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U-003-220 - NOTES - classeur U - Fonds d'archives Baulin

U-003-220

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Page 36 - LE MONDE - 22 octobre 1977

ÉCONOMIE - SOCIAL
La bataille nucléaire


III - Indépendance nationale et solidarité internationale


par HENRI ANGLÉS D’AURIAC Ancien directeur général du groupe Thomson.


"Croyants" et "incroyants" se disputent sur ce champ clos de l’énergie nucléaire. Où l’on voit que "tous les morts ne se valent pas" dans notre société. (Lire "le Monde" des 20 et 21 octobre.)


Il est douteux que le nucléaire rende un jour chaque Français plus dépendant du pouvoir centrale, mais il est sûr qu’il rendra en tout cas la France plus indépendante du reste du monde.


S’il est exact que notre pays, dont le développement a été essentiellement basé sur le pétrole à bon marché et à gogo, ne dispose que de ressources d’énergie tout à fait insuffisantes pour les besoins de son économie, il n’est pas certain - loin de là ! - qu’une autre politique eût pu réduire la dépendance énergétique. Et il ne faut d’ailleurs pas non plus dramatiser, car le marché restera toujours plus "vendeur" qu’on ne le dit. Cependant, il reste que nous devons à la fois assurer notre indépendance politique et notre balance des paiements, les deux choses étant liées. Le haut niveau de notre technologie nous permet au demeurant de trouver dans les cendres plus de combustible que nous n’en avons mis au départ, Superphénix est la parfaite illustration du slogan : "En France, nous n’avons pas de pétrole mais nous avons des idées..." Mais ce haut niveau ne restera que si nous l’élevons sans cesse. Rien n’empêche en effet ceux qui ont du pétrole d’avoir aussi des idées, alors que, même avec beaucoup d’idées, on ne fait pas toujours jaillir du pétrole. Cela veut dire que nous devons constamment demeurer au niveau technique le plus élevé et être constamment demeurer au niveau technique le plus élevé et être constamment en avance d’une idée si nous voulons toujours avoir de quoi acheter notre pétrole.


De ce point de vue, le nucléaire représente précisément un ensemble de personnes, de connaissances, de techniques, de technologies, d’investissements que ne peuvent créer, même avec de l’argent, ceux qui n’ont aujourd’hui que du pétrole... Que l’on nous comprenne bien. Il ne s’agit ni d’inciter à la compétition belliqueuse, ni d’opposer telle hégémonie à telle autre, mais d’assurer un certain équilibre mondial des échanges commerciaux pour le bien de tous.


Si la France - et les pays industrialisés (si, parmi ceux-ci, elle était seule à le faire, ce serait pire encore) - choisissait la voie du désarmement technologique, comment pourrait-elle se procurer pétrole et matières premières ? Les pays qui possèdent ces ressources auraient vite fait de construire leur propre armement technologique et nous n’aurions strictement aucune monnaie d’échange à leur proposer. (Il est vrai que pour les anti-prométhéens qui n’ont pas plus besoin d’énergie que la République n’avait besoin de savants, l’absence de pétrole serait sans doute une bonne chose.) Il est même permis d’estimer que c’est, pour ces pays à haut niveau de technologie, un devoir impérieux de continuer à progresser... pour les autres.


Cela n’a bien entendu de sens que pour ceux qui croient au progrès et à la bienfaisance de ce que M. de Rougemont appelle des "Etats-nations". Pour ceux qui estiment au contraire que le progrès doit être repensé et qui doutent de l’utilité des "Etats-nations", presque tout ce que nous avons écrit pourra être invoqué contre le nucléaire.


Quand on accepte Promèthée, comme nous y conduisent et le raisonnement et le coeur ... et l’instinct et la morale, on accepte aussi et ses oeuvres et ses outils, et les mégamachines
politiques, les mégamachines économiques, les machines tout court, sont précisément et ces oeuvres et ces outils à travers lesquels, même s’ils sont loin d’être parfaits, nous pensons devoir au mieux servir le progrès.


Leur disparition serait, en tout cas, tragique. Si l’on nous oblige à dire "oui" ou "non" sans nuances, notre choix est fait. Nous refusons de renoncer à la lutte contre le cancer, à l’épopée de la NASA et, d’une manière générale nous refusons la régression qui ramènerait bien vite l’humanité à l’âge des cavernes.


On n’arrête pas le progrès, pourquoi ?


On peut philosopher sur la "marche" de Prométhée, observer qu’elle résulte de "mécanismes aveugles" : on peut faire remarquer que ce "héros" n’a ni projet ni morale, s’attrister ou s’effrayer qu’il ne sache pas où il veut aller ni où il va ; on ne voit vraiment pas comment arrêter Prométhée.
Sa progression in-consciente est finalement "cohérente" et presque linéaire : depuis des millénaires qu’il progresse, les plus acharnés de ses détracteurs sont bien obligés de reconnaître que cet aveugle, ce somnambule ne s’est pas "cassé la figure" et que, s’il ne sait où il va, il est très probable qu’il va finalement quelque part. De toute façon, les clameurs de ses détracteurs ne l’ont guère arrêté : l’on ne saurait dire qu’il les écrase : il se borne à les ignorer et à avancer d’un pas égal. Pourquoi ?


Nous répondrons à cette question avec le langage même des antinucléaires qui invoquent quelque chose comme un "sursaut de l’espèce", une poussée irréversible de "l’instinct de conservation". Dans la mesure où ces "incroyants" auraient raison, ils ne feraient que justifier la foi des "croyants", leur réaction "instinctive" répondant à une marche également "instinctive" de l’humanité. Sans en être tout à fait conscients, ils joueraient leur partition dans le choeur des prométhéens : ils seraient la glande qui, au moment opportun, sécrète le contrepoison. Cette vision ne nous déplaît pas : elle conserve à la marche prométhéenne son caractère biologique. Nous pensons en effet, que dans sa marche, l’humanité obéit à un instinct vital (aussi profond et irrésistible que l’instinct sexuel) qui lui commande d’augmenter sans cesse et sa connaissance de la nature et de soi-même et ses pouvoirs sur le monde, d’essayer lesdits pouvoirs... puis d’en user.


Il est donc illusoire de se vouloir anti-prométhéen conscient et réfléchi ; tel qui se croit anti-prométhéen n’est en réalité qu’un des petits rôles de la troupe prométhéenne. L’on ne contiendra jamais l’humanité à ne pas suivre sa nature. Illogisme ? Etre prométhéen, n’est-ce pas précisément admettre qu’il n’y a pas de nature mais seulement une culture, la nature n’étant à tout instant que ce qu’en a fait la culture ? Illogisme purement formel. Il y a bien une nature de l’humanité qui est précisément de créer de façon continue le monde et l’homme par son propre mouvement culturel.


Le dialogue socratique


Optimisme naïf chaque jour démenti par les faits ! Philosophie fataliste et barbare !...
Vision brutaliste et biologique du monde et de l’homme !


Nous entendons déjà ces reproches. Ceux qui croient seulement en l’homme s’indigneront de ce qu’ils appelleront sa négation, l’oubli de ses possibilités de construire lucidement son futur. Ceux qui croient en Dieu invoqueront une morale naturelle, une nature du monde et de l’homme essentielle, voulue et créée par Lui.


Bien que croyant précisément et en l’homme et en Dieu, nous ne nous sentons nullement gênés de nous proclamer résolument prométhéens, et donc pronucléaires. C’est parce que nous croyons en l’homme que nous lui faisons une confiance totale : sa progression ne peut être que bonne. Et cette loi est plus que compatible avec une foi religieuse : à la vérité, elles se postulent l’une l’autre.


Le géant Prométhée peut certainement apparaître comme un être "statistique", "une force qui va, agent aveugle et sourd de mystères funèbres". Mais, à la vérité, les mécanismes internes de Prométhée n’ont rien de funèbre ou, du moins, à côté de mécanismes neutres (ou qui favorisent des valeurs non essentielles), il existe d’autres agents positifs : la raison, la sagesse, la générosité de chacun.


Tout doit être tenté pour augmenter l’efficacité de ces agents et donner ainsi au Prométhée collectif une conscience et une morale. Mais, l’observation est fondamentale, cela peut et doit se faire de l’intérieur, en acceptant Prométhée et sans vouloir l’enchaîner.


Comment parvenir à cette action "intérieure" ? D’abord en veillant à ce que le "savoir" et le "pouvoir" n’aient pas entre eux des relations incestueuses et en organisant ensuite le dialogue auquel nous invite Socrate.


Le formidable développement de la science et des techniques creuse chaque jour un fossé plus profond entre "ceux qui savent" et "ceux qui ne savent pas". Il est inévitable que les premiers soient tentés de trouver dans leur savoir des armes, voire des justifications, pour exercer le pouvoir sur les seconds et pour demander à être les maîtres des mégamachines politiques et économiques.


Dans la réalité, ce ne sont pas les prix Nobel ou les agrégés de physique qui conduisent les nations, ni les techniciens les grandes machines économiques. Si l’utilisation du savoir par le pouvoir est un phénomène très répandu, il arrive que ce soient des techniciens qui utilisent le "tyran" et soient des vrais décideurs : dans l’un et l’autre cas, c’est ce que l’on appelle la "technocratie". En nous en tenant au premier schéma (nous aurions peu à changer si nous partions du second), nous dirons que le "prince" utilise le "savoir", qu’il s’est agrégé pour exercer le pouvoir et l’invoque pour le légitimer : "Vous devez m’obéir parce que je sais."


Il y a là un danger terrible. La revendication du droit à l’autorité publique par celui qui sait est un abus aussi pernicieux et plus insidieux que les revendications antérieures, que le mouvement vers la démocratie a successivement rejetées.


Un appel aux incroyants


Celui qui désire être le maître de la mégamachine politique n’a pas le droit d’invoquer la force brute, la naissance, la richesse, les vertus morales, l’intelligence ou le savoir, il ne peut invoquer que la légitimité d’avoir été régulièrement choisi par les citoyens. Rien n’interdit à ceux-ci d’en tenir compte mais aucune de ces "qualités" ne justifie le droit au pouvoir. A la limite, l’aristocratie et même la ploutocratie sont sans doute préférables à la technocratie. (Pour ce qui est de la mégamachine économique, le problème est sensiblement différent : la mégamachine politique est là pour la contrôler.)


Mais s’il est bon, nécessaire, que le maître de la mégamachine politique soit démocratiquement désigné, cela ne suffit pas. Il faut qu’il maintienne, dans l’exercice du pouvoir, un dialogue permanent avec tous ceux qui lui ont délégué ce pouvoir et qu’il se garde de considérer la mégamachine comme une fin en sol.
Cette tentation prend aujourd’hui la forme insidieuse de la technocratie.


Ce n’est pas seulement avec l’ingénieur que le maître doit converser, car le dialogue exclusif du maître et du technicien recèle de terribles dangers ; il flatte et grise chacun d’eux et risque de les aveugler tous les deux.


Le pouvoir ne doit décider qu’après avoir organisé le dialogue entre les trois personnages avec lesquels conversait Socrate : le technicien, le philosophe et l’esclave, c’est-à-dire le non-expert, l’ignorant, le porteur de cette valeur irremplaçable qu’est le non-savoir. Il faut le redire, cet "ignorant" a un droit sacré à participer aux choix qui vont peser sur son existence et celle de ses descendants. Plus le problème est difficile, moins il est accessible à cet "ignorant", plus il est nécessaire que celui-ci soit entendu.


Il appartient au pouvoir d’organiser ce dialogue - oui, ce dialogue - car l’information ne suffit pas. Pour éviter les pièges insidieux où risquent de le mener inévitablement ses connaissances, il a besoin d’entendre cette voix innocente qui pose sans relâche les questions irritantes, les questions déplaisantes, les questions sottes, faisant éclater à tout instant son ignorance mais en même temps la croûte faussement protectrice du savoir.


La voix du philosophe ? Qu’on se rassure, elle n’a jamais manqué. Mais le dialogue du scientifique et du philosophe présente les mêmes dangers de griserie et d’aveuglement que celui du prince et du savant. C’est un dialogue entre "augures", chacun s’honorant et s’admirant à travers la considération et la compréhension qu’il apporte aux propos de l’autre.


Ce dialogue est souvent nécessaire, mais il est lui aussi insuffisant, incomplet... Le vrai dialogue - celui qui se noue entre les trois acteurs - permet au pouvoir qui l’a organisé non seulement d’entendre une nouvelle "voix collective" mais des langages différents, car chacun de ces trois acteurs : le technicien, sans oublier ce qu’il sait, le philosophe, sans renoncer à sa méthode, l’homme de la rue, sans abandonner sa craintive vigilance, a été profondément changé par les deux autres.


Les dispositifs classiques de la démocratie, partis politiques, représentation parlementaire, clubs, syndicats, mass media, universités, permettent déjà ce dialogue, mais il serait sûrement plus efficace de créer quelques institutions nouvelles adaptées à cet objet relativement nouveau. Il ne s’agit pas de propositions en l’air. Ces institutions existent aux Etats-Unis. Les hearings qui se déroulent devant les commissions techniques fédérales, les travaux de l’Office for Technology Assessment, les débats devant le pouvoir judiciaire à la suite d’actions intentées par tel ou tel groupe de citoyens, en sont des exemples vivants. Il semble que ces institutions - ou ces pratiques - permettent de réaliser le dialogue que nous préconisons, infiniment mieux que dans notre pays où l’on vient seulement de faire un premier pas, au demeurant très méritoire, en admettant que l’"esclave" sera désormais informé.


Sur la nécessité du dialogue avec l’"esclave", nous ne résistons pas au plaisir de citer le Canard enchaîné : il s’agit d’une émission de FR3 où se confrontaient experts et contestataires. L’un d’eux, M.Reiser, a fort gentiment déclaré aux "savants" :
"Qui êtes-vous, vous ? Des grossiums qui savez tout, prévoyez tout cet et qui en plus étés payés pour prévoir. Qui sommes-nous, nous ? Des minables, des marginaux, des amateurs, des barbares, des seins nus, des insupportables. Des gens qui sont censés ne rien connaître au problème. Mais s’ils n’avaient pas été là, ces gens impossibles, vous seriez encore le cul dans votre fauteuil à vous féliciter de votre action et à tirer des plans sur la comète. On ne veut pas de médailles, nous, mais avouez qu’on vous a "bougés"."



Yvan Audouard se réjouit mais semble s’étonner que ceux à qui s’adressait ce réquisitoire en aient reconnu le bien-fondé. Pour nous, c’est bien le gendre de dialogue que nous attendons...


Il doit être possible de mettre un terme à la guerre entre "croyants" et "incroyants". A tout le moins faudra-t-il la dépassionner, utiliser d’autres armes, faire disparaître le parti pris et l’hostilité. Mais notre voeu est plus ambitieux. N’est-il pas possible que les antiprométhéens "acceptent", de bon coeur, le fait prométhéen sans renoncer à agir sur lui, mais de l’intérieur ? Voluntes fata ducunt, nolentes trahunt ("Ceux qui acceptent les destins, ceux-ci les conduisent : ceux qui les refusent, les destins les traînent"). Nous pensons que l’attitude à adopter vis-à-vis de Prométhée doit s’inspirer de cette réflexion de Sénèque.


Ceux qui acceptent Prométhée marchent avec lui, restent à sa hauteur et peuvent ainsi lui parler et le guider : ceux qui refusent Prométhée, celui-ci les brise. Et puisque nous en sommes aux sentences lapidaires de l’Antiquité qu’on nous permette pour finir de transposer le Natura non imperatur... cité plus haut, en affirmant qu’"on ne commande au progrès qu’en lui obéissant".
Nous demandons amicalement aux incroyants de méditer cette réflexion.


FIN




























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