adoptées à la hâte sur simple demande du Secrétaire Général du Parti , le Président Sékou Touré . Jugez-en plutôt : "Le Conseil National de la Révolution , après avoir écouté avec une attention suivie le magistral discours du Secrétaire Général du P.D.G., Responsable suprême de la Révolution , décide . . . de la peine capitale pour" etc. . .
Les peines infligées :
C’est au milieu de cette atmosphère de terreur générale traversée de haine et d’ambitions de toutes sortes que :
"13 personnes furent condamnées à la peine de mort avec confiscation de leurs biens" .
Ce sont entre autre ;
Kaman Diaby : né en 1929 ; Colonel, chef d’Etat major adjoint de l’Armée guinéenne ; marié et père de quatre enfants dont un handicapé physique .
Keita Fodeba : né en 1921 à Siguiri . Secrétaire d’Etat à l’Economie Rurale ; ancien ministre de la Défense et de la Sécurité ; fondateur des "ballets africains " ; marié et père de trois enfants .
Barry Diawadou : né en 1917 à Dabola . Inspecteur des Finances ; ancien ministre de l’Education Nationale et des Finances ; ancien député à l’Assemblée Nationale française ; père de 11 enfants dont trois en bas âge .
Fofana Karim : né vers 1929 à Forecariah . Ingénieur diplôme de l’Ecole des Mines de Nancy ; Secrétaire d’Etat aux Travaux Publics ; mariés et père de quatre enfants .
Parmi les autres condamnés à mort , citons le Commandant Keita Cheick et les Capitaines Diallo Thierno Ibrahima et Kouyaté Sangbon , tous mariés et père de famille .
Notons également que deux personnes vivant à l’étranger ont été condamnées à mort par contumace ; ce sont M. Nabi Youla , ancien Ministre de l’Information ; et M. Bah Mamadou haut fon fonctionnaire mis à la disposition de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement , par le gouvernement guinéen.
Neufs personnes furent condamnées aux travaux forcés à perpétuté avec confiscation des biens .
Parmi eux citons :
Bah Thierno : 34 ans , Docteur vétérinaire diplômé de l’Ecole vétérinaire de Lion ; marié et père de deux enfants .
Marega Bocar : 42 ans , Docteur diplômé de la Faculté de Médecine de Paris ; directeur de l’hôpital " Dramé Oumar" (ancien hôpital Ballay ) ; marié et père de quatre enfants .
Baldy Guèye : 50 ans ; commerçant et entrepreneur ; ancien Président de la Chambre Economique de Guinée ; marié , père de 13 enfants et soutien d’une nombreuse famille .
Baldé Abdoulaye : 35 ans ; capitaine de l’Armée guinéenne ; marié et père de quatre enfants .
Les autres condamnés à cette même peine sont : Bah Amadou , Kourouha Mamadi , Sow Mamadou Alpha , Dramé Mahamed et Diarra Mibemba .
Parmi les personnes condamnées à vingt ans de travaux forcés et à la confiscation des biens , citons M. Jean Baptiste Deen ambassadeur à Monrovia et Diop Tidiane , 38 ans , Licencié et Lettres , secrétaire administratif de la Companie FRIA ; marié et père d’une fille .
Enfin , parmi les personnes condamnées à 10 ans , citons le capitaine Kolvogui Pierre , et l’Ingénieur Barry Aguibou .
Telles sont quelques unes des personnes condamnées par une Assemblée surexcitée et fanatisée à souhait ; les prévenus n’eurent à aucun moment la possibilité de se défendre puisque le jugement fut rendu en leur absence ; ils ne furent pas non plus défendus par des avocats , puisque comme chacun le sait , la fonction d’avocat considérée successivement comme "superflue" puis comme "incompatible avec l’esprit révolutionnaire" , fut supprimée par décret présidentiel des le lendemain de l’Indépendance . Mais chose plus grave : l’expérience de tels jugements prononcés en Guinée , montre que les condamnations à mort interviennent le plus souvent pour couvrir les assassinants déjà perpétrés à l’ombre des prisons ; seules quelques rares personnes parviennent en effet à résister longtemps aux atrocités des tortures infligées aux prisonniers politiques ; supplices de la bassine , à l’électricité , pendaisons par la clavicule , par les pieds ou les mains , supplices de la faim et de la soif, etc. . .
Ces méthodes auxquelles recourt de plus en plus fréquemment le régime du Président Sékou Touré pour éliminer physiquement tous ceux qu’il soupçonne (parfois à fort) d’être ses adversaires , nous paraissent être ses adversaires , nous paraissent être incompatibles avec les principes élémentaires de justice et de démocratie , dont le Président guinéen ne cesse de se réclamer verbalement .
C’est pour toutes ces raisons que les familles de ses condamnés , ainsi que les patriotes guinéens , indépendamment des convictions politiques des victimes de l’arbitraire politico-policier du régime du P.D.G. , croient de leur devoir de porter ces faits à la connaissance de l’opinion . Ils en appellent à tous les hommes et à tous les organismes épris de justice , afin qu’ils interviennent au plus tôt pour sauveur ces condamnés d’une mort autrement certaine .
Notre appel s’adresse en particulier au Secrétaire Général de L’O.N.U. , à la Ligue des Droits de l’Homme , ainsi qu’à tous les organismes humanitaires ayant coutume d’agir dans des cas analogues .
Veuillez agréer , Monsieur le Président , l’expression de notre haute considération .
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