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11 . Le Parti et l'État - Ouvrages - Conseiller du Président Diori - Fonds d'archives Baulin
Conseiller du Président Diori
Le Parti et l’État

Au lendemain du putsch d’avril 1974, certains observateurs relevaient une double coïncidence : le renversement du régime civil précédait de quarante-huit heures la phase finale des négociations franco-nigériennes sur l’actualisation du prix de l’uranium, et de trois semaines la tenue du Congrès du Parti Progressiste Nigérien (PPN) au pouvoir depuis l’indépendance. À mon sens, il ne s’agit nullement d’un concours fortuit de circonstances. Il existe bien entre les trois événements une relation de cause à effet.

Pour le Président, le Congrès devait être le couronnement d’un effort long de plusieurs années tendant à revigorer les instances politiques, à en stabiliser les structures organisationnelles et à rajeunir les cadres du Parti et de l’État. Il le considérait donc comme un enjeu aussi vital pour l’avenir du pays que le succès des négociations pour une rémunération équitable de l’uranium.

Au demeurant, l’évaluation des auteurs du coup de force coïncidait avec celle du président Diori. En effet, au lendemain du putsch, le lieutenant-colonel Kountché reconnaissait, avec une naïveté désarmante, que l’opinion « semblait attendre beaucoup de ce congrès... (qui) aurait donné aux dirigeants l’occasion d’asseoir un peu plus leur autorité par des moyens contestables. » [1] Donc, la cause paraît entendue : pour les putschistes, la tenue du Congrès aurait constitué un obstacle majeur sur la voie de leurs ambitions.

Il n’en reste pas moins que ce 1er Congrès arrivait avec beaucoup de retard. Un retard de quinze ans.

D’abord deux mots d’histoire.

Le Parti Progressiste Nigérien (PPN) avait un palmarès fort honorable dans la lutte anti-coloniale. L’apparentement du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), dont il faisait partie, à la fraction parlementaire communiste à l’Assemblée nationale française, lui avait valu, à lui aussi, persécutions, dispersion de ses cadres fonctionnaires dans la vaste AOF, exactions diverses, bagarre avec le parti administratif, etc.

Toute cette répression ne pourra toutefois battre en brèche l’impact du PPN/RDA sur les masses nigériennes. Exemple entre cent, et ignoré à dessein aujourd’hui, la lutte pour l’abolition des « greniers de réserve ». Quand, en 1974, Boubou Hama dépose son projet de suppression de ces greniers, le gouverneur Toby viendra en personne à l’Assemblée territoriale pour plaider la cause de leur maintien. L’Assemblée territoriale _y compris les élus de M. Toby_ n’en votera pas moins leur suppression. Les paysans, victimes des exactions de la chefferie traditionnelle, accueilleront avec des manifestations de joie cette victoire et en créditeront, en toute justice, le PPN [2].

Le souvenir de ces combats de l’avant-garde s’estompera graduellement. Bientôt, le pouvoir, la gestion du pays, poseront des problèmes autrement complexes. D’autant que l’exercice de ce pouvoir prendra des formes peu orthodoxes.

De quoi s’agit-il ?

Le PPN s’était toujours réclamé du RDA. Or, celui-ci, fondé par M. Houphouët-Boigny aux temps héroïques de la lutte anti-coloniale, garde jusqu’à ce jour l’empreinte des premières amours communistes : en Côte d’Ivoire comme en Union soviétique _ou presque_ le PDCI/RDA [3] a le pas sur le gouvernement. La politique du pays se décide, en théorie, au niveau des organismes dirigeants du Parti, même si en pratique la décision relève du seul Félix Houphouët-Boigny, agissant, non en sa qualité de Chef d’État, mais de fondateur du Parti et de secrétaire général jusqu’à une date récente.

Au Niger également, où on accolait toujours le sigle RDA à celui du PPN, le président de la République en était le secrétaire général, donc son dirigeant suprême. Pour sa part, M. Boubou Hama, président de l’Assemblée nationale et deuxième personnage de l’État, avait le titre honorifique _conformément à la tradition communiste_ de Président du Parti. Et le PPN/RDA était censé régenter toute la vie du pays.

Or, on se trouvait en réalité en face d’un organisme sclérosé, aux structures organisationnelles quasi fantomatiques, se limitant au placement des cartes.

Son caractère de « parti de notables » paraissait indéniable. Comme était indéniable la répugnance du Bureau Politique à en changer la nature. Il s’opposait avec obstination à la promotion de jeunes cadres piaffant d’impatience. On voyait même fleurir des phrases _alors en vogue en Chine Populaire_ telles que « les planches de bois vert ne peuvent supporter de lourdes charges », ou bien « pour monter les jeunes doivent prendre l’escalier et non l’ascenseur ».

Le Bureau Politique lui-même paraissait immuable depuis sa cooptation un quart de siècle auparavant. Avec ses titulaires inamovibles, il avait cependant suffisamment de poids _contrairement à la situation en Côte d’Ivoire_ pour interdire à son secrétaire général, M. Diori Hamani, d’aller rencontrer M. Houphouët-Boigny à Yamoussoukro [4].

Cette inertie de fait du parti se traduisait par la création d’une atmosphère délétère dans les relations entre les Comités locaux du Parti et les représentants _préfets et sous-préfets_ de l’État. Conséquence encore plus grave, des épreuves de force successives amenaient très souvent le secrétaire du Comité local du PPN à se désister de ses prérogatives, à se retirer de la lice.

Le Président m’a entretenu, pour la première fois, des problèmes du Parti, au mois de juillet 1968. Il ne cachait pas son inquiétude à la veille d’une nouvelle « Conférence nationale des cadres nigériens ». Il se sentait frustré. Il était profondément conscient de l’état léthargique du PPN, des dangers inhérents à cette démission, de la nécessité absolue de disposer d’une force politique organisée, implantée dans la masse de la population et donc susceptible de faire contrepoids à l’armée, unique force structurée du pays.

Il ne comprenait pas que certains de ses camarades s’obstinent dans l’immobilisme, tout en convenant avec lui que « le Parti constitue le soutien essentiel du gouvernement. » Il se lamentait de ne pouvoir les convaincre que seul un Congrès pourrait redonner vie au Parti, en en précisant la doctrine, en modifiant ses statuts et en élisant, pour la première fois, ses dirigeants propres.

De la date de cette entrevue à sa chute, M. Diori Hamani s’attellera à la convocation de ce Congrès qui devait immanquablement déboucher, à son sens, sur la rénovation du Parti et de l’État.

Embûches multiformes, opérations de retardement et résistance obstinée des conservateurs, rendront sa tâche particulièrement malaisée. Il manœuvrera, avancera puis cédera du terrain, essaiera de contourner certains obstacles. Il se battra avec esprit de suite pour faire prévaloir son point de vue, pour l’imposer à ses pairs, dont la plupart étaient ses aînés, et surtout à leur chef de file, M. Boubou Hama.

Certains cadres des générations montantes _pour des raisons évidentes de sécurité on ne peut, hélas, citer de noms_ suivront son combat avec une sympathie grandissante. Mais tout en se montrant conscients du contenu positif de sa stratégie, ils reprocheront à M. Diori Hamani sa tactique. Ignorant le rapport des forces à l’intérieur du Bureau Politique du PPN, ils parleront d’atermoiements, voire de pusillanimité.

Quant à l’éventualité d’un coup de force politique au niveau de la direction du Parti, elle ne pouvait constituer une hypothèse de travail car, de toute évidence, Diori Hamani y était, par tempérament, allergique. Sans compter son esprit de franche camaraderie, son sens de l’amitié et son culte de la loyauté qui honoraient l’homme mais desservaient le leader, et constituaient autant d’obstacles psychologiques insurmontables sur la voie de l’imposition d’un choix individuel.

Le louvoiement restait donc la seule voie de salut. Le secrétaire général du PPN/RDA y consacrera beaucoup d’efforts.

En 1968, il tente d’entraîner à sa suite la direction du PPN, en annonçant officiellement la toute prochaine réunion du 1er Congrès du Parti. Peine perdue. Le projet se perd dans les sables mouvants.

Il récidive en 1970 sans plus de succès : la dépêche AFP du 22 octobre ne fera état que de la convocation d’une nouvelle Conférence des cadres par définition inopérante, car dépourvue de pouvoirs quoique utile comme exutoire.

Le 18 décembre de l’année suivante, quand M. Noma Kaka, membre du Bureau Politique, annonce solennellement la convocation du Congrès, les proches du Président croient y déceler un pas en avant. On doit vite déchanter.

On assistera encore à un phénomène étonnant : selon des directives demeurées mystérieuses, Le Niger, organe officiel du PPN/RDA, publie le 12 mai 1972, sur toute une page, les « Statuts » du Parti. Or la plupart des articles de ces statuts avaient été violés au vu et au su de tous, non pas une fois, mais dix fois. D’aucuns y verront une forme nouvelle de pression sur les conservateurs.

Cette série d’annonces, de faux départs, de rétractions, de démentis, n’en participent pas moins à la préparation des esprits. Le Congrès devient de plus en plus inévitable.

Dans ce contexte, et obligé de naviguer à vue, M. Diori Hamani critiquera publiquement les chefs de file de la nouvelle génération, afin de pouvoir plus aisément fustiger les vieux cadres qui freinent précisément la convocation du Congrès. « Il est inadmissible, dit-il, que des jeunes, oubliant que la critique est aisée, mais l’art difficile, se mettent à donner des leçons à leurs aînés en se réclamant de leur jeunesse et de la science acquise grâce précisément aux sacrifices de leurs aînés. Il faut qu’ils sachent l’importance du stage, aussi nécessaire en politique que sur le plan technique, puisque seul il permet l’acquisition de l’expérience. »

Ceci dit, « il est tout aussi inadmissible, affirme-t-il, que des cadres anciens se contentent d’opposer leurs lauriers poudreux à ceux-là que leur jeune âge a empêché de faire leurs preuves aux temps héroïques de la lutte contre le système colonial et pour l’indépendance nationale... »

Il découle de ces prémisses que le Parti doit faire « confiance aux générations montantes... (qui lui) apporteront leur enthousiasme, leur foi et leurs connaissances techniques si nécessaires à la construction nationale. »

Dans la foulée, il rappelle au chef de file de la vieille garde, ses propres déclarations de naguère. Ainsi, il cite « un passage d’une allocution de notre grand camarade Boubou Hama » qui déclarait en 1959 : « La Direction ne vous demande plus ce que vous avez fait pour le pays. Elle exige de vous un effort immédiat, ce que vous faites, en ce moment, pour lui... »

« Moi-même », ajoute M. Diori Hamani, à la même époque, je proclamais : « Il ne faut pas qu’au sein du Parti puisse naître des classifications dangereuses, basées sur l’ancienneté de l’appartenance ; il ne doit pas y avoir des anciens et des nouveaux du PPN/RDA, il ne doit y avoir qu’un bloc de volontés tendues vers... un système... dans lequel la seule noblesse sera celle du mérite. »

Toujours dans le cadre de sa campagne de préparation des esprits, les Conférences départementales des cadres du printemps 1971 déboucheront sur un tournant qui me paraît décisif.

Tout d’abord, les intervenants semblent plus décontractés. Les cadres du Parti et de l’État, sentant les signes précurseurs du renouveau, paraissent plus à l’aise pour exprimer leurs doléances, critiques et suggestions. Ils se plaignent en particulier de la monopolisation des leviers de commande par les anciens, non seulement au plus haut niveau à Niamey, mais aussi à l’échelon local. Ainsi, exemple entre cent, à Zinder, un militant attaque « la vieille grade du parti (qui) se considère seule habilitée à diriger la politique locale. » Ils se plaignent aussi de « la désintégration des structures du parti. »

Ensuite, M. Diori Hamani participe en personne à ces conférences départementales. Et il n’essaie pas de celer que les orateurs avec leurs exemples précis, illustrent et confortent sa propre analyse de la situation. « Il importe, déclare-t-il, que certaines structures soient réformées, que certaines procédures soient révisées et même que certains hommes soient changés. » À Dosso, il proclame la nécessité de « renouveler les Comités du Parti... (pour) amener une participation effective des éléments dynamiques de notre jeunesse... »

Troisième facteur positif, face à cette pression montante, la vieille garde paraît prête à lâcher du lest. Elle accepte, en juin 1971, la préparation d’un document analysant les interventions des cadres des différentes conférences départementales qui ont été réunies au printemps. C’est un premier pas.

Le rapport dresse la liste des faiblesses du PPN/RDA, profite de l’occasion offerte pour proposer l’apport _par cooptation à défaut de mieux_ d’un sang nouveau au niveau du Bureau Politique et relève que les cadres de six des sept départements du pays s’étaient prononcés pour la création d’écoles de cadres.

Mais pourquoi ce désir soudain d’apprendre, de recevoir une éducation politique, de comprendre ce qui se passe au-delà du village, de la petite _ou grande_ ville de province et même de Niamey ? C’est que la plupart des vieux et jeunes cadres en avaient assez de la « science » des neveux, petits cousins et autres benjamins, étudiants ou lycéens, qui citaient Lénine avec apparemment beaucoup d’aisance, ou parlaient de la bourgeoisie, de la dialectique, des compradores, de la plus-value... Tout cela avec un aplomb à donner des complexes aux « progressistes » du Parti et même à ceux habitués à distribuer des baffes faute d’arguments. Il n’en restait pas moins que les « enfants » de Paris, ceux qui donnaient des cours de marxisme par correspondance à leurs jeunes amis et parents demeurés au pays, paraissaient particulièrement versés en matière politique.

En somme, l’engouement soudain de nombre de cadres pour l’éducation politique pouvait s’expliquer par leur désir de requinquer un prestige évanescent et accessoirement pour comprendre mieux et servir leur Parti.

Mais quelles que fussent les causes de cet engouement quasi général, il constituait en soi un atout majeur. Il convenait, de toute évidence, de tirer le meilleur profit de cet état d’esprit.

Cette soif d’apprendre enchante M. Diori Hamani. Il la considère comme un jalon de première importance pour la rénovation du Parti. Il accélère même le rythme de matérialisation du vœu unanime des cadres dans l’espoir de rendre le processus irréversible. Ainsi, le rapport date du 12 juillet 1971, la mise sur pied d’un comité restreint de rédaction a lieu une semaine plus tard, tandis que le premier cours idéologique _consacré au problème de la nation_ porte la date du 2 août.

Quant au contenu, les instructions présidentielles sont précises et fixent aux rédacteurs des cours un quadruple objectif : magnifier la nation, objectif final et souci quotidien, permanent de chaque cadre ; tendre à élever le niveau des connaissances générales des cadres et participer ainsi à leur formation ; structurer et rénover, chemin faisant, la doctrine du PPN et essayer d’en préciser les contours pour renforcer la cohésion de ses rangs ; fournir aux cadres les arguments pour faire face au harcèlement des éléments marxisants.

Au plan de l’écriture, le Président insiste sur la nécessité de recourir au vocabulaire le plus simple, le plus ordinaire possible, et d’éviter surtout l’embûche des « mots savants ».

En cinq semaines, le comité de rédaction rédigera dix cours d’une vingtaine de pages chacun, dont trois consacrés aux problèmes économiques. Le dernier, expliquant le contenu et le rôle de l’« État nigérien », sera plus long à naître : il porte la date du 26 décembre 1971.

Mais si la rédaction de cours idéologiques ne posait pas de gros problèmes, il en allait autrement pour la transmission des connaissances. D’autant qu’il avait été convenu d’éviter les exposés magistraux, mornes par définition, et de les remplacer par des échanges d’idées, des discussions entre enseignants et militants. Ainsi, le champ d’acquisition des connaissances serait élargi par les questions posées, les cours deviendraient plus vivants aidant à l’ancrage de notions nouvelles. Il était bien évident que ce genre d’enseignement présupposait un nombre réduit de participants.

Dans tout ce montage, on avait oublié, semble-t-il, ou du moins sous-estimé, le facteur Boubou Hama...

Le président du PPN/RDA et de l’Assemblée nationale avait toujours fait preuve d’une grande affabilité et d’une érudition certaine en tout ce qui concernait le continent africain. Face à M. Léopold Senghor, poète de la négritude, il se voulait historien et chantre de l’Afrique. Il se voulait également meilleur idéologue du parti et à ce titre, avait insisté pour avoir un droit de regard sur l’ensemble du processus de formation des cadres.

Au plan des textes rédigés par le comité de rédaction, tout s’était bien passé. À peine quelques traces de censure, quelques rajouts, non pour édulcorer les textes mais pour les « gauchiser ». En effet, les exposés préliminaires servant d’introduction à certains des cours et dus à la plume de M. Boubou Hama, comportaient des développements de caractère quelque peu subversif. Ainsi, selon le président Boubou Hama, « Lénine puis Staline, ont apporté à la science marxiste des apports (sic) décisifs... » Ailleurs il condamnait « les privilégiés... propriétaires de terres, de rentes, de charges... (et ceux) qui reçoivent des salaires supérieurs à ce qui leur reviendrait s’il y avait égalité dans le partage des travaux et des fruits. » M. Boubou Hama allait encore plus loin en proclamant que la propriété privée était « la source principale de tous les malheurs... » [5]

Mais les modifications apportées aux cours ne s’arrêtaient pas là. L’introduction d’une foule de noms propres d’écrivains, de philosophes, de sociologues, allant de Platon à Durkheim en passant par Campanella, si elle illustrait la culture du président du Parti, alourdissait la démonstration et la rendait indigeste tout en risquant de donner un complexe d’infériorité aux auditeurs. Le Président Boubou Hama avait opté également pour les cours magistraux, devant des centaines de cadres réunis dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Quatre jours durant, entre le 18 et le 22 octobre 1971, ils avaient donc écouté sagement des exposés contenant des notions inédites donc forcément indigestes. C’était l’échec. La formation des cadres avait buté sur un obstacle imprévu d’ordre humain.

Mais dans l’ensemble, jusque là, la lutte entre conservateurs et partisans de la rénovation se déroulait en coulisse ; les grandes et petites astuces de M. Diori Hamani pour élever le niveau idéologique des cadres et les promouvoir avec prudence, pousser les jeunes à s’exprimer, paver la voie au 1er Congrès, etc, ne provoquaient guère de remous majeurs perceptibles au-delà d’un cercle restreint de dirigeants du Parti et de l’État. Cette phase se terminera, de façon brutale, le 1er janvier 1972.

Ce jour-là, M. Boubou Hama, président du PPN/RDA et de l’Assemblée nationale du Niger vient, accompagné d’une délégation imposante, présenter les vœux de Nouvel An de ces deux organismes à M. Diori Hamani, « secrétaire général du PPN/RDA et Président de la République du Niger. » M. Boubou Hama abat ses cartes. Son texte, virulent, touche à l’offense.

Il se comporte en patron du Parti et en porte-parole des masses. « Je dis au secrétaire général que le Parti intact attend à la porte », déclare-t-il...

Le président Boubou en vient ensuite au problème essentiel. Le Parti, affirme-t-il, «  ne reconnaît pas son visage dans son encadrement hétéroclite dont la quasi majorité était nos adversaires [6] d’hier qui n’ont ni le passé nécessaire, ni le cœur à se donner à notre peuple. On n’impose pas, dit-il encore, des militants qui n’ont pas fait leurs preuves à un Parti. »

M. Boubou Hama veut que « l’année 1972 (soit) une année de bilan. » Il explicite longuement l’objectif qu’il poursuit : « Le « parti », affirme-t-il, a besoin qu’on lui rappelle son « passé » capable de réanimer son présent actuel (sic) _il faut le dire_ fait d’attentisme qui ne profite qu’aux tards (sic) venus qui ne furent pas à la peine au moment de notre lutte libératrice. Nous avons perdu de vue l’ancien militant, poursuit M. Boubou Hama, notre attachement à un principe affectif si important en Afrique. Aux yeux de notre peuple, nous ne semblons pas juger à sa juste valeur la participation de nos anciens camarades aux heures difficiles de notre combat qui a comporté beaucoup de risques qu’il ne convient pas de minimiser, mais au contraire d’exalter comme un exemple d’abnégation à imiter. Il est temps, affirme-t-il encore, que s’exprime sans équivoque notre « fidélité » à notre idéal qui se résume dans celle que nous devons avoir à l’égard de ceux qui ont lutté à nos côtés au moment où leur seule foi ardente les faisait se battre dans nos rangs. »

En soulevant ce problème, conclut-il, « je fais écho à ce que demande notre peuple et aussi notre Parti... »

Le président Diori Hamani, qui me reçoit quelques minutes après le départ de la délégation conduite par M. Boubou Hama, reste atterré. Il ne comprend pas, me dit-il, la brusque agression de son aîné. Il l’avait reçu la veille et rien dans leur discussion ne laissait présager une telle diatribe. Il ne soupçonnait pas, il ne pouvait pas soupçonner que la vieille garde persévèrerait dans son hostilité à la rénovation du Parti.

Pourquoi Boubou et sa suite, des camarades de tout temps et à la fidélité indéniable, continuaient-ils à manifester un tel esprit de clocher ? Ils ne se rendaient apparemment pas compte, me dit-il, qu’ils affaiblissaient le Parti. Le comble était que Boubou lui reprochait la paralysie du Parti, alors que lui et la vieille garde s’opposaient à toute évolution, à toute réorganisation, à tout pas en avant.

Puis, texte en mains, le président s’essaie à son exégèse pour en arriver à la conclusion que la situation se trouve, une fois de plus, gelée. « Tout est à refaire », me dit-il. Dans l’immédiat, il n’y aura pas de suites publiques, si le texte du président Boubou Hama n’est pas diffusé. Il ne le sera pas.

M. Diori Hamani, en homme d’État conscient de la nécessité de prendre en considération le rapport de forces, bat en retraite. Le PPN/RDA restera un parti de notables. Dans l’immédiat, les susceptibilités des vieux cadres seront plus ménagées qu’auparavant ; il ne sera plus question de changer la composition du Bureau Politique ; la promotion des jeunes sera classée mais non archivée ; on ne parlera plus d’école du Parti et encore moins de cours.

Cet intermède durera six mois. Puis le Président reprend la marche en avant. Il réussit à relancer les « séminaires de formation ». La plupart des cadres sentent, même s’ils n’en connaissent pas la cause réelle, l’existence de divergences graves au niveau du Bureau Politique. Ils réagissent de façon saine. Les bouches s’ouvrent. Ils profitent des discussions pour poser des questions, ou faire des critiques souvent embarrassantes. Ainsi, l’un des intervenants reproche au président de la République de répugner à prendre des sanctions contre ceux de ses collaborateurs qui auraient démérité. Un autre veut savoir quand et comment sera rénové le Bureau Politique comparé à un moteur usagé de voiture dont il faudrait changer plusieurs pièces. Un troisième préconise des élections libres avec plusieurs candidats pour un même siège de député. Un autre encore considère le favoritisme plus dangereux pour la construction nationale que le régionalisme...

Durant le troisième trimestre 1972, l’atmosphère semble de nouveau à l’optimisme. Les « séminaires de formation » se multiplient. Les prises de position ainsi que les échos des discussions au sein du Parti et venant des différents coins du pays indiquent une élévation réelle du niveau politique général des militants.

Le président Diori accueille critiques et suggestions comme des manifestations positives de renouveau. Il essaie de faire partager ses vues à ses vieux camarades. Peine perdue. Dans une note datée du 15 juin 1973, M. Boubou Hama informe le secrétaire général du parti que l’opposition « se renforce pendant que nous nous désagrégeons. » Il se plaint que le Bureau Politique ait « cessé d’être consulté » et enfin, il l’affirme, « la base du Parti demeure, j’en suis convaincu, nos anciens camarades... »

Le président ne surestime plus l’opposition de la vieille garde. Il considère, lui, que la phase préliminaire de préparation est achevée et laisse prévoir la convocation du Congrès pour le mois de mai 1974.

Le 30 décembre, j’ai une discussion longue de trois heures avec lui sur la véranda du Palais. Il rentre de Ouagadougou. Il paraît plus décidé que jamais. Oui, la Conférence nationale des cadres, dit-il, commencera ses travaux le 10 janvier. Le Congrès sera convoqué, date définitive, le 12 mai 1974.
— « Quelle solution pour les vieux cadres, Monsieur le Président ?
— « À l’intérieur, tout le monde se croit délaissé par le gouvernement. Eh bien, on y remédiera en nommant certains de mes vieux camarades, ministres résidents dans les départements. Cette solution me paraît fort efficace à tous points de vue. »
— « Et Boubou ? »
— « Il ne fait qu’écrire et s’isole de plus en plus. Je lui avais demandé d’organiser le Congrès. Il n’a rien fait. L’assassinat de sa fille et la pression exercée sur lui par sa femme et son fils l’ont davantage traumatisé. »
— « N’y a-t-il pas moyen de s’expliquer avec lui ? »
— « Non. Plus rien à faire.
 »

M. Boubou Hama fera une ultime tentative pour arrêter le cours des événements. Une fois de plus, il saisit l’occasion de la présentation des vœux pour 1974. « Monsieur le Président, déclare-t-il, vous savez mieux que nos camarades que si le colonialisme ne se manifeste plus en tant que pouvoir politique direct, il est, en force, présent... dans chaque ferment qui agite notre jeunesse avec laquelle… il est grand temps d’engager le dialogue, un vrai dialogue en direction de nos jeunes, ceux de nos écoles, de nos chantiers de travail... »

En somme, en lieu et place du rajeunissement des cadres du Parti préconisé par M. Diori Hamani, il préfère engager tout de suite le dialogue direct avec la jeunesse du pays.

Un ultime affrontement entre novateurs et conservateurs aura lieu au cours de la conférence nationale des cadres dont les travaux se terminent le 20 janvier 1974. M.Djibril Moussa, député de Zinder, exprime clairement la position de la vieille garde en expliquant « la léthargie du Parti par l’éviction des militants de base », par le fait que « l’opposant d’hier est devenu l’enfant chéri d’aujourd’hui. » Le Président, qui tient à répondre à chaque intervenant, rétorque à celui de Zinder : « Nous pensons que vous nous aiderez à démasquer ceux que vous appelez « ennemis d’hier devenus enfants chéris d’aujourd’hui. » Il le sait, il n’y a pas d’ennemis à l’intérieur du Parti.

La tendance conservatrice est, de toute évidence, minoritaire, isolée. Elle ne représente plus un obstacle. Plus rien ne semble pouvoir arrêter la marche vers le Congrès et la rénovation du Parti et par conséquent de l’État.

Un seul homme, Gilbert Conte, fait état, à cette époque, de l’éventualité d’un putsch dans les six mois. Le Président n’y croit pas. Moi non plus.

L’heure est à l’euphorie. Dans l’immédiat, des lettres signées du secrétaire général du PPN/RDA demandent à tous les organismes du Parti et de l’État, « dans le cadre de la préparation de notre premier Congrès qui se réunira du 5 au 12 mai prochain... une analyse sans complaisance aucune des causes profondes, aussi bien objectives que subjectives des succès et surtout des échecs enregistrés. » Ces bilans doivent lui parvenir, écrit-il encore, « avant le 31 mars 1974. »

Le 11 mars, le Niger publie sur deux pages la liste des membres des quatre commissions (Politique étrangère, Parti, État, Développement), et des sous-commissions créées par le Parti pour en préciser la stratégie et la tactique. Dans ses directives, rendues à dessein publiques, le secrétaire général demande à chacun des organismes mis en place d’œuvrer en ayant présent à l’esprit que « le Congrès doit être l’occasion d’établir un bilan de santé du PPN/RDA, c’est-à-dire d’étudier avec minutie, en le soumettant à une critique constructive et à une auto-critique sincère ce qu’a été le rôle du Parti jusqu’ici... (mais aussi) de préciser ce que devra être le Parti de l’avenir. » En conséquence, les commissions et sous-commissions doivent « préconiser, dans le contexte de la réalité nigérienne, des moyens pratiques, raisonnables, aptes à permettre au PPN/RDA de jouer pleinement son rôle de guide du peuple nigérien. »

La presse participe à la mobilisation des esprits. « La léthargie », écrit l’éditorialiste du temps du Niger, se situe au niveau des états-majors qui s’érigent en féodalités, prétendent tout régenter, mais ne proposent souvent que leurs querelles mesquines. » [7] Il demande un renouvellement des organisme dirigeants à tous les niveaux et l’élimination « d’inamovibles membres des Comités passés maîtres dans l’art des machinations et des combines. » [8] Il revient à la charge le 5 mars et insiste sur le « nécessaire rajeunissement des organes du Parti à tous les niveaux » et se félicite « de la certitude que nous avons maintenant que plus rien n’arrêtera la marche du Parti et que ce Congrès qui servira de tremplin au renouveau national se tiendra vaille que vaille à la date prévue. » [9]

Le 11 avril, à 96 heures, du putsch, Le Temps du Niger se trouve engagé dans la discussion des Statuts en pleine gestation. Le Congrès est pour très bientôt...

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