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13 . Le putsch : réalités et exégèses - Ouvrages - Conseiller du Président Diori - Fonds d'archives Baulin
Conseiller du Président Diori
Le putsch : réalités et exégèses

Quelques rares collaborateurs et amis du Président ont vécu ce lundi de Pâques et les deux jours suivant _les 16 et 17 avril 1974_ dans un état de tension extrême (ndle). Tension qui, bientôt, cédera la place à une lassitude nauséeuse. La trahison de ces officiers, de ces amis, leur parjure, auront sur moi un effet particulièrement démoralisant.

Le film des événements de cette journée commence, pour moi, à 9 h 30. Je reçois une communication téléphonique de M. Aboubacar Sidibé, ambassadeur du Niger en France. M. Foccart vient de l’aviser, me dit-il, d’un coup d’État au Niger. Il me demande de passer le voir immédiatement. Avant d’y aller, je prends l’initiative d’entrer en contact avec Gilbert Comte, conseiller officieux du président Diori, pour le mettre au courant de ce qui se passe à Niamey et lui suggérer de venir nous rejoindre à la résidence de l’ambassadeur.

Durant ces trois jours, M. Sidibé aura une attitude exemplaire. Il se trouve dans une position pour le moins délicate : il est l’un des trois Nigériens _ avec Maitouraré Gadjo et le commandant Sani Souna Sido_ les plus proches de M. Diori Hamani. Il n’oubliera pas pour autant son rôle de serviteur de l’État nigérien. Tant qu’il n’aura pas la certitude, la confirmation de la prise du pouvoir par les militaires, il restera inébranlablement fidèle à celui qui lui avait donné ses lettres de créance. Mais quand arrivera le moment du choix, il se réfugiera dans une neutralité de bon aloi, dans son rôle de représentant de l’État nigérien, et il ne me viendra même pas à l’esprit de l’en blâmer. Dans l’immédiat, on réfléchit à ce qui peut être fait.

Gilbert Comte propose à l’ambassadeur de téléphoner au président Houphouët-Boigny. Je m’y oppose, considérant qu’il s’agit là d’une démarche superflue. N’avions-nous pas appris qu’il avait dit à Hampaté Ba _son ami malien de longue date_ quelques semaines auparavant : « Diori m’a trahi... Il aura bientôt des histoires » ? Comte insiste : il serait bon, dit-il, d’entendre quand même ce qu’il va dire. L’ambassadeur, lui, pense que Diori Hamani ayant toujours considéré Houphouët comme un frère aîné, il convenait de lui téléphoner. Au bout du fil, le président ivoirien parle : «  Diori ne m’écoutait plus, dit-il... il ne me disait plus rien... il a passé trois jours auprès de moi sans me parler de la Libye... Je vais téléphoner à Foccart... » Donc, j’avais raison : cela ne sert à rien. Gilbert Comte aussi avait raison : on sait dorénavant qu’il n’est pas dans le camp du président de la République du Niger [1].

Autre idée, demander à M. Foccart l’intervention des troupes françaises... La démarche, cette fois, me paraît saugrenue : la cause essentielle sinon unique du putsch n’est-elle pas évidente ? [2]

On se trouve, de plus, en pleine période de transition : le président du Sénat M. Poher assure, depuis le décès de Georges Pompidou, l’intérim à l’Élysée et ne prendra certainement pas une telle responsabilité. D’autre part, on le sait depuis le précédent intérim, assuré par la même personnalité, il ne pouvait sentir M. Foccart.

Quant à M. Jobert, ministre des Affaires extérieures en exercice, il n’aime pas M. Diori. Pour une raison bien simple : c’est un ultra québécophile et il ne pardonne pas au Président son attitude rigide, allergique au compromis, sur le problème de l’unité du Canada, contre le séparatisme québécois et les partisans parisiens de ce séparatisme.

En dépit de mes réserves, je me rallie finalement à l’idée, parce qu’elle nous permet effectivement de connaître les réactions des milieux intéressés à la chute du président Diori.

Bien entendu, les premières démarches nous éclairent pleinement. Tout d’abord, à Paris, personne ne songe à une intervention de quelque nature que ce soit. M. Foccart, pour sa part, soulève immédiatement un problème de procédure : il faudrait, dit-il, une lettre du président Diori ou du président de l’Assemblée nationale du Niger pour obtenir l’intervention des troupes françaises... Une telle lettre n’existe évidemment pas. Qu’importe, on se débrouille et on lui en déniche une. M. Foccart reste estomaqué. Or, à moins d’accuser de faux et usage de faux l’un des plus proches collaborateurs du président Diori _et de plus un Blanc_, il se trouve obligé de se courber et de considérer qu’elle change « l’aspect des choses ».

Comme prévu, il n’en sortira rien. C’est sans surprise que nous apprendrons le lendemain de Max Jalade, un journaliste français ami du président Diori, que selon M. Foccart, « une grande conférence a réuni » la veille MM. Poher, Galley, le général Maurin et M. Foccart ; on a analysé la situation, envisagé diverses solutions, et on a fini par opter pour celle d’envoyer sur place « le colonel Prax [3], un ami du lieutenant-colonel Kountché, pour essayer de dégager Diori. » [4]

Max Jalade se dit, de plus, convaincu qu’il ne s’agit pas d’ « un nouveau coup de Foccart », que celui-ci n’était même pas « au parfum », qu’il a paru au contraire très affecté par la mort de la Présidente, et qu’il a qualifié le putsch de « hold-up à 2 heures du matin... » Il n’en reste pas moins que M. Foccart deviendra invisible à partir du 16 avril, son adjoint, M. Journiac, prenant la relève.

Mais en ce lundi de Pâques, on ne sait toujours pas ce qui se passe au Niger. La dernière communication téléphonique remonte à 9 heures 40 du matin, c’est-à-dire quelques minutes avant l’interruption des liaisons. Nous n’apprendrons l’assassinat de la Présidente que tard dans la soirée. Mais quel est le sort des Sani, des Sory, des Boulama, des Seydou ? Tous ces officiers, tous ces amis dont la loyauté, la fidélité au Président me paraissent au-dessus de tout soupçon ? [5] Que devient, que fait Maitouraré Gadjo ? Je les crois morts ou prisonniers. Gilbert Comte, lui, ne partage absolument pas cette optique qui se révèlera quelque peu naïve.

Le lendemain, mardi 16 avril, sera la journée des surprises. Et aussi du dégoût.

Entrés en contact avec Niamey par le canal d’un pays tiers, nous apprenons que Maitouraré Gadjo « est en bonne santé et transmet son bonjour. » Quelques heures plus tard arrive la confirmation : il n’est pas arrêté et se trouve dans sa résidence. Le fait qu’il ait été tout de même « chassé » de la Présidence de la République prouverait qu’il n’a pas participé _je l’espère_ au putsch. Pour le commandant Sani, un familier du Président qui de plus, était au courant de toutes les affaires de la Présidente, tenait son chéquier et rédigeait personnellement ses chèques, le doute n’est plus permis. On connaît, dès le 16 avril au matin, son rôle prépondérant dans le coup. On saura même bientôt qu’il en est l’instigateur [6]. Il deviendra le lendemain, ministre de l’Intérieur, des Mines et de la Géologie.

Le chef de bataillon Sory qui commandait _si je me rappelle bien_ la garnison d’Agadez ? Eh bien, il avait fait mouvement vers Niamey, dit-on, pour épauler le putsch ; il recevra le portefeuille de la Justice. Le capitaine Boulama Manga ? Il participait au bouclage de la capitale du côté de l’aéroport de Niamey dans la nuit du 14 au 15, et accèdera dans les 48 heures au poste de ministre des Affaires économiques...

Double trahison [7] de tous ces officiers. Ils avaient trahi et leur serment et leur chef. Car ces hommes étaient tous plus ou moins proches de M. Diori Hamani qui les considérait comme ses enfants, ses « garçons ». Ils avaient libre accès auprès de lui. Ses relations avec eux se différenciaient totalement de celles, compassées, du président Houphouët-Boigny avec ses propres cadres militaires.

Le putsch apparaîtra bientôt comme l’un des plus sanglants d’Afrique, avec une quinzaine de morts. La garde en effet avait résisté. Pourtant, le commandant Sani en était le chef virtuel, même si un autre la commandait en titre depuis peu. C’est Sani qui s’était opposé à la consolidation des murs d’enceinte et au renforcement de la puissance de feu du Palais, deux mesures préconisées par son prédécesseur. Bien entendu, le Président avait donné raison à Sani et rejeté les plans du nouveau commandant de la garde.

Quant aux gardes du corps du Président _ les Badié, les Hamidou, etc_, ils s’étaient sacrifiés en dépit _ou à cause_ de l’absence de leur chef, un Corse du nom de Quillichini que le Président honorait _à tort_ de sa confiance.

Le 17, en début d’après-midi, nous devons nous rendre à l’évidence et reconnaître que l’ambassadeur de France à Niamey avait bien raison de conclure son télégramme par la phrase : « Une page est tournée. »

Dans l’immédiat, connaissant la fierté à fleur de peau du Président, nous craignons que les militaires ne l’humilient. C’est pourquoi il convient de leur rappeler que Diori Hamani compte beaucoup d’amis.

Au niveau des autorités françaises, la coïncidence on ne peut plus bizarre entre les négociations avortées sur l’uranium et le coup d’État, gêne visiblement les interlocuteurs officiels de nos amis qui exercent des pressions en faveur du président Diori.

À l’Assemblée nationale, un camarade, Louis Le Pensec, socialiste du Finistère, constate le 17 avril, dans une question écrite au ministre des Affaires étrangères, que «  le coup d’État militaire du 15 avril 1974 au Niger est intervenu en pleine période de négociation des accords franco-nigériens relatifs à la réévaluation du prix de l’uranium d’Arlit. » Or, ajoute le député socialiste, «  le gouvernement français avait jusqu’à présent refusé toutes les propositions de réévaluation présentées par le gouvernement nigérien, notamment lors du voyage à Niamey de M. Guéna en mars 1974. »

M. Le Pensec demande en conséquence au ministre de démentir formellement «  toute hypothèse de collusion entre le gouvernement français, les services de M. Foccart et les putschistes nigériens », de « définir la position du gouvernement à l’égard des demandes de réévaluation du prix de l’uranium », de « faire connaître l’interprétation qu’il donne actuellement des accords de défense passés entre la France et le Niger. »

Pour ma part, j’écris au Premier ministre du Canada pour le prier d’intervenir « auprès des nouvelles autorités nigériennes afin que le président Diori soit traité de la façon la moins humiliante et la plus humaine possible. » [8]

L’émotion paraît particulièrement forte au Nigéria. Personne n’y a oublié le rôle généreux joué par le Président durant la guerre dite du Biafra, sa lutte courageuse pour préserver l’unité du pays. C’est pourquoi, dans les heures qui suivent l’annonce du coup d’État, les troupes nigérianes situées dans la zone frontalière sont mises en état d’alerte d’ordre du général Gowon. Celui-ci exige que M. Usman Faruk, le gouverneur militaire de l’État fédéré du Nord-ouest, rende visite au président Diori et s’assure personnellement de son bien-être. Le colonel Kountché se courbera.

Mieux, le 17 avril, M. Ibrahim Loutou, ambassadeur du Niger au Nigéria, arrive à l’aéroport de Lagos. M. Sani Kontagora, représentant du Nigéria à Niamey, l’accompagne. À sa descente d’avion, en présence de M. Loutou et en contradiction avec les règles les plus élémentaires de la diplomatie, M. Kontagora « regrette » le putsch car «  le président Diori Hamani était l’un des meilleurs présidents qui aient paru sur la scène africaine. » L’ambassadeur du Niger ne bronchera pas. Il s’évertuera à assurer la presse nigériane et étrangère que le putsch «  n’a pas été téléguidé de l’extérieur » et que la mort de la Présidente était « complètement accidentelle. »

Le 18, radio Lagos diffuse à plusieurs reprises le texte du message envoyé par le général Gowon à la junte de Niamey dans lequel il insiste sur la nécessité d’assurer la sécurité de M. Diori Hamani.

Le samedi 20, le commandant Sani arrive à Lagos et remet un message du colonel Kountché dans lequel il prie le général Gowon de considérer le nouveau régime nigérien avec «  sympathie et compréhension. »

Autre séquelle du coup, la Commission Niger-Nigéria ne pourra se réunir dix-huit mois durant, c’est-à-dire jusqu’à la chute du général Gowon, en dépit des efforts du régime militaire de Niamey. Il y aura même un incident significatif : une délégation nigérienne arrivera à Sokoto pour une réunion pourtant mise sur pied avec beaucoup de difficultés, et repartira pour Niamey sans avoir pu rencontrer la délégation nigériane restée à Lagos.

Les réactions bienveillantes et parallèles de Lagos et d’Ottawa m’amènent à écrire une fois de plus à nos nombreux amis du Canada pour leur suggérer une démarche après du général Gowon en faveur du président Diori...

Au Cameroun également, l’émotion est grande. Le président Ahidjo qualifie d’odieux l’assassinat de la Présidente, grande amie de son épouse. Jusqu’à sa démission de la présidence, il refusera de recevoir Seyni Kountché au Cameroun.

Le flot d’expressions de sympathie pour le Président et la multiplication des pressions amènent le lieutenant-colonel Kountché à assurer dès le mois de mai 1974, au correspondant de Reuter, que le président Diori en particulier et les dirigeants du régime civil en général « seront traités avec humanité, considération et bienveillance.  »

Quels sont les arguments avancés par ceux qui s’obstinent à refuser de voir une relation de cause à effet entre les négociations sur l’uranium et la rénovation du Parti d’une part, et le putsch de l’autre ? Des exégètes plus ou moins intéressés ont essayé de l’expliquer, tour à tour, par l’impéritie, la corruption ou les Libyens...

Prenons d’abord l’impéritie du régime face à la sécheresse.

Au lendemain du putsch, le Conseil Militaire Suprême prend en mains l’organisation des secours aux victimes de la sécheresse afin, déclare le colonel Kountché, « que les populations ne meurent plus à quelques kilomètres des vivres. » En somme, pour le colonel, les vivres ne manquent pas ; il s’agit simplement d’en organiser la distribution. Qu’en était-il ?

La sécheresse durait depuis six ans. Elle était autrement sévère alors. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au Sahel _organe du régime militaire_ daté du 27 janvier 1984. « Les étiages à Niamey, y lit-on, ont atteint une valeur basse de 2,7 m³/seconde, le record absolu étant observé en 1974 (0,5 m³/seconde). » En d’autres termes, le débit du fleuve, tributaire des pluies, était 5 fois plus réduit au moment du putsch qu’en 1983-1984, année d’une sécheresse qualifiée de « terrible » par les autorités actuelles de Niamey.

Autre conséquence de la rareté des pluies, à Niamey la nappe phréatique était à 10-12 mètres en 1974, contre 6 à 7 mètres d’ordinaire et 8 mètres en 1984.

Y avait-il suffisamment de vivres ? Non. Au déficit de la production céréalière intérieure s’ajoutait le retard de l’aide promise. M. Bembello, alors ministre du Développement et de la Coopération du président Diori, avait cité à ce propos des chiffres édifiants : le programme d’assistance prévoyait, selon le ministre, un total de 224 000 tonnes de céréales et vivres divers. Or, sur la première tranche de 90 000 tonnes prévues et programmées pour fin mars 1974, « seules 40 000 tonnes ont été livrées par les organismes multidonateurs étrangers. » Donc il y avait un déficit de 50 000 tonnes. Y avait-il incurie dans la distribution ? Non. Du moins à en croire Le Nouvel Observateur [9] dont l’envoyé spécial, M. Jean-Francis Held, rentrait précisément du Niger... « Là-bas, écrivait-il, le drame est subi moins passivement qu’ailleurs dans le Sahel. Le pouvoir agit, on fait quelque chose, on cherche. C’est plus intéressant que de constater les horreurs du Mali par exemple... » Et les spéculateurs ? Selon le même journaliste, « les mesures prises par le gouvernement... pour empêcher les commerçants d’accaparer le grain et de le revendre bol par bol au plus haut cours sont relativement efficaces. »

Alors ? Que reste-t-il de l’accusation de l’impéritie du régime civil face à la sécheresse ?

Et le régime militaire ? A-t-il pu faire preuve de plus d’efficacité ?

Certes, au lendemain du coup d’État, le capitaine Moumouni Djermakoye, promu ministre des Affaires étrangères et de la Coopération affirmait dans une déclaration ayant fière allure :
« Le peuple du Niger... a été obligé pendant quelques temps de s’en remettre, pour son alimentation, à la générosité de ses frères de la communauté internationale. Ce spectacle humiliant, nous avons pris la ferme résolution de ne plus jamais le revoir. » [10]

Le colonel Kountché, lui aussi, avait glosé sur « l’étreinte humiliante de la faim. » [11] Hélas pour le peuple nigérien, dix-huit mois après la prise de pouvoir, on sait déjà dans les cercles dirigeants de Niamey et de Bruxelles, que « le déficit céréalier sera très important en 1975-1976. »

Mais le régime militaire, de peur de perdre la face, fera traîner les choses avant d’en appeler une fois de plus à la solidarité internationale.

Ainsi, le même Moumouni Djermakoye lance, le 9 février 1976, « un appel au monde pour obtenir d’urgence 200 000 tonnes de produits alimentaires. » [12] On parle de « situation tragique » à Niamey. Le régime militaire, comme du temps de Diori Hamani, évalue les besoins globaux de denrées alimentaires sur la base de 250 kg par personne secourue et par an.

Mais les militaires n’ont pas le prestige et la stature qu’avait réussi à acquérir le président Diori. Les fonctionnaires internationaux reprennent donc vite leurs mauvaises habitudes et commencent à marchander. On assiste ainsi à des tractations sordides. Ils s’obstinent avec suffisance à faire leurs projections d’aide sur la base de 175 kg par an. Un responsable de la F.A.O tiendra à préciser encore que « le Niger a peu de chances de recevoir les 200 000 tonnes qu’il réclame... » [13]

Comme le disait alors Tanko Hassa [14], « il faudra 25 ans aux militaires pour reconstituer le capital prestige de Diori » ; et il ajoutait : « remplacer Diori, ce n’est pas difficile, faire mieux, c’est impossible. »

Autre exemple flagrant d’incapacité, la tentative de la junte de recourir à des moyens aériens pour la lutte contre les acridiens et autres pestes qui ravagent les cultures. Niamey demande donc un avion pour expérimenter cette forme nouvelle de protection des récoltes. Les Américains acceptent de mettre, pendant trois semaines, un avion à la disposition des autorités nigériennes. L’avion une fois à terre, à Niamey, il faudra au régime militaire 17 jours pour accorder les autorisations administratives ad’hoc. Résultat ? Au bout de 30 heures de vol, reliquat des 21 jours, l’avion américain quittera le Niger.

Le 11 février 1976, une dépêche AFP apportera la preuve par neuf de l’incompétence des militaires en précisant que « le quart des Nigériens est menacé de famine.  » West Africa, pour sa part, fait état de l’accusation de « mauvaise gestion de l’aide » lancée par les organisations internationales donatrices contre le régime militaire.

Mais le laisser-aller du régime a des conséquences encore plus graves à long terme. Ainsi, selon des statistiques officielles publiées récemment, l’avance du désert réduit d’année en année la superficie du « Niger utile ». Les habitants de Zinder peuvent constater, comme nous l’avons fait, que les dunes de sable ont atteint aujourd’hui les portes de la ville.

Le président Diori, lui, était fort conscient de l’importance vitale de la lutte contre la désertification. Il s’apprêtait, en coopération avec la FAO, à lancer un projet grandiose de reforestation basée sur le pin d’Alep. Ce dossier doit traîner, aujourd’hui, quelque part dans les classeurs de la Présidence.

Et que dire du gaspillage énorme, irraisonné, insensé, des fonds publics ?

Au début de la saison des pluies 1975, c’est-à-dire 13 mois après le coup d’État, la Caisse de Stabilisation (la CSPPN) qui disposait de sept milliards de francs CFA un an auparavant, était déjà à sec [15]. Dans ce court laps de temps, le régime militaire, soucieux de faire preuve d’efficacité à tout prix, n’avait pas regardé à la dépense pour le transport et la distribution des grains, enrichissant d’autant les transporteurs et autres intermédiaires.

Mais l’incapacité du régime militaire à gérer le Niger apparaît mieux encore dans l’ampleur prise par la dette publique, et surtout la dette extérieure. Pour le préciser, il suffit de consulter le Journal Officiel de la République du Niger qui publie chaque année le budget de l’État.

En 1972, au bout de douze années de régime civil, le service de la dette extérieure du Niger s’élevait à 207 millions de francs CFA [16].

En 1974, au moment où les putschistes renversent le président Diori Hamani, le service de la dette extérieure n’est que de 245 595 000 francs CFA [17].

En 1984, après dix années de régime militaire ponctué d’achat de Boeing présidentiel, de constructions de prestige, de gabegie, le service de la dette extérieure se trouve multiplié, officiellement, par 49,39. Elle est en effet de 12,10 milliards de francs CFA [18].

Mais cette somme déjà énorme que doit verser en 1985 l’État nigérien ne donne nullement une idée correcte de l’impéritie du régime militaire. En fait, il y a maquillage de la réalité parce qu’il se trouve, depuis plusieurs années, dans l’incapacité d’honorer les échéances. D’où la nécessité de rééchelonner la dette en y incorporant bien entendu les intérêts non réglés, ainsi que les intérêts sur les intérêts. Donc, si le Fonds Monétaire International et le Club de Paris ont accepté, le 30 novembre 1984, que le remboursement par le Niger de sa dette soit étalé « sur une période de dix ans avec une période de grâce de cinq ans » [19], il n’en reste pas moins que « la charge de la dette, après rééchelonnement, atteindra 50 milliards de francs CFA en 1988. » [20] Cela fait de 7 à 10 000 francs CFA par an et par habitant !

Faut-il citer encore le chiffre de la dette intérieure qui vient s’ajouter à la dette extérieure ? Là encore, l’hypertrophie est indéniable : la dette intérieure est passée en effet de 417 490 000 francs CFA en 1974, à 9 733 000 000 en 1984 [21], soit 23 fois plus.

Face à ces chiffres, comment la junte peut-elle accuser d’impéritie le régime civil qu’elle a renversé par la force ?

On avance souvent à Niamey un second prétexte, celui de la corruption, pour expliquer le putsch. Dans son discours programme du 22 avril 1974, le colonel Kountché avait annoncé la création d’une commission de contrôle et d’enquête pour « vérifier les biens des anciens responsables et les malversations de l’ancien régime. » Il avait promis alors de porter le verdict de cet organisme « à la connaissance de tous. »

Personne ne peut se hasarder à nier que tel directeur d’un organisme para-étatique prenait des commissions ou que tel sous-préfet détournait quelques dizaines de sacs de céréales pour les réserver aux siens et rehausser d’autant son prestige au sein de son clan. Ceux qui croient pouvoir mettre un terme à ces abus sont généralement du niveau des rédacteurs _jeunes et généreux_ de tracts. Ce genre de corruption a existé de tout temps et existe toujours [22], au Niger comme ailleurs.

En Afrique, quand on parle de corruption dans un pays donné, on met en question la figure de proue et son entourage immédiat.

Qu’en était-il de Diori Hamani ? Ici, il ne s’agit nullement de se référer aux cas de tel Chef d’État d’un grand pays d’Afrique équatoriale accusé de ne pas faire de différence entre le Trésor et sa poche, et de posséder plusieurs milliards de dollars investis à l’étranger ; ou de tel autre qui se demandait, en public, il y a moins de deux ans : « quel est l’homme sérieux dans le monde qui ne place pas une partie de ses biens en Suisse ? » Ces cas ne peuvent servir en effet de références car il n‘y a rien de comparable entre la richesse des deux pays précités et le Niger rude, pauvre et fier.

La « fortune de Diori ». Je suis d’autant mieux placé pour en parler que je fus amené, par la force des choses, et à mon corps défendant, à m’en occuper entre 1980 et 1982. L’inventaire de ses biens ne pose donc pas de problèmes.

Au moment du putsch, le Président possédait un appartement en copropriété représentant « les 172/1000 d’un immeuble sis au 39 rue Scheffer à Paris », acheté le 14 mars 1962 devant notaire, au prix de 170 000 francs français, soit 8 500 000 (huit millions cinq cent mille) francs CFA. M. Amadou Seydou, alors ambassadeur du Niger en France et proche de Djibo Bakary, avait représenté le président Diori lors de cette transaction.

Il possédait également une « maison d’habitation » d’après la description même de l’acte notarié rédigé par Maître Michel Bouvet _et non un « château » comme le prétendait M. Djibo Bakary_ sis dans l’île de Villenne. Cette propriété avait été acquise le 23 décembre 1968 au prix de 1 200 000 FF (60 000 000FCFA) dont 800 000 francs français (40 000 000 FCFA) empruntés, suivant le même acte notarié, à la BIAO de Paris. L’emprunt, précise encore l’acte notarié, devra être remboursé en dix annuités de 80 000 francs français à partir du 15 janvier 1970. Voilà pour le Président. Venons-en à la Présidente.

Elle construisait beaucoup, beaucoup trop, à Niamey. Cela faisait jaser. Les Nigériens comme les Européens, à commencer par les ambassadeurs de France et d’Allemagne. À tel point que nous trouvant à Niamey en même temps, Gilbert Comte et moi, après avoir comparé nos informations, étions arrivés à la conclusion qu’il fallait attirer l’attention du Président sur ce problème. Mais pour une mission aussi délicate, aucun d’entre nous n’était prêt à se porter volontaire.

Dans l’après-midi de ce même jour, au cours d’une discussion avec le Président, il me parle des problèmes d’urbanisme que lui pose l’extension de la capitale, la densification immobilière... Je saute sur l’occasion pour lui dire : « À ce propos, Monsieur le Président, vous savez qu’en ville… on parle beaucoup des nombreuses villas de la Présidente... » Sa réponse ? « Baulin ! Allez lui dire ! Je lui ai fait la même remarque hier soir. » Pour une fois prudent, je me suis bien gardé de suivre ses instructions.

À ce jour, je ne connais pas le nombre exact de villas construites par feue Mme Aissa Diori. Je sais par contre comment elle les finançait.

En Afrique, jusqu’à tout récemment, les banques prêtaient facilement, sans demander trop de garanties, aux ministres _et a fortiori aux Chefs d’États et à leurs épouses_ désireux de s’engager dans l’immobilier ou dans des activités agricoles. C’est ce que faisait précisément la Présidente : elle empruntait pour construire d’une part, et aménager le « jardin » de l’autre.

Mais on l’ignore, tout cela a failli ruiner totalement le Président. Le décompte de ses dettes _car il avait donné sa garantie aux emprunts de son épouse_ à la BIAO de Niamey et d’Abidjan en porte témoignage. Ce décompte, daté du 9 novembre 1982 et établi par la firme d’avocats Courtois Boulois Lebel et Associés, représentants de la BIAO, est édifiant.

Ainsi, on apprend qu’au moment du putsch, le président Diori Hamani devait l’équivalent de 460 000 francs français en principal à l’agence de Niamey, et 723 791,16 FF à celle d’Abidjan. Cela fait un total de près de 60 000 000 de francs CFA de dettes au 15 avril 1974. En y ajoutant les intérêts impayés depuis le putsch, la firme d’avocats arrivait à un total, au 31 octobre 1982, de 2 268 709,53 francs français soit plus de 113 milliards de francs CFA. Sans compter les frais annexes.

Pire. Pour garantir les créances de ses agences d’Afrique, la BIAO avait obtenu le 12 juillet 1978 _pendant l’incarcération à Zinder de M. Diori Hamani_ une hypothèque judiciaire sur ses biens immobiliers de France. Elle s’apprêtait à les saisir pour récupérer son argent. Afin d’éviter la perte de la totalité du patrimoine du Président, nous avons cherché des acheteurs soit pour la maison de Villenne, soit pour l’appartement de la rue Scheffer. En vain...

Le président Diori n’a été sauvé de la ruine que grâce à l’intervention d’un chef d’État africain _non, non, il ne s’agit pas de Félix Houphouët-Boigny_ qui a accepté spontanément de désintéresser la banque et de libérer les biens hypothéqués.

Voilà à quoi se réduit la « fortune de Diori ».

Et les comptes en banque en Suisse ? La question avait été posée à l’ambassadeur Sidibé au lendemain de son arrestation, au début d’octobre 1974. « Je ne sais pas, avait-il répondu, si l’ancien chef d’État a des comptes à l’étranger. Je sais par contre, avait-il ajouté, que s’il avait des fonds à l’étranger, il ne se serait certainement pas abaissé à contracter des emprunts auprès des banques françaises... »

Peu de Chefs d’État en Afrique et ailleurs peuvent se targuer d’une telle probité, d’une gestion aussi désintéressée des deniers publics. Au demeurant, la presse étrangère ne s’est pas laissée leurrer : elle n’a pas repris les calomnies répandues sur ce plan par les putschistes de Niamey.

Au vu de ces faits, chiffres et arguments, comment croire que les militaires ont pris le pouvoir pour combattre la corruption ?

Au demeurant, le régime militaire aurait mieux fait, là encore, de balayer devant sa porte. Son attitude face aux agissements des siens paraît à l’évidence on ne peut plus répréhensible, proprement scandaleuse.

En effet, le Conseil Militaire Suprême (CMS) n’a pas réagi, a même protégé voir promu, ceux des siens qui s’étaient rendus coupables de vols. Gabriel Cyrille est ce lieutenant métis qui, accompagné d’un sous-lieutenant et d’une vingtaine d’hommes, avait pris d’assaut le Palais aux premières heures de la matinée du 15 avril 1974. Une fois maîtres des lieux, ils avaient fait main basse sur une certaine somme d’argent, les bijoux et même la garde-robe de la Présidente assassinée quelques minutes auparavant. Mis au courant de ces péripéties une semaine plus tard, le colonel Kountché avait ordonné une enquête. Le lieutenant Cyrille déclarait alors à qui voulait l’entendre qu’il se proposait d’aller voir Seyni Kountché avec un camarade, de lui demander d’arrêter l’enquête et, en cas de refus, de « l’abattre comme un chien. » [23]

Le lieutenant Cyrille Gabriel, nommé ministre des PTT, de l’Information et du Tourisme au lendemain du coup d’État, deviendra capitaine le 15 août 1974, grâce à une promotion exceptionnelle, et ministre des Travaux publics, des Transports et de l’Urbanisme en novembre 1974. Ce même Gabriel Cyrille succèdera, en dépit de ses antécédents, à l’Intendant militaire Moussa Tondi comme président de la « Commission de contrôle et d’enquête » chargée « d’inventorier et de recenser tous les biens mal acquis des anciens dirigeants... » !

Quand Gabriel Cyrille tombera en disgrâce à la suite d’autres incidents, on trouvera 17 millions de francs CFA et de nombreux bijoux planqués chez sa mère. Entre-temps, personne n’aura trouvé à redire à sa commande d’une Mercedes ultra-luxueuse en Allemagne ou aux emplettes fastueuses de sa fiancée, préparant son trousseau à Paris.

Le fait même que le régime militaire, loin de s’épurer, ait été obligé de promouvoir un officier de cet acabit, le disqualifie automatiquement comme accusateur.

Et que dire du cas tout récent de M. Amadou Oumarou dit Bonkano, confident, homme de confiance et féticheur-conseiller du général de brigade Seyni Kountché ?

La commission d’enquête créée par le régime militaire au lendemain du putsch avait publié, huit mois plus tard, les résultats de ses recherches. Le Sahel du 19 décembre 1974 révélait les noms des personnalités du régime civil les plus compromises. M. Maitouraré Gadjo venait en tête : le Conseil Militaire Suprême ordonnait la confiscation de tous ses biens, à savoir : « une maison à étage », 2 « villas en dur », et 2 « villas » en terre battue, quatre terrains non bâtis, une rizière, 350 bovins.

Quand on lit dans le Journal Officiel [24] la liste des biens de Bonkano confisqués par l’État, on s’aperçoit que, sur ce plan, l’entourage de Diori Hamani était composé, au mieux, d’amateurs sans envergure, de minables.

En effet, Bonkano, simple garde-cercle avant le coup, de plus quasi illettré _il apprendra le français grâce à des cours particuliers à partir de novembre 1974_, montera rapidement en grade jusqu’à devenir le chef suprême de la police. Toujours grâce à la protection indéfectible du général Kountché, il fondera une société commerciale, la SIPRIC, et amassera une fortune colossale comprenant, selon le J.O. précité :
— à Maréna : un complexe immobilier équipé de groupes électrogènes et d’un château d’eau, composé d’une mosquée et des annexes, d’une résidence comprenant plusieurs pavillons, d’un verger et d’une rizière ;
— à Bougoum : une exploitation agricole de 150 km² équipée de groupes électrogènes, comprenant une résidence aménagée, un champ et des annexes, un ensemble de magasins et greniers de stockage de vivres ;
— à Nordiré : un verger ;
— à Timéré : un verger et un immeuble à étage ;
— à Gnakatiré : un champ de 150 000 mètres carrés ;
— à Niamey : « 47 propriétés bâties et non bâties » dont 6 au Plateau, 4 à Issa Beri, 8 à Yantala-Résidentiel, 5 à la Poudrière, 3 au Stade, 5 à la Place de la Mairie, etc.

Le même numéro du Journal Officiel mentionne encore la saisie de 10 autres propriétés et parcelles enregistrées au profit de prête-nom, et de 64 voitures, engins agricoles, véhicules utilitaires, etc. etc.

Pour compléter la liste, il faudrait relever que M. Bonkano vit actuellement dans l’opulence en Europe. Il en découle qu’en « homme sensé », il avait en plus des biens précités au Niger, des comptes en banques à l’étranger.

Le général Kountché aurait continué à fermer les yeux et Bonkano aurait poursuivi ses détournements s’il n’avait eu la malencontreuse idée de vouloir renverser, par un coup d’État, son protecteur, son bienfaiteur, son patron.

Que dire encore de deux protégés du colonel Kountché _Messieurs Étienne Sidibé et Albora Naba_ coupables d’avoir détourné à eux deux plus de deux milliards de francs CFA en deux ans ?

Selon une troisième thèse qui a les faveurs de M. Houphouët-Boigny et de certains milieux parisiens, les officiers nigériens, tous issus de l’école de pensée militaire française, ayant donc peu de respect pour les capacités militaires de leurs collègues libyens, se seraient offusqués en apprenant la signature d’un accord de défense avec la Libye, pays ayant de plus un litige frontalier avec le Niger.

Avant d’analyser la valeur de cet argument, un regard rapide sur le déroulement des événements dans les semaines qui ont précédé le putsch s’impose.

Venant du Tchad, le colonel Muammar Kadhafi débarque à Niamey le 7 mars 1974 pour une visite officielle de trois jours. Dans son discours d‘accueil, le président Diori insista sur les ravages de la sécheresse, relève la nécessité de régulariser les prix des produits de base parallèlement à ceux du pétrole, le remercie pour la contribution de la Libye au développement du Niger, cite le Coran et mentionne « les peuples arabes qui luttent pour la défense de leur patrie envahie. » Il s’agit de toute évidence d’un plaidoyer pro-domo présenté sur un ton amical, conciliant.

Par contre, l’islam et la défense constituent la trame et la chaîne du discours-réponse du colonel Kadhafi.

Réunions et discussions se poursuivent. On parle aussi des problèmes économiques et les Libyens font même un aveu de taille en déclarant : « Nous avons perdu la face un peu partout en promettant beaucoup et en réalisant peu. Nous sommes donc prêts à faire quelque chose de grand avec vous... »

À l’issue de la visite du colonel Kadhafi, les deux chefs d’État signent le communiqué final. On ne trouve dans ce document aucune mention du Tchad, du litige frontalier, ni surtout d’un accord de défense dont au demeurant il n’avait jamais été question, du moins à ma connaissance, avant l’arrivée du leader libyen.

Je viens de débarquer à Niamey pour le début des négociations franco-nigériennes sur le prix de l’uranium. Je suis donc surpris de lire dans la livraison du 25 mars 1974 du Temps du Niger, la signature, lors de la visite du colonel Kadhafi, d’un « traité de défense et de sécurité, aux termes duquel chacune des deux parties s’engage à défendre l’autre en cas d’agression directe ou indirecte... » Sa publication, avec deux semaines de retard, lui donne de plus un cachet mystérieux.

Mais le président Diori ne paraît pas attacher une grande importance à toute l’affaire. Moi-même, apprenant l’absence de tout document officiel qui puisse être qualifié de « traité », voire de simple « accord », pense que l’événement n’aura aucun impact politique à l’intérieur ou à l’extérieur.

D’autant que le commandant Sani, qui sera le véritable maître d’œuvre du putsch, avait participé à toutes les phases des discussions en tant que membre de plein droit de la délégation nigérienne... [25] Par ailleurs, le Président, qui lui témoignait une grande confiance _au point de le consulter même sur des sujets totalement hors de sa compétence_ avait certainement discuté du problème avec celui qui était alors le Chef d’État-Major adjoint de l’armée nigérienne. Mieux, sur les questions militaires _nominations, armements, affectations, etc._ j’en témoigne, le Président passait très rarement outre aux avis du Commandant Sani. Il en découle, logiquement, que le chef de file des officiers putschistes ne s’était pas opposé à la signature de ce « traité de défense » [26]. On ne peut même retenir la thèse d’une machination de Sani _il aurait poussé le Président à se compromettre avec Kadhafi pour provoquer l’ire des candidats putschistes_ car toute l’armée savait qu’il participait aux négociations et qu’il était le confident de Diori Hamani... Donc le corps des officiers n’avait pu s’offusquer de ce texte.

De toute évidence, il en allait autrement dans certains milieux parisiens anxieux « d’en finir » avec Diori Hamani [27]. Je le remarque dès mon retour à Paris, le 29 mars 1974. En effet, les informations alarmistes affluent de toutes parts. J’en informe le Président par une note datée du 5 avril 1974 [28].

En somme, l’accord de défense avec la Libye, s’il a pu être utilisé comme prétexte pour le coup d’État, ne pouvait, lui non plus, en être la cause.

Au demeurant, aucune des trois exégèses _l’impéritie, la corruption et la menace libyenne_ n’eut droit de cité dans la presse mondiale. En France comme ailleurs, les journaux s’obstinèrent à ne retenir aucune des trois explications. Ils établirent, dans leur ensemble, une relation de cause à effet entre le combat du président Diori pour la revalorisation du prix de l’uranium nigérien et le putsch.

De l’Humanité en France au New York Times, les journalistes posent la même question lancinante. Le Quotidien du P.C.F. demande ce qu’il est advenu des exigences formulées « par le président Diori concernant le prix de l’uranium qu’il voulait voir multiplié par dix. » Pour le journal américain aussi, Diori Hamani, « tout en coopérant avec la France par amitié et par nécessité, avait recherché des investissements d’autres pays pour l’exploitation de l’uranium. » Témoignage chrétien titre : « Un président victime de la sécheresse et de l’uranium. »

Le Quotidien de Paris fait preuve d’une plus grande sévérité. Après avoir dénoncé la « dureté sordide » de M. Foccart, le journaliste s’attache à expliquer la volonté de M. Diori Hamani d’indexer « la valeur de son minerai sur le coût du kilowatt-heure produit à partir du pétrole » et conclut avec la question : « Que va faire ce lieutenant-colonel Kountché qu’on vient de découvrir, et que le CEA ou les tuteurs du CEA, qu’ils l’aient voulu ou non, ont porté au pouvoir ?... »

Le colonel Kountché, pleinement conscient qu’il lui sera difficile de se débarrasser de ce péché originel, fera de son mieux pour l’effacer.

Il commencera donc par nier toute collusion. « On représente souvent à l’extérieur notre action comme étant liée à une main étrangère, dit-il : j’apporte un démenti formel à toutes ces imputations. » Devant le peu d’effet de ces dénégations, il affirme qu’il se montrera aussi intraitable que le Président sur l’uranium dont l’exploitation et la commercialisation « ne peuvent... se concevoir que dans le cadre du développement de notre pays. » Pour se rendre crédible, il franchit un autre pas et demande fin avril, le rappel du commandant Langlois d’Estaintot, commandant du contingent français, celui-là même qui était parti à la chasse, avec ses officiers, au... bon moment.

La presse ne se laisse pas impressionner pour autant. Elle ne se contente pas de réfuter les arguments avancés par les militaires de Niamey. Elle va plus loin et rend hommage à Hamani Diori, met en relief ses qualités, rappelle sa stature. Les journalistes qui l’ont connu personnellement ne peuvent se laisser leurrer.

Pour Jean-Paul Franceschini du Monde, le Président « s’indignait de toute rumeur de prévarication au point de sortir de ses gonds, et c’est sans doute aujourd’hui ce reproche qui lui est le plus odieux. »

Pour Max Jalade, rédacteur en chef de la Nouvelle Agence de Presse, « malgré les liens qui l’unissaient à la France, le Président demeurait un partenaire difficile, n’hésitant pas à dire au président Pompidou ce qu’il avait sur le cœur. Sa stature, son image de marque lui valaient une influence sans mesure avec la densité de son pays. »

Étienne Mallarde dénonce certains milieux parisiens pour leur « secrète satisfaction de voir tomber un homme qui sut souvent, malgré l’immense pauvreté de son pays, traverser les desseins de Foccart, ignorer ses injonctions, jeter quelque lumière sur ses petits trafics. »

« Intègre, quoi qu’il en soit », lit-on dans Combat, « c’est un homme tenace et effacé qui disparaît de la scène africaine, un homme dont l’influence dépassait de loin l’importance économique de son pays. »

Une douzaine de journalistes spécialistes des problèmes africains signeront, sans la moindre hésitation, une lettre adressée à M. Poher, assurant l’intérim de la Présidence de la République, ainsi qu’à différents chefs d’État, leur demandant instamment « d’intervenir à titre personnel auprès des nouvelles autorités de Niamey pour que l’ancien chef de l’État du Niger et sa famille soient traités avec humanité » (Annexe 9). Nombre d’entre eux enverront des lettres personnelles, et certains correspondent avec lui jusqu’à ce jour.

Dans ce concert harmonieux, il y aura pourtant un couac. Il sera provoqué par M. P.B. dans un article d’une rare violence publié dans Le Monde du 5 mai 1974. Cet écrit m’avait scandalisé dans la mesure où je soupçonnais les raisons qui avaient poussé son auteur à le rédiger. En effet, la date de sa parution est significative. Elle se place à la veille du renouvellement, par le gouvernement nigérien, de ses nombreux abonnements aux deux publications _un hebdomadaire et un mensuel_ éditées précisément par M. P.B. [29]. Comment gagner les bonnes grâces du nouveau régime sans se dissocier, avec éclat, du président Diori ?

Au demeurant, le hasard fait bien les choses. Trois années de suite, à la même époque, on trouvera, toujours daté de Niamey, un article élogieux pour le régime nigérien, signé de M. P.B., dans Le Monde... [30].

Bien loin de cette dérive intéressée, l’éditorialiste du New York Times affirme tranquillement, au lendemain du putsch, que « pour ses qualités de négociateur et de leader pragmatique, on se souviendra de M. Diori bien longtemps après qu’on ait oublié que son gouvernement fut victime du 32e coup d’État africain, coup d’État dont l’origine aura été particulièrement équivoque. »

Dans les semaines qui suivent, le lieutenant colonel Kountché est occupé à récompenser les siens. Le capitaine Moussa Sala devient chef de bataillon, tandis que les lieutenants Amadou Seyni et Gabriel Cyrille sont promus capitaines. Une cinquantaine de sous-officiers sont nommés officiers dans l’Ordre du Mérite du Niger, et quelques autres chevaliers dans l’Ordre National du Niger. De plus, on distribue une vingtaine de Médailles Militaires à des caporaux et hommes de troupe.

Les civils ne sont pas oubliés pour autant. Ainsi, six ambassadeurs dont Messieurs Poisson et Tanimoun deviennent Commandeurs de l’Ordre National. Chose plus importante, civils et militaires, voient leurs demandes de permis d’exploitation de taxis satisfaites...

Que sont-ils devenus ? Sur les 16 militaires qui tenaient le haut du pavé en 1974 dont 11 ministres, on retrouve au début 1983, d’abord le lieutenant-colonel Seyni Kountché devenu général de brigade. Puis le seul Moussa Tondi _l’intendant militaire, celui qui avait un 4,6 de moyenne à son examen de passage_ devenu ministre d’État aux Finances.

Les autres ? Le commandant Sani, accusé de complot, condamné, emprisonné à Agadez, y a été exécuté à coup de crosse. Bayéré, alors le seul Saint-Cyrien de l’armée nigérienne, a fini fusillé. Gabriel Cyrille est en prison, de même que Boulama Manga. Amadou Seyni, commandant du bataillon de Niamey, s’est fait piéger dans le complot de Bonkano _avec 35 autres complices_ complot qui a échoué d’ailleurs à cause de son indécision. Quant aux Moumouni Djermakoye, Sory Mamadou et d’autres, le général de brigade Seyni Kountché les a mis au rancard en les nommant ambassadeurs ou préfets.

(ndle) - Une série d’articles rédigés par des témoins directs de ces événements retrace cet épisode de l’histoire nigérienne sur le site koinai.net, dans la rubrique " Niger, 1974 : ce qui n’a pas été dit ".

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