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Conseiller du Président Diori
La guerre civile au Nigéria

En politique étrangère, la sécession du Biafra _ et la guerre civile qui s’ensuivit_ fut sans doute l’épreuve la plus dure qu’eut à affronter et à surmonter M. Diori Hamani. Elle fut payante à moyen terme.

Quand, en mars 1967, Ojukwu parle de faire sécession, le président nigérien n’a pas encore acquis de stature internationale. Son élection à la présidence de l’OCAM date en effet de quelques mois à peine. Paradoxalement, son comportement, ses initiatives, ses efforts _trois années durant_ en vue d’une solution négociée préservant l’unité du Nigéria, lui donneront un prestige énorme, et l’érigeront progressivement en homme d’État d’envergure mondiale.

Et chose remarquable, cet épanouissement de sa personnalité au plan politique apparaîtra comme la résultante d’une politique de principe ayant comme objectifs, d’une part la quête de chaque pays pour son unité nationale, et de l’autre l’intérêt du Niger.

Ce ne sera pas chose facile car il aura, entre autres, à passer outre à son amitié pour M. Houphouët-Boigny dont le prestige restait encore intact à l’époque.

Au départ et pendant toute une année, le leader ivoirien, sans chercher à cacher sa sympathie profonde pour la cause du Biafra _ ou plus précisément pour la partition du Nigéria [1]_ se cantonne dans l’expectative.

Le président Diori, lui, multiplie les prises de position favorables à l’unité du Nigéria sans toutefois soulever d’échos défavorables à Abidjan. Mais dès l’officialisation de l’option ouvertement biafraise du chef d’État ivoirien, l’opposition entre les deux hommes apparaîtra dans toute son ampleur.

C’est que dans l’autre plateau de la balance, il y a tout le reste, et cela fait largement contrepoids au désir du Président de ménager celui qui était reconnu jusqu’alors comme le chef de file incontesté des francophones. Il y a tout d’abord le principe d’intangibilité des frontières héritées du colonialisme et érigé en dogme par l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : le chef d’État ivoirien ne se plaisait-il pas à les qualifier de « cicatrices indélébiles » de l’Histoire ? Il y a ensuite un problème de bonne foi : ici, comme dans l’affaire du Québec, comment encourager l’atteinte à l’intégrité d’un pays tiers, alors qu’on lutte soi-même pour parfaire l’unité de son propre pays ? Il y a encore le facteur ethnique, représentés par les deux millions de Haoussas du Niger, dont les frères _ils sont 30 000 000 dans le Nigéria frontalier_ constituent précisément la cible privilégiée des rebelles du Biafra. Il y a enfin l’Histoire, les traditions, la religion, la langue commune, les courants commerciaux, etc.

La réponse sans nuances du président Diori paraît donc normale : « Il n’est pas question pour le Niger de reconnaître le Biafra », dit-il aux journalistes qui lui demandent, le 17 avril 1968, à son départ d’Orly pour Niamey, son opinion sur la prise de position de son aîné en faveur de la province sécessionniste.

À cette époque, je me trouve moi-même dans une position on ne peut plus inconfortable. Conseiller des deux chefs d’État, mais rémunéré par le seul Houphouët-Boigny, je suis violemment hostile à sa politique pro-biafraise et ne le lui cache aucunement [2]. Les 4 et 6 mai 1968, à Paris _outrepassant apparemment les limites de mes prérogatives, mais conscient de mes devoirs_ j’essaye, par deux fois, d’amener le leader ivoirien à modifier sa position. Peine perdue.

Les 11 et 12 mai, à Abidjan, je renouvelle mes tentatives auprès des cadres du Parti et de l’État. Toujours en vain. Une ultime entrevue avec le président Houphouët, le 13, est tout aussi stérile. La décision ivoirienne de reconnaître le Biafra sera prise le 14.

J’ai hâte alors de rentrer à Paris car, en ce mois de mai 1968, la paralysie gagne progressivement tous les aéroports français. Je m’arrête toutefois à Niamey pour faire le point avec le président Diori. Je suis accueilli dans le hall de la présidence par Maitouraré Gadjo, qui m’invective : « Ton patron est un... Ton patron mérite son titre de balkanisateur de l’Afrique. Dis à ton patron que n’était le Président, il y aurait aujourd’hui des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de toutes les villes du Niger... »

Je fais à M. Diori Hamani un rapport complet sur l’atmosphère prévalant à Abidjan. Entre autres, je mets en relief l’obstination de M. Houphouët-Boigny à démanteler le Nigéria et surtout, l’apathie des cadres. Celle-ci se caractérise une fois de plus par une démission, une fuite devant les responsabilités : les cadres ivoiriens, tout en étant parfaitement conscients de l’enjeu biafrais, avaient refusé de prendre position, d’exprimer leurs vues, de contredire M. Houphouët-Boigny. Je conclus mon rapport oral en relevant qu’il serait illusoire dans ces conditions de compter _comme dans l’affaire de la double nationalité [3]_ sur un sursaut de l’élite ivoirienne pour freiner le président Houphouët. J’ajoute toutefois qu’à mon avis, la partie n’est pas perdue à condition que le général Gowon, chef d’État du Nigéria, multiplie les avances, les offres de négociation, les concessions, bloquant ainsi les échappatoires. Les mois qui suivront _ ils déboucheront sur ma démission de conseiller du président Houphouët-Boigny_ prouveront la faiblesse de mon analyse.

À ce moment, le président Diori, lui aussi, ne paraît pas trop pessimiste. Le président Ahidjo du Cameroun lui a dit au téléphone : « Ce sera la plus grande erreur politique de la carrière d’Houphouët. » M. Diori Hamani pense que les autres chefs d’État francophones resteront, eux aussi, dans l’expectative, ce qui pourrait amener le président Houphouët à mettre un frein, pour un temps, à son engouement pour le Biafra. Pour sa part, me dit-il, il se disposait à se déplacer pour rencontrer Houphouët à Yamoussoukro... mais « le Bureau Politique du Parti s’y est opposé. » C’était la première fois que cela arrivait. Et il en avait informé le chef d’État ivoirien qui s’en était étonné...

Bientôt le président Diori, en tant que membre du Comité Consultatif de l’OUA pour le Nigéria, apparaît comme l’élément à la fois dynamique et modérateur. Au cours des réunions du Comité, il ne cesse de réaffirmer son objectif, à savoir amener les Nigérians à définir « ensemble les perspectives d’évolution de leur pays ». Sa recherche constante d’une solution pacifique, non militaire, au conflit, sa hantise de l’effusion de sang, le conduisent à multiplier les démarches personnelles auprès du général Gowon pour frayer des nouvelles voies vers la paix.

Progressivement, à mesure qu’apparaît évidente la volonté de dépeçage du Nigéria, le président Diori est amené à durcir son attitude. Il s’oppose à la volonté du leader ivoirien de porter l’affaire à l’ONU où, croit-il, il pourrait trouver des appuis susceptibles d’édulcorer la condamnation quasi-unanime de l’OUA. Diori Hamani insiste pour une « solution africaine ».

En avril, lors de la réunion, à Monrovia, du Comité Consultatif de l’OUA, le président Diori situe nettement les responsabilités : « Nous avons demandé et obtenu, dit-il, du gouvernement de Lagos, d’importantes concessions qui peuvent être considérées comme des nouveautés : nous avons en particulier obtenu qu’il ne pose plus la renonciation à la sécession comme préalable à toute négociation et au cessez-le-feu... Malheureusement, nous n’avons pas trouvé une égale disposition auprès des représentants du colonel Ojukwu [4]. » Puis, par-delà le dirigeant de la sécession, le président Diori s’adresse « aux puissances, aux hommes et aux organisations » qui soutiennent la rébellion pour des « raisons humanitaires » et leur rappelle que si tel est l’objectif réel, le mieux serait de « faire arrêter la guerre, et non d’exciter les gens à se battre. »

Le président nigérien connaît en particulier le rôle nocif, voire néfaste pour la France, des «  hommes » qui se targuent de parler en son nom. Lagos aussi. C’est pourquoi, dès le 2 mai 1969 _c’est-à-dire quelques jours après l’échec du référendum et le départ de de Gaulle_, le ministre fédéral des Affaires extérieures du Nigéria rencontre M. Michel Debré. Selon la note confidentielle transmise de Paris, « le ministre nigérian lui sort tout le paquet, à savoir le trafic d’armes par Abidjan et Libreville, et aussi par les bateaux de pêche censés travailler en Mauritanie. Il lui donne des détails sur ce trafic, lucratif pour beaucoup... » Il se montre très sévère et demande à son homologue français de préciser la position de la France. M. Debré ne peut que nier toute immixtion.

L’acharnement des adversaires de tous bords de l’unité au Nigéria, débouchera sur un échec lamentable.

Et si cette guerre civile fut la seule de l’Histoire à se terminer sans massacres, le mérite en revient, certes, avant tout, au général Gowon, mais aussi aux exhortations du président Diori. Il ira jusqu’à prendre, publiquement, position sur ce problème combien délicat, en déclarant dans les heures qui suivent la reddition des troupes rebelles :

«  Nous faisons pleinement confiance aux autorités fédérales pour que, surmontant leur victoire militaire, elles demeurent fidèles aux engagements qu’elles ont solennellement pris en maintes occasions et... mettent en œuvre une politique de large réconciliation nationale afin que, la sécurité des personnes et des biens étant assurée, les frères retrouvés associent loyalement leurs efforts dans les tâches de la reconstruction... »

Mais la cessation des combats et l’absence d’excès de la part des troupes nigérianes, ne mettent pas fin aux soucis du président Diori. En effet, la presse nigériane, au su de l’ampleur de l’aide française au Biafra, se déchaîne contre la France, risquant ainsi de faire le jeu des activistes parisiens. À la demande du président Diori, je mène une enquête sur l’impact possible d’une telle campagne de presse en France. Dans une courte note datée du 23 janvier 1970, je fais le point de la situation :

« Il faudrait que la presse nigériane se calme tout de suite, et cesse d’envisager comme une possibilité la rupture des relations avec la France. J’espère également que Lagos n’envisage réellement pas une telle chose, car ce serait catastrophique...

«  C’est pourquoi je me permets de vous suggérer d’appeler l’attention de vos amis sur la nécessité de s’accrocher aux relations franco-nigérianes, et si possible de les renforcer. Pour cela, tout en continuant à protester contre l’attitude inamicale de certains milieux français, il faudrait que Lagos pousse les intérêts français au Nigéria _pétroliers, Peugeot, maisons de commerces_ à être plus entreprenants à Paris dans leur défense de la cause nigériane. »

Début février, le président Diori m’envoie de nouveau à Lagos pour plaider ce dossier que lui-même discutera avec le général Gowon lors de leur rencontre de Sokoto le 27 février. Dans ma lettre du 21 février au Président, je lui signale avoir rencontré M. Ahmed Joda, secrétaire permanent pour l’information et proche du général Gowon. Je lui rapporte avoir « insisté sur la nécessité pour le Nigéria, à l’heure actuelle, de faire preuve du maximum de souplesse envers la France, afin que la mafia pro-biafraise ne puisse avoir des coudées franches à Paris... Le seul moyen d’en réduire la nocivité (est) de pratiquer une politique ouverte et amicale envers la France. » Je n’avais pu surmonter les réticences de M. Joda et je le signalais au président Diori. Celui-ci se montrera plus persuasif et le général Gowon se laissera convaincre par son argumentation. Les autorités nigérianes calmeront rapidement le jeu.

Si aujourd’hui la France est le pays occidental le plus actif au Nigéria, on le doit, dans une très grande mesure, à la capacité de persuasion d’alors du chef d’État nigérien, et à la sagesse de son collègue nigérian.

Mais que d’efforts avant d’atteindre ce lendemain de victoire.

En effet, pendant toute la période de la guerre civile au Nigéria, le président Diori a été soumis à des attaques répétées des milieux activistes parisiens orchestrés par les champions du dépeçage du Nigéria. M. Jacques Foccart en tête. Le but de cette campagne paraissait évident : réduire à la défensive, sinon au silence, le seul chef d’État francophone se battant pour la préservation de l’unité du Nigéria.

Début mars 1969, les rumeurs d’un trafic d’armes à la frontière nigéro-nigériane s’amplifient. Puis on « confirme », dans les milieux proches de M. Jacques Foccart, que les autorités nigériennes elles-mêmes sont impliquées dans ce trafic. J’en avise immédiatement par écrit le président Diori, et aussi M. Houphouët-Boigny dont je suis, pour quelques semaines encore, le conseiller.

Chose caractéristique, la presse française flairant une énième campagne d’intoxication biafraise, ne se fait guère l’écho de ces bobards. D’où la nécessité de faire intervenir la grosse artillerie, à savoir les Biafrais eux-mêmes. Le 4 avril, le Commissaire à l’information du Biafra accuse _selon une dépêche de l’agence américaine UPI_ le Niger d’être non seulement « le principal intermédiaire du Nigéria pour l’achat d’armements », mais aussi d’avoir « fourni des mercenaires. »
C’est dans ce contexte que se situe un incident majeur entre Niamey et Paris. En effet, dans les tout premiers jours d’avril _au moment où se prépare la troisième relance de la guerre au Biafra [5]_, le président Diori Hamani se trouve à Londres, en visite officielle.

Bien entendu, sa présence provoque un énorme mouvement de curiosité, sans commune mesure avec celui suscité par ses pairs francophones. Il est en effet, à l’époque, président de la République du Niger, de l’Entente, de l’OCAM et de l’organisation francophone en gestation. On connaît par ailleurs à Londres son action dans la crise opposant Québec à Ottawa [6], et surtout on apprécie sa courageuse prise de position en faveur du Nigéria, pays anglophone, membre du Commonwealth.

La réception réservée par les autorités britanniques s’en ressent. La presse, la radio et la télévision lui manifestent un intérêt inusité. À Paris, on qualifie aussitôt d’« extraordinaires » les honneurs dont il est l’objet pour en conclure que la perfide Albion tente de le soustraire à « l’influence française ». On reproche encore au Président de n’avoir pas invité à déjeuner l’ambassadeur de France, et surtout d’avoir donné au Times une interview manquant de déférence envers le général de Gaulle.

Ce dernier problème prendra des proportions d’incident diplomatique.
Le 5 avril, de retour de Londres, et constatant l’amplification de la campagne contre Diori Hamani, je cherche à la battre en brèche, du moins auprès du chef d’État ivoirien. Je téléphone donc au président Houphouët-Boigny à Marne-la-Coquette, et demande à le voir d’urgence. Il fixe le rendez-vous à 19h30. Je lui fais un rapport complet et détaillé sur la visite en Grande-Bretagne du président Diori. Après avoir écouté en silence, il me dit :

« Ce qui est ennuyeux, c’est que Foccart est venu me voir et m’a remis une coupure de presse anglaise ainsi que sa traduction. Et là-dedans, il est dit que Diori a déclaré : « De Gaulle a tort (de soutenir le Biafra). » Et M. Houphouët-Boigny ajoute : « J’ai demandé ce qu’il en était à Diori, il m’a dit qu’il n’avait jamais dit cela. »

Je lui confirme le fait en lui disant que c’est moi qui servais d’interprète au président Diori durant cette entrevue avec le journaliste Roy Lewis du Times. Le président Houphouët ajoute :

« Vous comprenez, Foccart, réellement navré de cet article, est venu me voir pour me dire que si cela tombait sous les yeux du général de Gaulle, celui-ci pourrait s’en offenser. Il m’a promis, précise-t-il même, qu’il ne lui montrerait pas cette coupure, mais il m’a aussi fait remarquer qu’il n’était pas certains que d’autres ne le feraient pas. Il faudrait que Diori soit beaucoup plus réservé et ne fasse pas ce genre de déclarations », conclut le président Houphouët-Boigny.

À la fin de l’entrevue, vers 21h, le chef d’État ivoirien m’invite à passer chez le président Diori « car il veut vous voir ce soir. »

À l’appartement de la rue Scheffer, M. Diori Hamani me remet la traduction de l’article par les services de M. Foccart, me demande de la vérifier minutieusement, et ajoute : « Vous ne vous imaginez pas toutes les histoires qu’ils me font... Ça me rappelle, dit-il, la campagne qui a été lancée contre moi en 1963 à mon retour du Caire, quand on a raconté les pires insanités. Hélas, ce n’était peut-être pas une coïncidence, l’affaire du capitaine Diallo [7] a eu lieu immédiatement après. J’ai l’impression désagréable qu’on me cherche noise, que s’ils n’avaient pas pu trouver cet article du Times, ils auraient trouvé n’importe quoi pour m’attaquer. »

J’abonde dans son sens : je lui réponds que fort probablement, le tapage organisé autour de cette affaire est de même nature et de même origine que les précédentes campagnes de rumeurs hostiles, celles provoquées par le don de blé canadien, l’affaire du Québec, l’optique indépendante du Niger lors de la conférence de Niamey sur le problème de la francophonie, son acharnement à défendre l’intégrité du Nigéria, etc. J’en conclus que, comme par le passé, un certain milieu parisien essaie de le réduire à la défensive, de l’empêcher de faire preuve de dynamisme, d’esprit d’initiative et d’indépendance.

Le lendemain dimanche, je refais la traduction du passage incriminé _une dizaine de lignes_ de l’article paru dans le Times du 2 avril. Je relève dans la traduction de M. Foccart, avec force références au Harraps (Édition 1961), « quatre erreurs de traduction dont trois méchantes », « deux verbes ajoutés » et « des erreurs d’interprétation ou de nuances. » Je précise enfin l’absence de guillemets dans le texte anglais. Peine perdue. En effet, commentant ma version, le président Houphouët dira le lendemain à son collègue nigérien : « Mais voyons, à l’Élysée ils ont quand même des traducteurs beaucoup plus expérimentés et connaissant mieux leur métier que Baulin... » Je ferai remarquer au Président qu’ils étaient peut-être moins objectifs.

Diori Hamani se montre ulcéré. De toute évidence, il le sent, on va essayer de l’humilier. « Ils ne vont même pas me laisser voir de Gaulle, me confie-t-il. Heureusement, ajoute-t-il, qu’à mon arrivée, j’avais pris la précaution de dire que je ne le verrais que si son calendrier le lui permettait, de façon à ne pas perdre la face. » Je suggère au président Diori de faire l’impossible pour rencontrer le général de Gaulle. D’exiger au besoin une entrevue, afin de brouiller le jeu de ceux qui cherchent à empoisonner l’atmosphère entre l’Élysée et lui.

Il y aura, le 8 avril, une nouvelle rencontre entre MM. Diori et Foccart. Celui-ci remettra sur le tapis la non-invitation de l’ambassadeur de France à Londres, et lui demandera de démentir l’article du Times, chose que le président refusera avec hauteur, en faisant valoir que ce serait s’abaisser. Sans compter que le journal pourrait relever que ses dires n’avaient pas été cités entre guillemets.

Le général de Gaulle, à deux semaines de sa chute, refusera de recevoir le président Diori.

En contrepartie de ces avanies, force est de le constater, la politique de principe conséquente du président Diori durant la guerre civile au Nigéria provoquera des retombées bénéfiques pour le Niger.

Le renforcement des liens avec le Nigéria assoira sur des bases particulièrement solides la stratégie tripolaire [8] du président Diori et augmentera d’autant sa liberté de mouvements, donc l’indépendance de son pays.

L’amitié entre les deux pays voisins sera constamment, sciemment, renforcée par de multiples manifestations publiques de reconnaissance prodiguées par les plus hautes autorités du Nigéria.

Ainsi, le 28 février 1970, quelques semaines après la fin de la guerre civile, le chef d’Etat nigérien rencontre son homologue nigérian à Sokoto même. Les accueillant, le général Usman Faruk, gouverneur militaire de l’Etat du Nord-Ouest, déclare :

« Je suis sûr d’exprimer la pensée de tous dans ce pays en disant que le rôle joué par le Président de la République du Niger pendant la crise du Nigéria sera toujours rappelé, même par les générations à venir. Le gouvernement de la République du Niger et son peuple ont prouvé sans l’ombre d’un doute qu’ils étaient vraiment nos amis. Nous n’oublierons jamais leur soutien inappréciable... Ce soutien n’a pas peu contribué, révèle-t-il, à la capitulation finale du régime sécessionniste. »

En novembre, invité du gouvernement nigérian, il est qualifié d’« ouvrier infatigable de l’unité et de la dignité africaines, ami sûr et dévoué du Nigéria » ; l’Université d’Ibadan _en région Yorouba !_ lui décerne le titre de docteur Honoris Causa, « en témoignage du rôle éminent de Hamani Diori pendant la guerre civile, rôle qui demeure vivace dans notre mémoire. »

À la demande expresse du général Gowon, le communiqué conjoint publié à l’issue de la visite, relève dans sa conclusion qu’il a personnellement « exprimé la gratitude profonde et les remerciements du gouvernement et du peuple nigérians au président du Niger, à son gouvernement et à son peuple pour leur apport éminemment positif durant la guerre civile nigériane. »

Des actions pratiques dans le domaine de la coopération économique vont de pair avec les expressions de sentiments amicaux. Une Commission mixte de coopération est créée.
Bientôt, un train de barges remontera le fleuve Niger : dès le 2 juillet, dans une lettre adressée à « Monsieur le Président et Cher Frère », Gowon avait avisé son collègue nigérien que son gouvernement entreprendrait « le balisage du fleuve Niger, de Warri à Niamey. »

La ligne de haute tension financée par Ottawa aurait été sans objet si elle ne permettait de fournir une énergie à bon marché, générée par le barrage de Kainji au Nigéria. La lettre citée ci-dessus précisait, à ce sujet, que le projet avait été considéré comme « prioritaire dans notre plan de développement. » Aujourd’hui encore, le ravitaillement de Niamey en énergie d’origine nigériane est régulier, alors qu’il n’y a pratiquement pas de jour sans coupures de courant au Nigéria même.
Il y aura encore les projets de construction de routes, l’étude de développement agricole de la Komadougou, un projet d’institut bilingue, etc.

Le Président mesurait à sa juste valeur l’amitié du Nigéria. Mais il se devait de prouver aux dirigeants nigérians que son propre appui leur était indispensable, qu’ils avaient besoin du Niger aujourd’hui comme hier au moment de la sécession biafraise. La création de la C.E.A.O., qui se présentait en fait comme une nouvelle tentative de marginalisation du Nigéria, lui donnera l’occasion d’en faire la démonstration.

Le 21 mai 1970, à Bamako, sept chefs d’État francophones d’Afrique occidentale [9] décident de créer une « Communauté Économique de l’Afrique de l’Ouest » (CEAO) destinée à prendre la suite le l’ « Union Douanière des États de l’Afrique de l’Ouest » (UDEAO), qui avait amplement fait la preuve de son impuissance.

Mais la naissance de la nouvelle organisation francophone sera laborieuse, et de fait, le traité sanctionnant sa création effective ne sera signé que deux années plus tard, toujours dans la capitale du Mali. De toute évidence, le président Diori montre très peu d’empressement à la participation de son pays à ce groupement. Pour deux raisons.

D’abord parce que sur le plan économique, les textes « ne donnent pas de garantie de développement à peu près équivalentes » aux différents pays membres. La Chambre de commerce de Niamey ne le cache pas, le risque est grand « de faire des uns des producteurs et des autres d’éternels consommateurs » ; comme il est à craindre que « l’égocentrisme des plus industrialisés laisse aux moins équipés un sentiment de frustration et d’humiliation. » Ces réflexions visent bien entendu la Côte d’Ivoire dont les dirigeants ne cachent pas la nécessité d’une industrialisation plus harmonieuse, évitant la duplication d’usines installées déjà sur la côte et, dans une certaine mesure, le Sénégal, l’autre héraut de la CEAO.

Au plan politique, les objections du Niger sont encore plus fondées dans la mesure où le Nigéria est maintenu hors de l’ensemble. À Bamako même, M. Mouddour Zakara [10], chef de la délégation nigérienne, le déclare en séance plénière : « La CEAO ne peut pas être d’architecture purement sentimentale, ni linguistique. » Et il ajoute : « Elle doit être géographique, donc englober nécessairement tous les pays de la région, même si par suite d’accidents historiques, certains d’entre eux se trouvent artificiellement plus ou moins isolés de leurs voisins. »

En somme, Diori Hamani était pleinement conscient de la nécessité pour chaque État de dépasser l’espace économique national par trop étroit, à la double condition que cela se fasse de façon équitable et en préservant les intérêts et les amitiés de chacun des États membres. Il divergeait avec ses homologues sénégalais et ivoirien précisément sur ce dernier point. Pour Houphouët-Boigny, l’aire de coopération devait se limiter aux États francophones d’Afrique occidentale, la Côte d’Ivoire en étant l’élément le plus riche et le plus industrialisé.

Pour Diori Hamani, le nécessaire dépassement de l’espace économique national ne pouvait se concevoir hors du Nigéria, c’est-à-dire contre le Nigéria. Il rappelait volontiers « notre situation géographique à l’extrême bout des États qui décident de créer la CEAO », d’où la nécessité de tenir compte « des critères géographiques et physiques », et de considérer comme secondaires, « les préoccupations linguistiques » et les affinités monétaires.

Au général Gowon, arrivé à Niamey dans les jours suivant la signature de l’accord créant la CEAO, le président Diori réitèrera sa position : pas de communauté économique véritable, sans le Nigéria.

Du 15 au 17 mai 1973, le Président se trouve de nouveau au Nigéria, en visite officielle. Il précise l’optique nigérienne en déclarant, dans une conférence de presse :

« La création de la CEAO doit être considérée comme un premier pas... Toute union économique qui n’intégrerait ni le Nigéria, ni les autres pays anglophones, ne serait pas réaliste... »

Donc, en nationaliste conséquent, Diori Hamani joue à fond la carte nigériane car il le sait et le dit, la préservation et le renforcement de l’indépendance du Niger passent par l’équilibre entre les trois pôles francophones, algéro-libyen et nigérian. Trois forces plus ou moins concurrentes et divergentes qui se neutralisent mutuellement.
Le président Diori, qui avait tellement œuvré pour l’intégration du Nigéria dans l’ensemble régional de l’Afrique occidentale, sera absent au moment de la création, à Lagos, le 28 mai 1975, de la « Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest. » Son élimination de la scène politique africaine treize mois auparavant par le putsch du 15 avril 1974, n’aura pu empêcher la matérialisation de ce grand dessein.

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